Mais où est passée la Ménorah ?
Betsalel ! Ton téléphone n’arrête pas de sonner, ça fait un boucan d’enfer ! hurle Oholiab. Les yeux rivés sur la tablette, Betsalel ne répond pas. Depuis ce matin, il cherche le dessin de la Ménorah du Temple. Ça doit être important, c’est le même numéro qui a appelé au moins 10 fois… Ah oui ! c’est Boaz ! Il avait dit qu’il appellerait aujourd’hui. Ah ! Il a aussi écrit : Alors, les amis, on le continue ce voyage ? Vous vouliez savoir à quoi ressemblait la Ménorah du Temple ! Eh bien, voilà, allez sur le lien https://levoyagedebetsalel.org. Abigaël sera votre guide. Je lui ai tellement parlé de vous qu’elle vous connaît déjà ! Vous allez être une semaine ensemble ! Ne la perdez surtout pas de vue, vous risquez de ne plus pouvoir revenir ! A samedi prochain, j’ai hâte que vous me racontiez ! Curieux, Betsalel clique sur le lien. Un ancien carnet de voyage aux feuillets numérotés apparaît sur l’écran. L’écriture lui est inconnue. De l’hébreu ? Oholiab se rapproche. Tous deux font défiler les sept feuillets du carnet. Sept… Comme les sept jours de la semaine ou les sept branches de la Ménorah… Le visage d’Abigaël apparaît sur l’écran. En augmentant le son, ils parviennent à entendre ce qu’elle dit : Laissez-moi deviner, toi tu es Betsalel, toi tu es Oholiab. Allez ! Venez, le temps presse ! Betsalel ! Appuie sur le point vert en haut de l’écran. Mais avant, attention, je vous préviens ! Vous partez loin ! Alors, donnez-vous la main, fermez les yeux et respirez profondément ! Lorsque Betsalel et Oholiab rouvrent les yeux, Abigaël est devant eux. A ses pieds, deux sacs à dos… Nous remercions la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et la Fondation du Judaïsme Français pour leur soutien à la publication de cet ouvrage. * Nous exprimons notre reconnaissance à la famille Gross et au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme pour avoir mis leur collection à notre disposition. * Nous remercions pour leurs contributions, remarques et conseils : Déborah Elalouf, Daniel Elalouf, Gilles Elalouf, Nathalie Serfaty, Laura Bettan, Isabelle Cohen, Philippe Levy, Jean-Jacques Wahl, Richard Sitbon, Edith Sidi, Michel Elbaz, Michel Rottenberg, Denise Berrebi et Aline Schapira. * Le Voyage de Betsalel est un projet d’initiation aux arts juifs conforme à l’organisation de l’enseignement de l’histoire des arts publié en 2008 au Bulletin officiel du ministère de l’Education Nationale. * © Editions ADCJ-Le Voyage de Betsalel, 2021 ISBN : 978-965-91970-8-8 Auteures : Michèle Fingher, Florence Soulam. Graphisme et illustrations : David Soulam Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou par tielle sont réservés pour tous les pays. Editions ADCJ, 56 rue Hallé, Paris, 75014, France. contact@adcj.org www.adcj.org www.levoyagedebetsalel.org MAIS oÙ EST PASSéE lA MéNoRAH ? E c R I T P A R M I c H È l E F I N g H E R E T F l o R E N c E S o U l A M I l l U S T R é P A R D A V I D S o U l A M S O M M A I R E Introduction 7 Jour 1 3e siècle Antiquité Une Ménorah à Ech-Te-Moa ! Les p’tits plus sur les premières Ménorot sculptées 8 – 13 Jour 2 an 1299 Moyen âge Perpignan, tout le monde descend ! Les p’tits plus sur les Ménorot enluminées 14 – 19 Jour 3 an 1775 Temps modernes A ‘Hanoukka on fête la Ménorah ! Les p’tits plus sur la ‘Hanoukkia et la Ménorah 20 – 25 Jour 4 an 1882 19e siècle Comment allez-vous Monsieur Eiffel ? Les p’tits plus sur la synagogue de Bordeaux 26 – 31 Jour 5 an 1959 20e siècle La tribu d’Acher ! Les p’tits plus sur les vitraux de Chagall 32 – 37 Jour 6 an 1985 20e siècle 10 Agorot qui ont traversé les siècles ! Les p’tits plus sur la pièce de 10 agorot 38 – 43 Jour 7 an 2022 Fin du voyage Quel est le programme du jour ? Les p’tits plus sur la Ménorah de Benno Elkan à la Knesset 44 – 49 JEU I n t r o d u c t i o n La Ménorah est mentionnée dans le livre de l’Exode où elle est décrite en terme botanique : II exécuta le candélabre en or pur. Il le fit tout d’une pièce, avec sa base et son fût ; ses calices, ses boutons et ses fleurs faisaient corps avec lui. Exode 37 ; 17 Dans le Talmud de Babylone, il est question d’une plante qui ressemble à la Ménorah. Cette plante appelée Marva en hébreu est une sorte de sauge. 8 Jour 1 3e siècle Antiquité Une Ménorah à Ech-Te-Moa ! Les p’tits plus sur les premières Ménorot sculptées 8 – 13 130 L’empereur Hadrien visite la Judée. 218 Fin de la rédaction de la Michna. 3e siècle Construction de nombreuses synagogues en Judée et en Galilée. Oholiab se frotte les yeux, un peu étourdi. Il enlève son pull. Autour d’eux, les collines recouvertes de vignes sont baignées d’une lumière dorée. Un homme marche au loin, précédé d’un âne lourdement chargé. Bienvenue à Echtémoa. Prenez vos sacs. Ech-té-moa ! répète Oholiab. Oui ! On en parle dans le livre de Samuel ! dit Betsalel. Je l’ai trouvé sur la tablette : Ville importante, au sud de Hébron, en Judée. Les deux enfants se regardent, ils sont en Israël ! Abigaël leur sourit : Et en plus, on est au 3e siècle ! Suivez-moi, on va voir s’il y a encore quelqu’un dans la synagogue. La fraîcheur du bâtiment les surprend. Sur le banc en pierre qui court le long des murs, des hommes discutent dans une langue inconnue. Chut, il ne faut pas les déranger ! dit Oholiab. T’inquiète pas ! On ne voit pas les voyageurs dans le temps à moins d’avoir rendez-vous ! Quelle drôle de synagogue ! Pourquoi tu nous amènes ici, il y a une Ménorah ? chuchote Betsalel. Regardez le linteau ! dit Abigaël. Retrouve-moi dans le dessin ! Livre de Samuel : on y lit la vie du prophète Samuel ; le transfert de l’Arche de Chilo à Jérusalem ; la construction de l’autel sur le mont du Temple. Hébron : ville du couronnement du roi David. Hadrien : (76-138) empereur romain. Il nomme Jérusalem Aelia Capitolina et y construit un temple dédié à Jupiter. Michna : ensemble des traditions religieuses développées jusqu’en l’an 200. Judée : région située entre la mer Morte et la Méditerranée. Galilée : région au nord d’Israël. 10 Représentation d’un Levi OU PARLE-T-On DU VILLAGE D’ECHTEmOA ? Dans le livre de Josué, il est question d’Echtémoa appartenant à la tribu de Juda. Donné aux descendants d’Aaron, le village était habité par les prêtres, les Lévi, qui assuraient le service du Temple. Josué 21 ; 14 LOnGUEUR, LARGEUR ET HAUTEUR … La synagogue d’Echtémoa faisait 30 mètres de long sur 13 mètres de large. Un mur encore debout indique que le plafond avait 8 mètres de haut. Ses dimensions révèlent qu’une importante communauté vivait au sud de Hébron, à la fin du 3e siècle. DEs TROUs DAns LE TEXTE ! La Ménorah ………….. à sept branches a été fabriquée la toute première fois dans le ……………… . Dieu a demandé à Moïse de réaliser un d’or pur, d’une seule pièce qui devait être placé dans le ………… . Moïse confie la tâche à ………….. et à ………….. 11 Un TOIT qUI TIEnT TOUT sEUL ? Les architectes de l’époque ont construit la synagogue tout en largeur afin de se passer de colonnes pour soutenir le toit. Les synagogues de Soussya et de ‘Horbat Rimon situées, elles aussi, au sud de Hébron sont construites de la même manière. EcHTEMOA A qUOI sERT Un LInTEAU ? Le linteau est un support horizontal placé au-dessus d’une porte ou d’une fenêtre. On s’en sert pour répartir le poids d’une façade sur les côtés. A Echtémoa on a dénombré 4 linteaux décorés d’une Ménorah. JERUSALEM SOUSSYA HÉBRON ‘HORBAT RIMON EcHTÉMOA MASSADA EIN GEDI 12 La synagogue de Kfar Nahum, située près du lac de Tibériade a été mise à jour par des archéologues allemands en 1905. Ménorah sculptée sur un chapiteau, Kfar Nahum, Erets Israël, 2e – 4e siècle Ménorah à sept branches sculptée sur une partie de linteau, Echtémoa, 3e siècle. La synagogue d’Echtémoa a été découverte en 1934. Les archéologues ont retrouvé 15 linteaux sculptés éparpillés autour de la synagogue. 13 JEU MORCEAUX DE CHAPITEAU 1 Parmi les morceaux extraits du chapiteau de Kfar Nahum 3, n’appartiennent pas au chapiteau. Lesquels ? 2 3 4 5 14 Jour 2 an 1299 Moyen âge Perpignan, tout le monde descend ! Les p’tits plus sur les Ménorot enluminées 14 – 19 Abigaël a zappé sur la deuxième page de sa tablette. Aussitôt les enfants sont entraînés par un grand vent. Perpignan, tout le monde descend ! On est en 1299, dit Abigaël. Betsalel et Oholiab regardent autour d’eux le dédale de rues étroites. Et il y a une Ménorah ici ? demande Oholiab. Bien sûr ! Dépêchez-vous, la nuit va tomber. Les voici arrivés devant une fenêtre entrouverte. La silhouette de Salomon ben Raphaël se découpe à la lumière d’une lampe à huile. Penché sur un pupitre, il recopie un manuscrit. Bonjour Salomon, c’est moi Abigaël, je t’amène des visiteurs ! Raphaël pose sa plume. Bonjour les enfants, entrez ! Venez voir la Bible que je suis en train d’enluminer, mais faites attention, l’encre et les couleurs ne sont pas encore sèches ! Parmi des feuillets de parchemin éparpillés sur une table, Oholiab aperçoit le dessin d’une Ménorah en or. Autour, le mobilier du Temple. Waouh ! C’est la vraie Ménorah ? demande Betsalel. Oh ! Je me suis juste inspiré de la description de Moïse Maïmonide. Je peux la photographier ? La quoi ? Abigaël sourit. Autre temps, autre époque ! dit-elle en désignant la tablette à Salomon. 1250 La reine Yolande d’Aragon force les Juifs de Perpignan à résider sur la colline du Puy St Jacques alors aride et inhabitée. 1296 Obligation aux habitants du Call de ne rentrer et sortir que par la porte principale. 1299 Interdiction pour les Juifs de toucher aux fruits sur les marchés. Retrouve-moi dans le dessin ! Aragon : région du nord de l’Espagne, près de la frontière francaise. Call : nom donné au quartier réservé à la communauté juive en Espagne. Salomon ben Raphaël : scribe et enlumineur qui a travaillé à Perpignan en 1299. Moїse Maїmonide : (1135- 1204) rabbin, philosophe et médecin né à Cordoue. Connu sous le nom de Rambam, il rédige le Michne Torah, le plus grand code de la loi juive. 16 Un sCRIbE ACCROUPI ! La statue du scribe accroupi, retrouvé à Sakkarah en Egypte est conservé au musée du Louvre. Elle date de 2600-2350 AEC. Au moyen âge les scribes de terre d’Islam écrivent encore dans la même position que le scribe de Sakkarah. En Europe, au moyen âge, le scribe s’assoit sur un tabouret ou une chaise. Le parchemin est alors placé sur un pupitre incliné. La table plate à écrire apparaît au 16e siècle. LE CALAmE OU LA PLUmE ? Pour écrire, le scribe utilise un calame ou une plume. Le calame, un roseau taillé en biais, était utilisé en orient. La plume d’oiseau, le plus souvent d’oie, était utilisée dans les communautés d’Europe. LEs P’TITs PLUs sUR LE TRAVAIL DEs sCRIbEs Sakkarah : lieu près de Memphis où sont rassemblées tombes et pyramides. AEC : abréviation de avant l’ère commune. David : second roi d’Israël. Il a régné pendant 40 ans. Kiryat Yéarim : village où se trouvait l’Arche d’alliance avant son transfert a Jérusalem. Sicles : unité monétaire en orient. TRIbULATIOns DE LA MÉnORAH ! Le roi David fait transporter l’….. d’ …….. de Kiryat Yéarim a ….. Il achète au ……., pour 50 sicles d’argent, un terrain qui surplombe Jérusalem. Il y construit un autel sur lequel le roi ………., construira le Temple. C’est là que la …….. d’or du désert prend sa place. 17 Arche d’Alliance : Aron ha- Kodech. Meuble transportable contenant les rouleaux de la Torah. Chilo : ville où a été gardé le Tabernacle jusqu’ à la construction du 1er Temple. Jébus : nom de Jérusalem avant que la ville soit conquise par David. Salomon : 3e roi d’Israël. Fils du roi David, il construit le 1er Temple de Jérusalem. DEs FEUILLEs D’OR sUR DU PARCHEmIn Le mot enluminure vient du latin lumen et signifie lumière. Enluminer consiste à décorer un manuscrit à la main. En apposant des feuilles d’or sur les pages, l’enlumineur apporte de la lumière au texte. CALCULOns EnsEmbLE ! + – :X = Comment transformer une date hébraïque ? 5782-5783-5784 Ajoute 1240 aux trois derniers chiffres de l’année hébraïque et vois ce que tu obtiens ! FRANCE PERPIGNAN PERPIGNAN COMTE DE ROUSSILLON COMTE DE CERDAGNE COURONNE D’ARAGON 18 Bible de Perpignan, France, 1299 Ecrite en 1299, la Bible de Perpignan comprend 517 feuillets. On la retrouve en Turquie, à Constantinople, où l’ambassadeur de France Achille de Harlay, Baron de Sancy, l’achète en 1620. JEU LEs ERREURs 19 Betsalel a copié la Ménorah de Salomon ben Raphaël mais il a fait 10 erreurs ! Trouve-les ! Détail Bible de Perpignan, France, 1299 Des deux côtés de la tige centrale de la Ménorah sont représentées les pincettes et les mouchettes utilisées pour l’allumage de la Ménorah. La tige centrale repose sur une base à trois pieds. Elle est encadrée des deux marchepieds sur lesquels monte le prêtre pour nettoyer les mèches du chandelier. 20 Jour 3 an 1775 Temps modernes A ‘Hanoukka on fête la Ménorah ! Les p’tits plus sur la ‘Hanoukkia et la Ménorah 20 – 25 Leur prochaine destination s’affiche : Rome. Salomon la regarde interloqué. Mais qu’est-ce que c’est que ça ? C’est quoi ? Une tablette ! Prends-la, dit-elle en s’approchant ! Regarde, tu peux agrandir l’image avec deux doigts ! Sur l’écran, une ‘Hanoukkia dorée s’affiche sous les yeux ébahis de Salomon. Mais il n’y a pas une erreur ? On est censé chercher une Ménorah ! s’écrie Oholiab. Salomon examine l’écran de plus près et remarque une Ménorah apposée au dosseret de la ‘Hanoukkia. L’image que tu vois, Salomon, est de 1775, dit Abigaël. C’est bizarre. Moi, quand je dessine une Ménorah, je respecte minutieusement les indications de Maïmonide. Ici, l’artisan a dessiné ce qu’il voulait… Excusez-moi, je suis un peu perdu… Pourquoi il y a une Ménorah sur une ‘Hanoukkia ? demande Oholiab. He ben regarde sur ta tablette ! Elle peut sûrement t’expliquer le lien entre une ‘Hanoukkia et une Ménorah. Quel miracle fête-t-on à ‘Hanoukka ? Le miracle de la fiole ! Tu te rappelles l’huile de la petite fiole qui a permis à la Ménorah de brûler pendant huit jours ! Un bruissement interrompt l’explication de Salomon. Il regarde avec suspicion l’écran afficher Jour 4. Les enfants n’ont pas le temps de lui dire au revoir. Ils ont déjà disparu dans un nuage de fumée blanche. 1775 Le pape Pie VI interdit aux Juifs de Rome de sortir du ghetto sous peine de mort. 1793 Le ghetto de Rome est mis à sac. 1798 Avec l’arrivée des troupes françaises, les Juifs de Rome bénéficient de l’égalité des droits et de la citoyenneté. Retrouve-moi dans le dessin ! Pie VI : (1717-1799) il encourage les baptêmes et l’obligation du sermon le samedi avant d’aller à la synagogue. Ghetto : quartier où les Juifs étaient forcés de résider. ‘Hanoukkia (plur. ‘Hanoukkiot) : lampe de ‘Hanoukka. ‘Hanoukka : fête célébrée le 25 Kislev (novembre-décembre) qui commémore la victoire de Juda Maccabée sur le roi syrien Antioche Epiphane. 22 Au moyen âge les ‘Hanoukkiot sont suspendues au mur. A la Renaissance on rajoute des pieds pour pouvoir les poser sur un meuble. A la même époque, au 16e siècle en Italie, apparaissent les premières ‘Hanoukkiot dont la forme ressemble à celle du chandelier du Temple. LUmIèREs DE ‘HAnOUkkA… La forme de la ‘Hanoukkia obéit à des règles de Halakha. Les flammes de la ‘Hanoukkia doivent être séparées les unes des autres. Ainsi, chaque lumière la fête. 23 Nabuchodonosor : (605 AEC- 562 AEC) roi de Babylone. détruit Jérusalem, brûle le Temple déporte la population à Babylone Talmud : ensemble de commentaires et de discussions rabbiniques. Antioche Epiphane : roi séleucide. Il règne de 175 à 163. LA mEILLEURE HUILE D’OLIVE ! A l’époque grecque et romaine, le proche orient produit de l’huile d’olive comme l’Afrique du Nord, l’Espagne, l’Italie et la Grèce. Il est écrit dans le Talmud que la meilleure huile provient de la ville de Tékoa en Judée. Tékoa est la région par excellence de l’huile d’olive…Michna Mena’hot 9-5 Tossefta. Pourquoi utiliser de l’huile d’olive pour allumer la ‘Hanoukkia ? UnE FLAmmE ÉTERnELLE… La Ménorah du Temple est restée allumée pendant plus de .. ……. Il y eut deux interruptions. La première, pendant 48 ans suite à la destruction du premier Temple par Nabuchodonosor. La deuxième pendant 11 ans après la profanation du second Temple par Antioche Epiphane. FLORENCE TOSCANE CARTE SIENNE ETAT ECCLESIASTIQUE ROME ABRUZZES 24 Ce modèle de ‘Hanoukkia en bronze était courant à Rome aux 18e et 19e siècles. Sur le dosseret de la ‘Hanoukkia est apposée la Ménorah à sept branches du Temple. Elle est encadrée des deux colonnes du Temple : Yakin et Boaz. ‘Hanoukkia, Rome, 1775 Dosseret : du latin dorsum – dos, partie verticale de la ‘Hanoukkia. 25 JEU L’OmbRE DE LA ‘HANOUKKIA Parmi ces ombres une seule correspond exactement à celle de la ‘Hanoukkia. Laquelle ? ‘Hanoukkia, Italie, 1700 26 Jour 4 an 1882 19e siècle Comment allez-vous Monsieur Eiffel ? Les p’tits plus sur la synagogue de Bordeaux 26 – 37 Les enfants sont plantés devant une synagogue en construction. Autour d’eux, des ouvriers soulèvent de lourdes plaques métalliques à l’aide d’un treuil. D’autres, à califourchon sur le toit, s’en saisissent et les placent avec précaution. Abigaël donne un coup de coude à ses deux amis. Au-dessus du portail, se trouve une énorme Ménorah. Un ouvrier perché sur le toit leur demande de reculer. Il met ses mains en porte- voix et interpelle un homme posté à côté d’eux : Comme ça ? Monsieur Eiffel. Gustave Eiffel opine de la tête. Il regarde les enfants et leur lance : Pourquoi j’utilise une structure métallique, d’après vous ? Et devant leur moue, il explique : Pour dégager l’espace intérieur. Puis il s’adresse à l’ouvrier : Vite, mon ami, je dois être à Paris. Le train n’attend pas ! Pendant ce temps assis devant le portail, Betsalel s’applique à reproduire la Ménorah, lorsque Charles Durand, l’architecte qui a dessiné les plans de la synagogue lui dit : Ne te fatigue pas, j’ai tout dans ma serviette. Betsalel remarque que les branches s’inscrivent dans un demi-cercle. Gustave Eiffel s’apprête à monter dans un fiacre lorsqu’Oholiab l’interpelle : Vous savez qu’un jour vous construirez une tour qui portera votre nom ! Une tour ! Ça c’est une excellente idée ! Allons au revoir les amis, dit Gustave Eiffel. 1812 Inauguration de la 1ere synagogue de Bordeaux. Arnaud Corcelles en est l’architecte. 1873 Destruction de la synagogue de Bordeaux par un incendie. 1877-1882 Construction de la 2e synagogue de Bordeaux sous la direction des architectes Charles Durand et Paul Abadie. Retrouve-moi dans le dessin ! Gustave Eiffel : (1832-1923) ingénieur français spécialiste des constructions métalliques. Charles Durand : (1824-1891) architecte actif à Bordeaux d’où il est natif. Paul Abadie : (1812-1884) architecte actif à Bordeaux d’où il est natif. Arnaud Corcelles : (1765-1843) originaire de Bordeaux, également connu sous le nom d’Armand Corcelles. 28 Arnaud Corcelles dans la synagogue rue Causserouge SYnAGOGUEs COnsIsTORIALEs A partir du 11 décembre 1808, l’organisation des synagogues dépend du consistoire et est réglée par un décret. Il est décidé de construire 13 synagogues en France : à Paris, Strasbourg, Wintzenheim, Mayence, Metz, Nancy, Trèves, Coblence, Crefeld, Bordeaux, Marseille, Turin et Casale Monferrato. En 1814 à la chute de l’Empire le consistoire est réorganisé et certaines synagogues supprimées. LA sYnAGOGUE DE BORDEAUX La première synagogue de Bordeaux construite, rue Causserouge, en 1812 par l’architecte Arnaud Corcelles est détruite en 1873 par un incendie. Elle sera reconstruite rue Labirat. L’Etat ainsi que Daniel Osiris Iffla, les Pereire et les Rothschild participent aux frais de construction. Synagogue de Casale Monferrato, Piémont LEs P’TITs PLUs DE LA sYnAGOGUE DE BORDEAUX Daniel Osiris Iffla : (1825- 1907) originaire de Bordeaux, il est connu sous le pseudonyme d’Osiris. Il a été homme d’affaires, mécène et philanthrope. Pereire : les Pereire sont deux frères, Emile (1800-1875) et Isaac (1806-1880) d’origine portugaise installés à Bordeaux. Ils ont participé à l’essor industriel de la France. Rothschild : dynastie de banquiers et de philanthropes d’origine allemande. Ils sont installés en Europe, principalement à Francfort, Londres,Vienne, Paris et Naples. Quelles sont les 7 synagogues qui resteront attachées au consistoire ? Synagogue de la rue des Tournelles. SYnAGOGUEs DE FER ET DE PIERRE A Paris Gustave Eiffel, surnommé le magicien du fer, participe à la construction de deux synagogues. La synagogue de la rue des Tournelles est construite en 1876. En 1867 toujours dans la capitale il a participé à la construction d’une autre synagogue. Sais-tu laquelle ? 29 DIsPARITIOn DEs sYnAGOGUEs PRIVÉEs… En Europe au 19e siècle, la synagogue devient un édifice à part entière. Elle cesse d’être une pièce aménagée en salle de prière chez des particuliers. Si en 1793 le judaïsme devient une religion reconnue, il doit avoir un lieu de prière capable, tout comme l’Eglise ou le Temple protestant, d’accueillir un grand nombre de fidèles. CHARENTE INFERIEURE CHARENTE BORDEAUX BORDEAUX LANDES DORDOGNE LOT-ET-GARONNE BASSES PYRENEES GERS 30 Tympan de la synagogue de Bordeaux Un tympan est la surface en demi-sphère située au-dessus de la porte d’entrée d’un édifice religieux. Il est toujours décoré d’un motif symbolique. Le symbole choisi pour le tympan de la synagogue de Bordeaux est la Ménorah. Dessinée selon la description donnée dans le livre de l’Exode, elle est composée de tiges, de calices et de boutons de fleurs. JEU 31 REGARDE ATTEnTIVEmEnT ! SAURAs-TU RETROUVER sUR CETTE PHOTOGRAPHIE : Portes d’entrée de la synagogue de Bordeaux Colonnes Ménorah Tympan Linteau Arbre de vie Porte Etoile de David 32 Jour 5 an 1959 20e siècle La tribu d’Acher ! Les p’tits plus sur les vitraux de Chagall 32-37 Attention, attention, les enfants ! Poussez-vous ! C’est lourd ! Des déménageurs, en salopette bleue, transportent d’énormes caisses et les chargent dans un camion qui attend en double file. Abigaël chuchote : Il s’agit des douze vitraux de Marc Chagall pour la synagogue de l’hôpital Hadassah Ein Kerem, à Jérusalem. Monsieur Chagall, on arrive trop tard ? Ils sont tous emballés ? demande Oholiab. Entrez, entrez ! Il y en a un qui n’est pas encore emballé, c’est celui de la tribu d’Acher… Pourquoi avez-vous dessiné une Ménorah ? Parce qu’il est écrit qu’Acher baigne son pied dans l’huile, si je me souviens bien. Et l’huile, c’est l’abondance, la lumière. J’ai placé la Ménorah en bas, comme le pied d’Acher ! Et tout autour des oliviers… Note Oholiab ! On n’a pas besoin de noter. C’est sur la tab… Marc Chagall continue tout seul : C’est pour moi un bien modeste présent à mon peuple. C’est aussi un air de ma ville natale de Vitebsk qui se mêle à celui de Jérusalem. Vous savez les enfants, quand j’ai travaillé à ces vitraux j’ai senti revenir toute mon enfance, mes parents, mes amis, le village que j’ai quitté… Pensifs, Betsalel, Oholiab et Abigaël prennent congé.Distraite Abigaël appuie sur une touche de l’écran. 1959 Chagall accepte de réaliser les vitraux pour la synagogue de l’hôpital Hadassah à Jérusalem. 1960 Chagall arrive à Reims chez Charles et Brigitte Marq de l’atelier Simon, pour réaliser les vitraux. 1962 Inauguration des vitraux de la synagogue le 6 février. Retrouve-moi dans le dessin ! Marc Chagall : (1887-1967) peintre d’origine russe qui a obtenu la nationalité française en 1937. Tribu d’Acher : une des 12 tribus d’Israël. Vitebsk : ville de Biélorussie où fut fondée la première école artistique ; Iouri Pen, Marc Chagall, Kasimir Malevitch, Lissitzky et Zadkine en firent partie. Atelier Simon : atelier familial, de maitres-verriers, installé à Reims dont l’activité remonte à 1640. 34 NEPHTALI ACHER MENACHÉ N DAN ISSACHAR BENJAMIN O E ZABULON EPHRAïM JUDA TABERNACLE EmPLACEmEnT… Chagall a réparti ses vitraux trois par trois aux quatre RUBEN S SIMÉON points cardinaux suivant l’emplacement des 12 tribus autour du Tabernacle. A l’est se trouvent Juda, Zabulon et Issachar ; au sud Gad, Siméon, Ruben ; à l’ouest Menaché, Benjamin, Ephraïm ; au nord Nephtali, Acher et Dan. L’olivier est le symbole de la tribu d’Acher. Lors de la création de l’Etat d’Israël, la Knesset décide que le symbole d’Israël sera la Ménorah. Elle est associée à des branches d’olivier, symbole de l’abondance présagée à Acher. ACHER LE FILs DE JACOb ! Acher est le 8e fils de Jacob. C’est le fils de Zilpa, la servante de Léa. Léa dira de lui : Il est né pour mon bonheur… Béréchit 30 ; 13. Lorsque Jacob bénit son fils, il lui révèle que ses plantations d’oliviers produiront une huile abondante. C’est lui qui pourvoira aux jouissances des rois. Béréchit 49 ; 20. 35 André Malraux : (1901-1976) écrivain et homme politique, il sera ministre de la Culture. DEs VITRAUX AU PLAFOnD DE L’OPÉRA Avant d’être installés à Hadassah, les douze vitraux sont exposés quelques mois au musée des Arts décoratifs à Paris et au musée d’Art moderne de New York. En les voyant André Malraux, alors ministre de la Culture, décide de co de Paris à Chagall. QUELLE EsT LA FAUss RÉPOnsE DE CHAGA A. J’ai renoncé à dessiner des figures humaines pour les 12 vitraux de l’hôpital Hadassah à Jérusalem. B. Un an après avoir commencé les vitraux de la cathédrale de Metz, je me suis consacré à ceux de l’hôpital Hadassah. C. J’ai été enchanté de voir les vitraux installés au niveau des yeux du spectateur. BEIT ZAIT HÔPITAL HADASSAH EIN KEREM HAR HERZL YAD VASHEM JERUSALEM VITRAUX DE CHAGALL FORÊT DE AMINADAV ZOO 36 Marc Chagall travaille deux ans sur les vitraux. Ceux-ci font 3.40 mètres de haut sur 2.50 mètres de large. En bas du vitrail, la Ménorah du Temple, donne une stabilité à l’ensemble de la composition. 37 JEU LE VITRAIL FOU Le vitrail de Chagall a été désarticulé, remets-le dans l’ordre ! 38 Jour 6 an 1985 20e siècle 10 Agorot qui ont traversé les siècles ! Les p’tits plus sur la pièce de 10 agorot 38-43 Où sommes-nous ? crie Oholiab pour couvrir le bruit des machines. Les garçons se bouchent les oreilles. Abigaël consulte la tablette. Ils sont en 1985, dans un local de la Banque d’Israël, à Jérusalem. Il y a sûrement une erreur ! On devait atterrir au 21e siècle. Qu’est- ce qu’on fait ici ? On recherche une Ménorah, non ? demande Oholiab Tu as déjà vu une pièce de 10 Agorot ? Autour d’eux des techniciens suivent la production des pièces. Un homme en uniforme s’approche des enfants. Monsieur le directeur vous attend dit-il, en leur faisant signe de le suivre. Derrière un bureau, un homme chauve les accueille. Vous vous intéressez à la numismatique ? Vous devez certainement savoir que cette année le gouvernement israélien a décidé d’émettre une nouvelle pièce de monnaie. Mais attendez, je vous ai préparé un jus d’orange. Tenez ! Puis continuant son explication : C’est Nathan Karp qui a eu l’idée de reprendre l’empreinte de la pièce émise par le roi Mattathias Antigone. Le motif principal de cette pièce est la Ménorah à 7 branches du Temple de Jérusalem. Vous avez copié ! s’exclament en chœur Betsalel et Oholiab. On s’en est inspiré, mais ne le dites à personne. 1960 Emission des pièces de 1, 5 et 10 agorot 2008 La pièce de 5 agorot est mise hors circulation. 2015 La Banque d’Israël décide d’appeler sa monnaie chekel et non plus nouveau chekel israélien. Retrouve-moi dans le dessin ! Agora (plur. Agorot) : en 1960, nom donné aux pièces valant une fraction du chekel. Numismatique : étude des monnaies et des médailles. Nathan Karp : (1934-2008) né en Russie, il arrive en Israël à l’âge de 13 ans. Illustrateur, calligraphe et médailleur, il étudie à l’Ecole des Beaux-arts de Betsalel à Jérusalem. Matthathias Antigone : dernier souverain de la dynastie Hasmonéenne. 40 LA nUmIsmA…qUOI ? La numismatique est très utile pour dater les époques. De 1927 à 1937 sur la pièce de 10 Mils émise par le mandat britannique, le motif est une couronne d’olivier. Palestina, nom d’Erets Israël donné par les Romains est réutilisé par les Anglais pour nommer la terre d’Israël. L’appellation apparaît en hébreu, en arabe et en anglais. En hébreu à côté du mot Palestina les lettres (‘”x) contraction de Erets Israël sont entre parenthèses. En 1948 la dénomination Palestina est remplacée par Israël. D’Où VIEnT LA MÉnORAH sUR LA PIèCE DE 10 AGOROT ? C’est sous le dernier roi de la LEs P’TITs PLUs sUR LA PIèCE DE 10 AGOROT Mils : monnaie du mandat britannique de Palestine de 1927 à 1948. Palestina : nom donné par les Romains à la Judée. Dynastie Hasmonéenne : descendant de Hasmon famille dynastie Hasmonéenne que s’éveille la conscience nationale et religieuse du peuple juif. La Ménorah du Temple apparaît sur les pièces du règne de Mattathias Antigone, en l’an 40- 37 AEC. Elle remplace la corne d’abondance, la fleur de lys ou encore la branche de palmier que les monarques précédents utilisaient sur leurs pièces de monnaies. UnE VALEUR FACIALE ? Les pièces, les billets de banque, les timbres postaux, ont chacun une valeur faciale. Il s’agit du nombre qui figure sur chacun de ces supports. La valeur faciale d’une pièce de monnaie n’a rien à voir avec le prix du matériel utilisé pour faire la pièce. La valeur faciale, de ce timbre émis en 1973 est il un Chekel ou un nouveau Chekel ? sacerdotale qui dirige la résistance face aux Séleucides. 41 Prouta (plur. Proutot) : monnaie ancêtre de la Ago DE LA PROUTA à LA AGORA En Israël, à partir de 1948 la Prouta supplante le Mils. Elle sera remplacée en 1960 par la Agora. Les motifs évoluent. Le vase à deux anses présent sur les pièces de 10 Proutot est relayé par le palmier dattier sur celles de 10 Agorot. En 1980, le palmier dattier est remplacé par la grenade et à partir de 1985 la Ménorah devient le motif central. AGORA… AGOROT… Le mot Agora figure dans le premier livre de Samuel : Et ceux qui resteront alors de ta famille viendront se jeter à ses pieds pour une pièce d’argent (agorat kessef), pour un morceau de pain, en disant : De grâce, admets-moi à quelque service sacerdotal, pour que j’aie du pain à manger ! Samuel livre 1, 2 ; 36 CARTE LA BANQUE D’ISRAËL PALAIS DES CONGRÉS CINEMA CITY LA COUR SUPRÊME 42 La pièce de 10 agorot émise le 4 septembre 1985, a comme toutes les pièces un côté pile ou revers et un côté face ou avers. Sur l’avers, Nathan Karp a repris l’empreinte d’une pièce émise sous la dynastie des Hasmonéens. Israël y est écrit en hébreu, en arabe et en anglais. Le revers est de Gabi Neumann. Au-dessous de la valeur faciale on peut lire en caractère hébraïque la date d’émission. Gabi Neumann : (1937-2014) originaire de la république tchèque il est interné à Birkenau en 1944. En 1949 il émigre en Israël où il fera une école d’art et deviendra médailliste. 43 nUmIsmATE En HERbE ! Selon le symbole figurant sur l’avers de ces trois pièces, donne à chacune d’elle l’année de l’émission correspondante ! 1960 1980 44 Jour 7 an 2022 Fin du voyage Quel est le programme du jour ? Les p’tits plus sur la Ménorah de Benno Elkan à la Knesset 44-49 Heureusement que Chabbat existe. Demain on va enfin pouvoir se reposer, dit Oholiab. Après le repas, Abigaël n’est pas du tout fatiguée. Elle leur fait un petit discours sur la Ménorah : Devenue symbole de l’Etat d’Israël, on la retrouve sur les passeports, les timbres et les pièces… D’ailleurs, je vous réserve une visite demain. Le lendemain, quand ils sortent de la synagogue le soleil est déjà haut. Abigaël conduit les deux voyageurs en direction de la Knesset. Devant eux, s’élève la Ménorah sculptée par Benno Elkan. Elle a été offerte par la Grande-Bretagne à l’Etat d’Israël pour son huitième anniversaire. De toutes les Ménorot que l’on a vues c’est elle la plus grande. En plus, elle est vraiment différente des autres dit Betsalel. Mais alors la vraie Ménorah elle est où ? demande Oholiab. On a perdu sa trace dit Abigaël. Mais son souvenir ne nous a jamais quitté. Dans le ciel trois étoiles marquent la fin de Chabbat. Le moment est venu de nous dire au revoir. Mais si vous avez des questions, vous pouvez toujours me joindre sur www.levoyagedebetsalel.org Comment va s’appeler ton livre ? demandent les deux enfants. Mais où est passée la Ménorah ? Qu’en pensez-vous ? 46 LEs P’TITs PLUs sUR BEnnO ELkAn Arthur Hamilton Lee : (1869-1947) diplomate et philanthrope, il offre les candélabres de Benno Elkan à l’abbaye de Westminster dont il est le bienfaiteur. LEs CHAnDELIERs DE WEsTmInsTER Benno Elkan étudie la peinture à l’académie des Beaux-Arts de Munich avant de se consacrer à la sculpture en 1903. Avec la montée du nazisme il immigre en Angleterre. Arthur Hamilton Lee acquiert deux chandeliers en bronze dessinés par Benno Elkan et les offre à l’abbaye de Westminster. Ces chandeliers décrivent des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament. Ils sont peut-être une préfiguration de la Ménorah de la Knesset. Abbaye de Westminster : église construite sous Henri III au 13e siècle. C’est là que sont couronnés les souverains britaniques. 47 Chambre des Lords : une des deux chambres du parlement du Royaume-Uni. Ses membres sont nommés à vie par la reine sur proposition du Premier ministre. Ghetto de Varsovie : créé dans un quartier de Varsovie, le 12 octobre 1940 par les Allemands il est isolé de la ville par un mur d’enceinte. LA MÉnORAH DU PEUPLE jUIF C’est en 1947 que Benno Elkan envisage de sculpter une Ménorah relatant l’histoire du peuple juif. Trois ans plus tard, il présente le projet à la Chambre des Lords qui décide de l’offrir à l’Etat d’Israël. Terminée en 1956, la Ménorah est placée, à Jérusalem, à proximité de l’ancienne Knesset sur l’actuelle rue King Georges. En 1966 elle trouve sa place définitive devant la Knesset. LIRE LA MÉnORAH L’histoire se lit du haut vers le bas. Les épisodes bibliques sont situés au sommet du chandelier. Au bas les évènements liés au ghetto de Varsovie, puis plus bas encore, la description de la vie des pionniers en Erets Israël. GAN SAKER JARDIN DES ROSES OBSERVATOIRE DES OISEAUX JÉRUSALEM LA MÉNORAH CARTE GIVAT UNIVER DE JERUSALEM LE PARLEMENT 48 La Ménorah située à proximité de l’actuelle Knesset est une sculpture de 5 mètres de haut. EIle représente des épisodes de l’histoire du peuple juif de la Bible à nos jours. 49 JEU LEs PIOnnIERs ! Benno Elkan place les fondateurs de l’Etat d’Israël à la base de la Ménorah. Ils travaillent la terre, construisent le pays et marquent ainsi le lien du peuple à sa terre retrouvée. Nomme les différents travaux agricoles des pionniers dans les 3 médaillons ci-dessous. 1 2 3 50 AIDE bETsALEL A RETROUVER LA mEnORAH ! 51 52 CRÉDITs PHOTOGRAPHIqUEs Couverture : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 7 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 9 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 10 : Représentation d’un Lévi avec ses attributs, © Collection Famille Gross. P. 10 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P.10 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 12 : Linteau de la synagogue d’Echtemoa, Domaine public, Photographe David Bena, https:// commons.wikimedia.org/w/index.php?search=Eshtemoa&title=Special:MediaSearch&go=Go&type=image. P.12 : Chapiteau de la synagogue de Kfar Nahum, Domaine public, Photographe James Emery, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Menorah_on_column_capital_0955_ (507865195).jpg. P. 13 : Chapiteau de la synagogue de Kfar Nahum, Domaine public, Photographe James Emery https://commons.wikimedia. org/wiki/File:Menorah_on_column_capital_0955_(507865195).jpg. P. 15 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 16 : Le scribe accroupi, Musée du Louvre, Domaine public, Attribution : Rama https://commons.wikimedia.org/wiki/File:The_seated_scribe-E_3023-IMG_4267- gradient-contrast.jpg. P. 17 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 17 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 18 : Bible de Perpignan © Bibliothèque nationale de France, Paris, hébreu 7, folios 12v et 13r, 1299. P. 19 : Bible de Perpignan © Bibliothèque nationale de France. P. 21 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 22 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 23 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 24 : Hanoukkia, Italie © Collection Famille Gross. P. 25 : Hanoukkia, Italie, © Collection Famille Gross. P. 27 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 28 : Arnaud de Corcelles dans la synagogue de Bordeaux, © Collection MAHJ. P. 28 : Synagogue Casale Monferrato © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 29 : Synagogue des Tournelles © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 30 : Tympan Synagogue de Bordeaux, Art Directors &TRIP /Alamy Stock Photo. P. 31 : Porte Synagogue de Bordeaux, Art Directors &TRIP /Alamy Stock Photo. P. 33 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 34 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 34 : Symbole de l’Etat d’Israël, Domaine public. P. 35 : Plafond opéra de Paris par Marc Chagall, Domaine public. P. 35 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 36 : Vitrail de Marc Chagall, P. Spiro / Alamy Stock Photo. P. 37 : Vitrail de Marc Chagall, P. Spiro / Alamy Stock Photo. P. 39 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 40 : Mils et Agora, © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 40 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 40 : Timbre vitrail de Chagall, Collection particulière. P. 41 : Prouta, 1950-1960, Collection particulière. P. 41 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P.42 : Pièce de 10 Agorot, Collection particulière. P. 43 : Agora, 1960, Collection particulière. P. 48 : Ménorah de la Knesset © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 48 : Ménorah de la Knesset © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 48 : Ménorah de la Knesset © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 48 : Ménorah de la Knesset © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 43 : Agora, 1980 P. 43 : Agora, 1985 P. 45 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 46 : Ménorah de Westminster, © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 47 : © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 48 : Ménorah de la Knesset © Editions ADCJ, Le Voyage de Betsalel. P. 49 : Ménorah de la Knesset © imageBROKER / Alamy Banque d’images. Graphisme, illustrations : David Soulam Impression : Danny Battat Publié par les Editions ADCJ 56 rue Hallé, Paris 75014, France – Courriel : contact@adcj.org Dépôt légal : Septembre 2022, ISBN 978-965-91970-8-8 Imprimé en Israël
Le Nouveau Ghetto
Le Nouveau Ghetto Une pièce de Théodore Herzl A la redécouverte du théâtre juif Le Nouveau Ghetto Une pièce de Théodore Herzl A la redécouverte du théâtre juif Nous remercions pour leur soutien à la publication de cet ouvrage : La Fondation du Judaïsme Français La Fondation pour la Mémoire de la Shoah Le Fonds Social Juif Unifié Nous exprimons notre reconnaissance à la famille Gross, au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme qui nous ont autorisés à utiliser les photographies de leurs fonds. Nous remercions pour leur contribution, remarques et conseils : Yehuda Moraly, Georges Weisz, Nathalie Serfaty, Isabelle Cohen,Philippe Levy, Richard Sitbon, Aline Schapira, Colette Goldberg, Edith Sidi, Michel Rottenberg, Florence Soulam. © Editions ADCJ – Le Voyage de Betsalel, 2018 ISBN : 978–965–91970–5–7 Auteur : Théodore Herzl Traducteurs : Yehuda Moraly et Michèle Fingher Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou partielle sont réservés pour tous les pays. Editions ADCJ, 56 rue Hallé, Paris, 75014, France. contact@adcj.org Portrait de Théodore Herzl en micrographie, Washington DC, 1929 Le Nouveau ghetto de Théodore Herzl Qu’est-ce qui a amené Théodore Herzl à devenir un leader sioniste ? A priori, rien n’annonçait un tel engagement : Herzl était un Juif assimilé, on ne trouve pas trace de mariage religieux avec sa femme, Julie Naschauer, et on sait que son fils Hans n’a pas été circoncis. D’ailleurs, voici un extrait de l’une de ses lettres, écrite le 27 décembre 1892 : J’ai un fils. Pour son bien, je préfèrerais me convertir aujourd’hui plutôt que demain, afin qu’il appartienne le plus tôt possible à la communauté chrétienne, et que lui soient épargnées les souffrances et les humiliations que j’ai supportées et continuerai de supporter parce que Juif. Or à peine trois ans plus tard, en 1895, il envisage de créer un Etat juif et s’adresse au baron Hirsch et au baron Edmond de Rothschild pour concrétiser son projet. Quels sont donc les événements qui ont motivé un tel revirement ? La dégradation d’Alfred Dreyfus dans la Cour des Invalides, le 5 janvier 1895, à laquelle il a assisté en tant que correspondant de la Neue Freie Presse ? Les scandales financiers dans lesquels des Juifs étaient impliqués ? C’est probable. Mais la biographie de Herzl signale un autre élément : l’écriture d’une pièce de théâtre qui lui fait soudain prendre conscience de l’impasse dans laquelle se trouvent les Juifs en Diaspora, et c’est un constat dramatique : les Juifs n’ont rien à faire à Vienne ni ailleurs ; quoi qu’ils fassent, quels que soient leur statut social, leur moralité, leur désir de s’intégrer, il subsistera toujours un écran qui les séparera des non-Juifs. Cette pièce, écrite en 1894 et dénommée Le Nouveau Ghetto, est d’ailleurs la seule où Herzl met en scène des personnages juifs1. Ce serait donc le théâtre qui aurait conduit Herzl sur la voie du sionisme ? La plupart des gens ignorent en effet qu’il a été un auteur dramatique prolifique : entre 1880 et 1905, il écrit au moins dix-sept pièces, la plupart d’entre elles – parmi celles acceptées par les directeurs de théâtre – ayant été jouées à Vienne, mais ses textes ont presque tous été perdus (à la Bibliothèque Nationale de Vienne on ne trouve que le texte allemand de sa première pièce, Compagniearbeit, une comédie en un acte datant de 1880.) Deux pièces ont été traduites en anglais : Das neue Ghetto – Le Nouveau Ghetto, écrite en 1894 et jouée pour la première fois en 1898, et I love you, comédie en un acte écrite aux alentours de 1900. Solon in Lieden, publiée en 1905, a, elle, été traduite en hébreu. C’est sur Le Nouveau Ghetto que va se porter notre réflexion, car cette pièce est tout à fait remarquable de par sa modernité : Herzl s’y confronte au problème de l’assimilation, voire à celui de toute présence juive dans une société étrangère. AVANT même la dégradation de Dreyfus dans la Cour des Invalides – ce qui tendrait à démontrer que cette scène n’aurait pas été le seul déclencheur de son sionisme – il avait déjà pris conscience de la « nécessité » d’un Etat juif. La pièce n’étant pas disponible en français, j’ai travaillé à sa traduction aux côtés du professeur Yéhuda Moraly de l’Université Hébraïque de Jérusalem. (Il en existe une version en anglais de 1955 et une en hébreu de 1960). 1 Georges Weisz, Theodor Herzl une nouvelle lecture, Editions L’Harmattan, Paris, 2006. Avant d’entrer dans le vif du sujet, commençons par camper le paysage historique. Nous décrirons ensuite la trame de la pièce et nous nous efforcerons enfin d’en dégager son importance dans l’itinéraire de Herzl, en nous intéressant à ses personnages juifs. Bref rappel du contexte historique On sait que les Allemands et les Autrichiens aiment la précision, aussi disposons-nous de statistiques précises sur les Viennois de « confession mosaïque ». Entre 1857 et 1910, la capitale autrichienne voit sa population totale multipliée par 5 et sa population juive par 28 : on compte, en effet, en 1857, 6 217 Juifs viennois sur une population de 476 220 habitants, et, en 1910, plus de 175 000 Juifs sur une population d’un peu plus de deux millions. En quelques décennies, Vienne est devenue l’une des grandes métropoles juives d’Europe centrale. Les Juifs, qui viennent de tout l’Empire, ont vite compris que la voie d’accès aux professions libérales passe par l’enseignement supérieur. En 1890, soit quatre ans avant qu’Herzl écrive Le Nouveau Ghetto, les statistiques officielles révèlent que 48% des étudiants de la faculté de médecine sont juifs. Durant la décennie 1885-1895, 42% des avocats et médecins viennois sont d’origine juive, et on passe à 63% sur la période 1900-19102. Les Juifs viennois assimilés se considèrent comme Allemands d’Autriche et souhaitent donc être reconnus comme tels, mais les militants nationalistes nient que les Juifs fassent partie du peuple allemand et qu’ils aient 2 Jacques Le Rider, Les Juifs viennois à la Belle Epoque, Editions Albin Michel, Paris, 2013. quelque lien que ce soit avec la culture allemande. Le mouvement pangermanique milite pour l’union de tous les Germains et des peuples d’origine germanique (Anglais, Scandinaves, Néerlandais, Autrichiens) afin de constituer la « Grande-Allemagne ». Le parti chrétien-social remporte les élections municipales de 1895 sur un programme antisémite : Karl Lueger, connu pour son antisémitisme notoire, devient maire de Vienne en 1897. Herzl a 18 ans lorsque sa famille s’installe à Vienne après le décès de sa sœur Pauline. Il y souffre d’une double marginalité : en tant que Hongrois, dans une ville où ils sont souvent mal vus, et en tant que Juif, à l’heure où, nous venons de le voir, l’antisémitisme prend une place de plus en plus importante. Ce sentiment de marginalité va le pousser dans un premier temps à « surcompenser », en adhérant à une ligue d’étudiants allemands – Albia – xénophobes et antisémites, portant le sabre, la casquette et l’écharpe aux couleurs noir et jaune de l’Autriche. Le 11 mai 1881, Herzl se soumet à l’épreuve obligatoire du duel. Deux ans plus tard, la mort de Richard Wagner met fin à cette volonté d’assimilation : Albia organise une cérémonie en l’honneur du grand compositeur, et un dirigeant de la ligue y prononce un discours particulièrement antisémite. C’est un premier avertissement pour Herzl : en signe de protestation il envoie sa démission, mais la confrérie ignore son geste et l’exclut purement et simplement. Il en sera marqué pour longtemps. La trame de la pièce Herzl a superbement choisi le cadre de sa pièce : les scandales financiers, nombreux en cette fin de 19ème siècle, sont prétextes au développement d’une féroce haine anti-juive. Pensons à la faillite de l’Union Générale en 1882, à l’affaire de Panama dix ans plus tard, et à la manœuvre de Nathan de Rothschild à la Bourse de Londres au lendemain de Waterloo (pour la petite histoire, Nathan de Rothschild aurait connu l’issue de la bataille de Waterloo deux jours avant l’opinion publique anglaise grâce à son réseau d’informateurs, il aurait alors fait courir le bruit de la victoire de Napoléon afin de s’emparer des actions de l’industrie anglaise en forte baisse.) Mais revenons au théâtre. La pièce se divise en quatre actes et l’intrigue se déroule sur trois plans. D’un côté, Herzl nous montre le monde de la Bourse avec les spéculateurs qui s’enrichissent, ou au contraire perdent toute leur fortune en agissant sur les cours. Appartiennent à cet univers trois personnages : un aristocrate autrichien qui a hérité d’une mine de charbon – von Schramm – et deux Juifs férus de questions boursières – Fritz Rheinberg, qui va perdre jusqu’à son dernier centime dans une spéculation sur les cours de la mine de von Schramm, et Wasserstein, un petit Juif malin qui va se retrouver à la tête d’une véritable fortune. Bien entendu, ces manipulations n’ont aucun rapport avec la valeur réelle du capital, à savoir une mine de charbon. De l’autre côté, l’auteur met en scène un avocat sans le sou, Jacob Samuel, l’alter ego de Herzl, sorte de Don Quichotte prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Ce personnage, beau-frère de Fritz Rheinberg, reçoit la visite d’un ouvrier qui travaille dans la mine détenue par von Schramm. Celle-ci, mal entretenue, risque de s’effondrer d’un jour à l’autre. Jacob Samuel prend alors le premier train pour aller conseiller (gratuitement bien sûr) les mineurs de faire grève. Cette grève va entraîner la baisse des titres et, par contrecoup, la ruine de son beau-frère Fritz Rheinberg et de von Schramm. Le troisième monde est celui des relations entre Juifs et non-Juifs. On apprend que von Schramm (capitaine de cavalerie à la retraite et antisémite notoire) et Jacob Samuel (avocat juif sans le sou) se connaissent de longue date : Jacob avait refusé quelques années auparavant de se battre en duel contre von Schramm à propos d’une peccadille (en fait parce qu’il devait veiller son père gravement malade), ce refus l’ayant fait passer pour un lâche – tare traditionnellement attribuée aux Juifs. Après l’effondrement des cours de la mine et la ruine de von Schramm, celui-ci accuse Jacob non seulement d’être un lâche, puisqu’il a refusé de se battre en duel, mais aussi d’avoir joué un rôle décisif dans le déclenchement de la grève et donc d’être partie prenante de ce qu’il considère être un complot contre lui. Il laisse éclater sa colère et traite Jacob de « sale Juif ». Jacob gifle alors von Schramm, et meurt quelques jours plus tard en duel… Les duels étaient fréquents à l’époque et défrayaient la chronique : Herzl a bien fait d’y faire référence car, on le voit, c’est un marqueur de la frontière qui sépare Juifs et non-Juifs, et enferme les premiers dans le « nouveau ghetto ». Ceux qui la franchissent peuvent le payer de leur vie. On rappellera ici d’autres duels analogues pratiquement contemporains : celui d’Arthur Meyer et d’Edouard Drumont en 1886, celui d’Edouard Salomon et de Carl Vering en 1890 près de Fribourg, et celui qui opposa le marquis Amédée de Morès, un bretteur professionnel antisémite, au capitaine Armand Mayer en 1892. Les personnages juifs Il y a dans Le Nouveau Ghetto huit personnages juifs qui ne jouent pas tous un rôle essentiel dans l’intrigue. A travers ces personnages, Herzl a voulu faire le tour des différentes catégories de Juifs viennois à la fin du 19ème siècle. Passons-les rapidement en revue : Le docteur Bichler, ami de la famille, qui s’est converti, Frau et Herr Samuel, les parents de Jacob Samuel, Le jeune marié, Jacob Samuel, avocat, Sa nouvelle épouse Hermine et ses parents, Sa sœur Charlotte mariée au riche Fritz Rheinberg, Wasserstein, un Juif parvenu, mal habillé et sans éducation, Le Rabbin Friedheimer. Deux personnages non-Juifs ont une place particulièrement importante dans l’intrigue : Le comte von Schramm, capitaine de cavalerie, Franz Wurzlechner, ami de Jacob Samuel. Nous commencerons par les personnages qui, sans jouer de véritable rôle dans l’action, représentent le thème réel de la pièce : les différentes options dont disposent les Juifs dans une société qui les maintient dans un « nouveau ghetto ». Plus de hauts murs, mais un refus implacable de les admettre pour ce qu’ils sont : nous parlerions aujourd’hui de « plafond de verre ». Le docteur Bichler s’est converti pour, dit-il au début de la pièce, « résoudre le problème juif d’un point de vue individuel ». En d’autres termes, pour tenter de la sorte d’échapper à l’antisémitisme ambiant et passer dans le camp du vainqueur. Deux lignes plus bas, il concède : « J’ai essayé de résoudre le problème juif. Entre nous, cela n’a rien résolu du tout. » Point besoin d’épiloguer, la sentence est sans appel. Cette « solution » n’en est pas une. Il n’est plus bienvenu dans la société juive et reste suspect chez les non-Juifs. Il est probable que si Herzl a choisi de ne pas argumenter davantage, c’est que la cause est entendue : inutile de prêcher des convaincus ! Frau et Herr Samuel, les parents de Jacob Samuel, dans un tout autre registre, sont commerçants et représentent le couple juif classique des immigrants de la première génération, attachés aux valeurs familiales et encore proches de la tradition. Voici les conseils qu’ils donnent à leur fils et à leur bru, le jour de leur mariage : Frau Samuel : Et maintenant mon fils, va vers ta nouvelle vie avec dignité et bon sens ! Sois le maître de ta maison, mais ne sois pas un tyran ! Souviens-toi, elle n’est qu’une enfant ! Elle ne sait pas comme la vie peut être dure. Toi tu as vu comment nous nous sommes battus pour le pain quotidien, mais elle n’a pas été élevée dans des conditions aussi modestes. Epargne-lui les soucis superflus, mais laisse-la partager tes chagrins. Laisse-la s’amuser, mais ne tolère pas la frivolité. Vis selon tes moyens, autrement tu seras forcé de t’abaisser. Tu es un homme d’honneur, c’est comme ça que nous t’avons élevé ! Tu ne dois pas t’abaisser pour de l’argent. Herr Samuel : Ecoute-bien ce qu’elle te dit, mon fils, je ne pourrais pas mieux parler. Et plus loin, en s’adressant à sa bru Hermine : Frau Samuel : Moi-même je n’ai pas reçu une éducation très poussée. Je sais à peine écrire aujourd’hui, mais pour le bien de mon enfant, j’ai appris autant que je pouvais. J’ai appris à parler allemand plutôt que yiddish pour qu’il n’ait pas honte de moi. Essayez d’être toujours à ses côtés pour qu’il y ait une bonne entente entre vous et qu’il se sente heureux, même quand les premiers temps de l’amour seront passés. Hermine : Oh ! L’amour ne passera pas si vite ! Frau Samuel : Face à son mari, une femme juive a un rôle bien plus important qu’une non-juive. Nos maris souffrent tellement dans le monde. Leur maison doit être une vraie maison. Faites-vous belle pour lui seul. Ne pensez qu’à lui, ne vivez que pour lui ! Immédiatement après la mort de son fils Jacob, à la fin de la pièce, Herr Samuel dit encore: « Le Seigneur a donné, le Seigneur a repris. Béni soit le nom du Seigneur. » On ne peut s’empêcher de penser que, quelles que soient leur noblesse et leur dignité, ces gens sont des vaincus, ils ont fait fausse route. Leur fils est mort en duel malgré sa droiture, son sens de la justice et sa générosité. Quoi de plus étranger à la culture du Schtetl ? Il ne suffit pas d’être un Mensch pour s’en sortir. Wasserstein incarne un tout autre type : celui du Juif dont les ambitions se limitent à gagner de l’argent. Il est sans illusions et sait qu’il ne sera jamais accepté par la société non-juive, ni même peut-être par la bonne société juive assimilée. Il le regrette sans doute mais n’en fait pas un drame pour autant ! Wasserstein : Moi il faut que je paye pour tout. Il faut que je paye pour l’amitié, il faut que je paye pour l’amour, il faut que je paye pour que les gens me traitent correctement. C’est comme si j’étais toujours au restaurant. Même quand je suis bourré aux as, par devant on me dit « Monsieur de Wasserstein » et dans mon dos on me fait la grimace. Habile à la Bourse, il a vendu ses actions de la mine avant qu’elles s’effondrent, et les a rachetées en sous- main avant qu’elles remontent, asséchant ainsi le marché. C’est également lui qui met son chapeau et récite le Shéma lors de la mort de Jacob. Il est sans nul doute, du point de vue de l’auteur, celui qui s’en sort le mieux, mais on pressent que la « solution » qu’il adopte ne fonctionnera pas à la prochaine génération : Herzl lui fait d’ailleurs dire qu’il ne se mariera peut-être pas. Le Rabbin Friedheimer adopte une stratégie totalement différente, que l’on pourrait rapprocher de celle des ultra-orthodoxes français ou américains d’aujourd’hui. Il refuse l’assimilation et même l’intégration : il va jusqu’à conseiller de se tenir autant que possible à l’écart de la société non-juive afin de ne pas en épouser les querelles. Il a la mémoire longue et fait volontiers référence au lointain passé. Il est à cet égard bien plus clairvoyant que les autres. Mais sa nostalgie du ghetto, dont les murs protégeaient des tentations de la société extérieure, ne saurait déboucher sur rien de concret. Impossible de revenir des siècles en arrière. Cette voie est fermée au plus grand nombre. Le Rabbin lui-même, qui joue en Bourse pour aider les nécessiteux de la communauté, ne peut pas éviter de se frotter au monde moderne. Jacob Samuel est beaucoup plus complexe et intéressant. Il représente ces Juifs de la deuxième génération, bien éduqués (il est avocat, leur profession de prédilection), qui se sont éloignés de la tradition mais n’ont pas rompu avec celle-ci (il se marie sous la ’Houpa). Ils ne cachent pas leur judéité mais la définissent essentiellement par leur adhésion à des idéaux universalistes, de justice sociale en particulier, de façon analogue à celle de nombreux Juifs libéraux américains d’aujourd’hui. Herzl devait sans doute s’identifier à ce courant avant de fonder le sionisme et de promouvoir une attitude beaucoup plus radicale. On sent qu’il lui en coûte de renoncer à ce modèle. Jacob intègre les valeurs de la société autrichienne et espère profondément qu’une synthèse avec la tradition juive de générosité offrira la voie royale permettant aux Juifs tels que lui d’en devenir membres à part entière. Tout se passe comme si Jacob faisait fi de l’avertissement du Rabbin Friedheimer. Celui-ci l’avait pourtant prévenu qu’il était dangereux de sortir du ghetto. Voilà ce qu’il lui avait raconté pour le prévenir : Le Rabbin : Je vais vous raconter une histoire que j’ai trouvée dans les chroniques juives de Rabbi Josué de Spire. C’est une histoire qu’il a écrite quelque part sur la route, après l’une des nombreuses expulsions des Juifs de la région du Rhin. C’était pendant le mois d’Av de l’année 5143, au 14ème siècle selon leur compte. Il y avait des signes de troubles à Mayence. L’une des histoires concerne un jeune homme prometteur, Moïse Ben Abraham, le fils d’un marchand. Il voulait devenir un érudit. Un soir d’été, il était assis, en train d’étudier les anciens livres de nos Sages. Soudain, il entend une voix qui criait au secours dans la nuit. Il se penche à la fenêtre, mais la voix venait de l’extérieur du ghetto. Les cris étaient de plus en plus désespérés. Moïse était bouleversé. Il a voulu sortir de la maison, sa mère l’a arrêté et lui a demandé pourquoi il voulait sortir si tard dans la nuit. « Mère ! J’entends crier au secours ! » répondit-il et il disparut dans le noir. Comme il tardait à revenir, sa mère de plus en plus inquiète est sortie à sa recherche. Elle non plus n’est pas revenue. Le matin suivant, Moïse a été retrouvé poignardé juste à côté du portail du ghetto. À côté de lui, sa mère était assise, un sourire indéfinissable sur les lèvres. Elle était devenue folle. Eh bien, qu’est-ce que vous pensez de cette histoire ? Jacob : Mon cœur approuve Moïse de Mayence. Je suis fier de lui. Nous devrions tous le prendre comme exemple. Parfois, l’appel au secours n’est pas un piège. A l’instar de Moïse de Mayence, Jacob se précipite pour aider les mineurs en détresse et se retrouve face au comte von Schramm, propriétaire de la mine, fort mécontent qu’on se soit mêlé de ses affaires. Jacob s’est fait des illusions. Quoi qu’il fasse pour porter secours et se comporter en gentilhomme, il gardera toujours l’étiquette du Juif avec tous ses stéréotypes : lâcheté, manigance, cupidité. Jacob a tenté de sortir du ghetto mais n’y est pas parvenu. Pire, devant les insultes répétées de von Schramm, il se bat avec les mêmes armes que son adversaire, bien mieux entraîné. C’est ainsi que contrairement à David de la Bible, qui utilise une fronde contre Goliath, Jacob accepte les règles fixées par les non-Juifs, et en meurt. Pour Jacob, l’alter ego de Herzl, il n’y a aucun espoir. Les Juifs comme Jacob, valeureux et généreux, doivent rester dans le ghetto ou mourir. Les deux personnages non-Juifs, le capitaine von Schramm et Franz Wurzlechner, ne sont pas décrits de façon positive. Si von Schramm est le capitaine de cavalerie antisémite par excellence, Wurzlechner, l’ami proche de Jacob, choisit d’adhérer à un parti antisémite afin de favoriser sa carrière. Conclusion Théodore Herzl avoue à son ami Arthur Schnitzler avoir écrit Le Nouveau Ghetto en trois semaines, « dans un état de délire et d’exaltation ». Mais la pièce est mal reçue : il ne parvient à la faire jouer après beaucoup d’efforts qu’en 1898, soit plus de trois ans après l’avoir écrite, et après le premier Congrès Juif. Nous pensons qu’elle a été tout à fait incomprise. On y a vu une satire féroce des Juifs de Vienne, présentés comme cupides pour les uns, et naïfs et socialisants pour les autres. Enfin pour couronner le tout, du point de vue des directeurs de théâtre soucieux de remplir leurs salles et d’éviter le scandale, Le Nouveau Ghetto serait une sorte de caricature des classes dirigeantes non-juives. En effet, les personnages qui les représentent, von Schramm et Wurzlechner, sont dépeints l’un comme un arrogant crétin antisémite, l’autre comme un opportuniste, capable de rompre avec un ami afin de favoriser sa carrière politique en adhérant à un parti antisémite. Les Juifs en quête d’assimilation, ou simplement d’intégration, font fausse route et poursuivent une chimère. Les Juifs qui rêvent d’un ghetto aux murs protecteurs pèchent par manque de réalisme. En d’autres termes, si l’acte de naissance du sionisme date de 1898, il était en germe dès 1894, et Altneuland (1902), est la réponse au Nouveau Ghetto. Michèle Fingher Personnages Herr Hellman et Frau Hellman Leurs filles (Charlotte Rheinberg et Hermine Samuel) Herr Samuel et Frau Samuel Jacob Samuel, leur fils Fritz Rheinberg Emanuel Wasserstein Le Rabbin Friedheimer Comte von Schramm, capitaine de cavalerie à la retraite Dr. Bichler Franz Wurzlechner Peter Vednik Un employé Première et deuxième servantes La cuisinière Le maître d’hôtel L’action se déroule à Vienne en 1894. Première page du manuscrit Das Neue Ghetto, Paris, 1894. (Un salon, élégamment meublé dans le style de la fin des années soixante-dix. Beaucoup d’or. Beaucoup de cadeaux de mariage et énormément de fleurs.) Scène 1 Première servante (Elle se penche à la fenêtre pour regarder.) : Tu vois quelque chose ? Deuxième servante : Rien du tout. La cuisinière (assise) : Il prend son temps, le Rabbin. Les mariages des riches, ça prend du temps. Deuxième servante : Drôlement riches ! Vous avez vu les diamants qu’ils ont, gros comme des rochers ! La cuisinière : Bien sûr, ce sont des Juifs ! Première servante : Ça va comme ça, la cuisinière. La cuisinière : Rien à faire dans la cuisine. (un geste de mépris) Tout vient du traiteur. Première servante (Elle s’assoit à côté d’elle.) : Elle était jolie comme une image, notre Mlle Hermine dans sa robe de soie blanche. Deuxième servante (Elle les rejoint.) : Je préfère le marié ! La cuisinière : Pas moi ! C’est un Juif ! Quel nez ! Deuxième servante : C’est un jeune homme très bien ! Première servante : Très gentil aussi, je le connais. Dr. Bichler (Il entre en souriant.) : Bon après-midi, mesdames ! Les deux servantes (Elles se lèvent, embarrassées.) : Oh, voilà le docteur ! La cuisinière (Elle se lève lentement.) : Bonjour monsieur. Dr. Bichler : Comment allez-vous, ma chère cuisinière ? La cuisinière : J’ai mal aux pieds. Ça me tue ! Pas étonnant ! Debout toute la journée sur les carreaux de la cuisine. Dr. Bichler : Je vais vous donner de l’aspirine. La cuisinière : Merci beaucoup, Docteur. (Elle sort.) Dr. Bichler (Il consulte sa montre.) : La réception est à trois heures. Personne n’est encore revenu de la synagogue ? Deuxième servante : Non, monsieur. Dr. Bichler : Est-ce que mon cadeau est arrivé ? Première servante : Quel cadeau, Docteur ? Dr. Bichler : Un vase en porcelaine. Première servante : Tout ce qui est porcelaine est là- bas. Dr. Bichler : Voudriez-vous me le montrer ? (Il sort, suivi par la première servante.) Scène 2 Wasserstein (Il entre à droite, vêtu d’un costume soigné, mais usé jusqu’à la corde ; son chapeau de soie est vieux mais soigneusement brossé.) : Bonjour ! Ils ne sont pas encore revenus ? Deuxième servante : Non. Qu’est-ce que vous voulez ? Wasserstein : Que voulez-vous dire, ce que je veux ? Je veux féliciter les mariés. Je suis un invité ! Aussi vrai qu’on m’appelle Wasserstein. Deuxième servante : Eh bien, attendez ! Wasserstein (regardant autour de lui) : Ça c’est de la classe ! Quelque chose ! (Il examine les meubles comme un acheteur.) Le grand style, pas tout neuf, bien sûr, mais je pourrais en offrir 800 guldens pour le tout. Mettons 750. Mais vraiment, ça vaut la peine. (Il soupire.) C’est bien ma chance. (Il tâte les rideaux.) Quelle qualité ! Top of the top ! (La deuxième servante le regarde avec méfiance et le suit pas à pas.) Wasserstein (remarquant son jeu) : Ah ! Elle ne me fait pas confiance ! (Il soupire.) Wasserstein, tout est fini pour toi ! Tu as vraiment dégringolé ! (Il prend une chaise.) S’il vous plaît, Mademoiselle ! Je vous le dis, je suis un invité ! (Il voit les cadeaux de mariage.) Ce sont les cadeaux de mariage ? Deuxième servante (de plus en plus méfiante): Qu’est-ce que cela peut être d’autre ? Wasserstein (s’approchant de la table): Ça, c’est du cadeau ! C’est bien ma chance. (La deuxième servante le suit pas à pas.) Wasserstein : Un service en argent pour 24 personnes, et regardez-moi ces chandeliers ! Du solide, de l’argent, bien que l’argent, ça ne coûte pas beaucoup ! (Il soulève un chandelier.) Deuxième servante : Reposez-le à sa place ! Wasserstein : Ne me parlez pas de cette façon, ma fille, je suis un invité, je vous le dis ! Deuxième servante : Reposez ça immédiatement ! Wasserstein : Si vous le prenez comme ça … très bien ! Je peux regarder quand même ? Avec les yeux je ne peux rien prendre ! (Il met ses mains derrière son dos et se penche sur la table.) Scène 3 Dr. Bichler (Il entre par la gauche.) : Hein, ça c’est du solide, M. Wasserstein ! Wasserstein (surpris) : Docteur Bichler, quel honneur ! Vous m’avez reconnu ? Dr. Bichler : C’est normal, non ? Wasserstein : Vous savez, quand un homme n’a plus d’argent, les gens ne le reconnaissent plus. Tout à coup, ils sont myopes, c’est comme s’il y avait une épidémie de myopie. Dr. Bichler (s’assoit) : Pourquoi rester debout ? Wasserstein : Oui, pourquoi ? (à la seconde servante) Vous voyez bien, Mademoiselle, je suis un invité. (au Dr. Bichler) Elle se méfiait de moi. (Il s’assoit.) Dr. Bichler (Il rit.) : Je réponds de lui ! Deuxième servante (gênée) : Comment j’aurais pu savoir ? (Elle sort.) Dr. Bichler : Vous connaissez donc des hauts et des bas, mon cher ami ? Wasserstein : Vous parlez de bas, je suis tout en bas, dans une cave, une cave inondée, au sous-sol ! Dr. Bichler : La Bourse ? Wasserstein : J’ai tout perdu, jusqu’au dernier centime ! Et maintenant… Dr. Bichler : Vous continuez avec la Bourse ? Wasserstein : Evidemment ! Bien sûr, j’ai des dettes et je ne peux pas trop me montrer là-bas. Dr. Bichler : Ça c’est embêtant ! Alors qu’est-ce que vous faites maintenant ? Wasserstein : Toujours la Bourse. Je m’occupe. Dr. Bichler : Je vois, de l’extérieur ? Wasserstein : Non, je suis à l’intérieur du bâtiment. Rheinberg – vous savez, celui qui a épousé l’autre fille Hellmann – il a arrangé ça pour moi. (Il soupire.) Il est sur une bonne affaire. Je travaille pour lui maintenant. En fait, si je suis là c’est seulement pour lui transmettre les cotations de clôture. Je n’ai plus rien à faire ici. Dr. Bichler : Que voulez-vous dire ? Wasserstein : Vous ne saviez pas ? C’est moi qui devais épouser Mlle Hermine ! Tout était réglé. Dr. Bichler : C’est pas vrai ? Wasserstein : Aussi vrai que je vis, aussi vrai que je respire, ou plutôt aussi vrai que j’ai vécu et que j’ai respiré quand mon costume était flambant neuf. Dans un sens, c’est elle qui a causé ma chute ! Dr. Bichler : Qui ? Mlle Hermine ? Wasserstein : Bien sûr ! Il faut beaucoup d’argent pour se marier avec une fille Hellmann. Dr. Bichler : Monsieur Hellmann n’est pas si riche ! Wasserstein : Difficile à savoir ! 100 000 guldens, la plus grande partie est dans son entreprise. S’il venait à mourir, ce qui j’espère ne devrait jamais arriver… (Le Dr Bichler se met à rire.) En un mot, pas beaucoup d’argent, mais un grand train de vie. Les filles ont été élevées pour se marier avec des millionnaires. Quand je suis tombé amoureux de Mlle Hermine, je me suis dit : « Wasserstein, tu dois devenir millionnaire ». Comme modèle, j’ai pris Rheinberg, c’est l’autre gendre, celui qui s’est marié il y a trois ans avec Mlle Charlotte. J’ai travaillé comme un fou pour avoir Mlle Hermine. J’ai joué à la hausse avec les portugaises. Dr. Bichler : Vous avez joué à la hausse avec les portugaises ? Wasserstein : C’est une manière de parler. Cela veut dire qu’on achète et qu’on achète. J’ai acheté et j’ai pas arrêté d’acheter. Et tout est tombé. Les portugaises se sont effondrées. Oh je me suis battu ! Dr. Bichler : Et vous avez perdu la bataille. Wasserstein : Comme un vrai général. Dr. Bichler (Il se lève et fait quelques pas.) : Ah, l’amour ! L’amour ! Roméo à la Bourse, à la conquête du marché ! Wasserstein : Mon cher docteur, j’étais dans un tel état, je pouvais à peine dire combien font deux et deux. Je n’arrêtais pas de penser à elle. Cette fille, j’en étais fou ! C’est la plus belle fille que je connaisse, des cheveux comme de l’or tressé ! Dr. Bichler : Quel lyrisme ! Wasserstein : Quel quoi ? Dr. Bichler : Je veux dire que vous parlez comme un poète. Wasserstein : Et maintenant, j’ai tout perdu, mon argent et la fille. Si au moins j’avais encore l’argent, mais les deux à la fois ! C’est bien ma chance ! Dr. Bichler : Si vous étiez plus philosophe, M. Wasserstein, vous vous rendriez compte que ce qui vous arrive vérifie les statistiques ! Wasserstein : Qu’est-ce que vous racontez ? Dr. Bichler : Parfois, à la Bourse, un coup de chance vous fait gagner le gros lot, et parfois, c’est un coup de malchance et vous perdez tout ! Rheinberg a gagné le gros lot, et vous, vous perdez tout ! Voilà, c’est très bien, ça rétablit l’équilibre. Wasserstein : Vous trouvez ça bien ? Dr. Bichler : Oui, c’est une manière philosophique de voir les choses…. Wasserstein : Je ne suis pas philosophe, moi ! Mon cœur s’est presque brisé, tout à l’heure à la synagogue, en la voyant, tout en blanc à côté du jeune Samuel. Elle tout en blanc, lui tout en noir. Je me suis dit : « Wasserstein, pourquoi avoir acheté ces portugaises ? » (Il s’essuie les yeux.) Je me suis contenu parce que je ne voulais pas qu’on me voie. J’étais si désespéré ! J’ai marché jusqu’au pont Aspern. Dr. Bichler : Jusqu’au pont ? Wasserstein : Oui, au pont ! C’est mon chemin pour aller à la Bourse ! Il y a une hausse sur les actions de la loterie turque. Dr. Bichler : Moi qui pensais que vous alliez vous suicider ! Wasserstein : Me suicider ? J’ai déjà assez de soucis ! Dr. Bichler : La vie est étrange ! Si vous aviez eu davantage de chance en Bourse, trois destinées auraient été différentes. Wasserstein : Trois destinées ? Dr. Bichler : La vôtre, celle de Mlle Hermine, et celle du jeune Samuel… Wasserstein : Vous le connaissez ? Dr. Bichler : Bien sûr, c’est moi qui l’ai introduit dans la maison ! Wasserstein : Non ! Et moi qui pensais que c’était un mariage arrangé ! Dr. Bichler : Ce n’est pas le genre de Samuel. Vous avez entendu parler de lui ? Wasserstein : Oui bien sûr ! C’est un avocat, non ? Il a beaucoup d’affaires ? Dr. Bichler : Comme ci, comme ça. Pas trop. Il ne veut représenter que des personnes honorables. Wasserstein : Et il gagne sa vie comme ça ? Dr. Bichler : Il se débrouille ! Wasserstein : Je veux dire : est-ce qu’il gagne bien sa vie ? Vous savez, Mlle Hermine, elle voudra vivre comme sa sœur, Frau Rheinberg, des beaux habits, des bijoux, le théâtre, les concerts. Tout ça c’est beaucoup d’argent. Vous croyez qu’un avocat peut gagner tout ça ? Ah ! Mais c’est vrai ! Qu’est-ce que je raconte ! Rheinberg va s’occuper de lui ! Un beau- frère comme Rheinberg, ça vaut son pesant d’or ! Il va le présenter aux banques, en tant que consul… Dr. Bichler : Vous voulez dire consultant. Wasserstein : Consul, consultant, comme vous voulez. Quoi qu’il en soit, Rheinberg va lui donner un bon coup de main. Dr. Bichler : Oui, si Samuel est d’accord… : Wasserstein : Qu’est-ce que vous voulez dire ? Il serait fou de ne pas accepter ! C’est ridicule ! Dr. Bichler : Je crains que vous ne puissiez pas comprendre, M. Wasserstein. Wasserstein : Peut-être, mais il a tellement de chance que ça ? Dr. Bichler : Je crois que vous êtes très jaloux de lui. Wasserstein : Qui, moi ? Pour vous dire la vérité, non. Emanuel Wasserstein n’est jaloux de personne. Je suis triste, c’est tout. J’étais si triste que je n’ai pas pu rester à la synagogue. Dr. Bichler : Il y avait beaucoup de monde ? Wasserstein : Tout le textile à cause de Hellmann, et un peu d’avocats. Mais vous Docteur, vous n’étiez pas là-bas, pourquoi ? Dr. Bichler (Il sourit.) : Devinez ? Wasserstein : Ah j’avais oublié. Vous vous êtes converti, n’est-ce pas ? Dr. Bichler : Le Rabbin n’est pas fou de moi, je le sais ! De son point de vue, il a raison. Et je ne veux pas offenser les Juifs pieux par ma présence. (Bruit d’une voiture qui approche.) Wasserstein : Dites-moi Docteur, pourquoi vous êtes- vous converti ? Dr. Bichler : Cela ne vous regarde pas mon cher ami, mais je vous répondrai quand même ! En me convertissant, j’ai essayé de résoudre le problème juif d’un point de vue individuel. Wasserstein : J’avoue que je ne vous suis pas. Dr. Bichler : J’ai essayé de résoudre le problème juif. Entre nous, cela n’a rien résolu du tout. Première servante : Ils arrivent ! Scène 4 (Les invités arrivent par groupes de deux ou trois, échangeant des baisers et saluent à droite et à gauche.) Jacob (profondément ému, à Hermine) : Tu es enfin ma femme. (Il soulève son voile de mariée et l’embrasse sur le front.) Hermine : Cathie, aidez-moi avec ce voile, voulez- vous ? Dr. Bichler (tendant la main à Jacob): Tous mes vœux de bonheur à vous deux. Jacob : Je sais que vos souhaits viennent du cœur et je vous en remercie. Dr. Bichler (à Hermine) : Ma chère enfant ! (à Jacob) Est-ce que je peux embrasser la mariée ? Jacob (souriant) : Avez-vous vraiment besoin de demander la permission ? (Le Docteur Bichler embrasse Hermine sur le front.) Wasserstein (à Jacob) : Mon nom est Wasserstein. Tous mes vœux ! Jacob (aimablement) : Merci beaucoup. Wasserstein : Je suis un vieil ami de la famille. Voilà pourquoi je suis là, pour vous présenter mes vœux. Jacob (attirant l’attention de la jeune mariée encore occupée avec son voile) : Hermine, un ami de la famille ! Wasserstein (s’incline avec embarras) : Mes meilleurs vœux, Madame. (Hermine le remercie en souriant. Franz Wurzlechner entre. Jacob l’aperçoit et se précipite vers lui.) Jacob : Franz, mon vieux Franz ! Hermine, c’est mon ami Franz Wurzlechner, je t’ai tellement parlé de lui. Lui et mes parents c’était ma seule famille, jusqu’au moment où je vous ai connue. Wurzlechner : J’en ai bien peur, on va nous mettre au rencart tous les trois ! Hermine : Mais pas du tout ! (Plusieurs femmes couvertes de bijoux font une splendide entrée et embrassent Hermine.) Wurzlechner : Bon, maintenant, il est temps de te dire au revoir, Jacob. Tu as autre chose à faire que de t’occuper de moi. Jacob : Tu pars ? Tu ne vas pas me faire ça, pas aujourd’hui ! Wurzlechner : Je ne connais personne ici, c’est ta réception ! Jacob : Reste encore un peu, un tout petit peu. On a passé le pire. Parle un peu avec le Dr. Bichler, tu le connais. Wurzlechner : Oh oui, je le connais. Bon, si tu veux ! Jacob : Voici mes beaux-parents ! (Wurzlechner s’éloigne vers le Docteur Bichler.) Herr Hellman (emphatique) : Sur mon cœur, mon nouveau fils ! Frau Hellman (en pleurs) : Rendez ma fille heureuse. (Jacob les embrasse tous les deux.) Dr. Bichler (à Franz) : Vous étiez à la synagogue ? Wurzlechner : Oui ! C’est tout à fait différent de ce que je connais. J’ai eu l’impression d’un manque de respect. C’est peut-être parce que les hommes ont gardé leur chapeau. Mais la musique était magnifique. Il y avait un chanteur avec une belle voix. Et l’orgue, ça m’a bouleversé ! Dr. Bichler : Ce sont des chants antiques. Ils bouleversent les gens depuis des siècles. Wurzlechner : C’est incroyable comme rien n’a changé ! Ces coutumes étrangères au milieu de nous ! C’est bizarre, même Jacob m’apparaît aujourd’hui comme un autre homme. Dr. Bichler (Il rit.) : C’est normal non ? (Ils s’éloignent tout en parlant.) Jacob : Mes parents ne sont pas encore arrivés ? Frau Hellman : Les voilà ! (Herr Samuel entre avec Frau Samuel. On les félicite.) Jacob (Il embrasse sa mère et la main de son père.) : Chers parents, voici le jour que nous avons tant attendu, depuis bien longtemps, bien avant que je ne connaisse Hermine. Et maintenant, vous avez une fille, une si jolie fille ! Herr Samuel : Que le Ciel soit loué ! Dans la famille Samuel il faut une maîtresse de maison. Un Samuel célibataire c’est quelque chose contre nature ! Regarde ta mère ! La maison Samuel continue ! Jacob : La maison Samuel ? Herr Samuel : Pourquoi pas ? Jacob : Je sais que je viens d’une famille honorable, mais un peu de sang nouveau ne nuira pas ! Espérons seulement que nos enfants lui ressemblent. Frau Samuel : Et moi je souhaite que tes enfants ressemblent à l’enfant que toi tu as été pour nous ! Ça sera ta récompense pour toute la joie que tu nous as toujours apportée. Jacob : Maman ! Frau Samuel : Et maintenant, mon fils, va vers ta nouvelle vie avec dignité et bon sens ! Sois le maître de ta maison, mais ne sois pas un tyran ! Souviens- toi, elle n’est qu’une enfant ! Elle ne sait pas comme la vie peut être dure. Toi, tu as vu comment nous nous sommes battus pour le pain quotidien, mais elle n’a pas été élevée dans des conditions aussi modestes. Epargne-lui les soucis superflus, mais laisse-la partager tes chagrins. Laisse-la s’amuser, mais ne tolère pas la frivolité. Vis selon tes moyens, autrement, tu seras forcé de t’abaisser. Tu es un homme d’honneur, c’est comme ça que nous t’avons élevé ! Tu ne dois pas t’abaisser pour de l’argent. Herr Samuel : Ecoute bien ce qu’elle te dit mon fils, moi je ne pourrais pas mieux parler. Hermine (s’approchant) : Me voici, mère ! (Elle offre son front d’abord à Herr Samuel, puis à Frau Samuel.) Frau Samuel : Monsieur mon mari ! Je veux dire quelques mots à notre fille. (Elle s’assoit.) Herr Samuel (tirant Jacob en arrière) : Je comprends que nous sommes de trop. Frau Samuel : Asseyez-vous mon enfant ! Ma chère Hermine, votre mari est quelqu’un de très maniable à condition de bien le connaître. C’est un homme fier. Cette fierté nous a causé beaucoup de souffrance, à lui et à moi. Quelquefois je suis terrifiée par son orgueil. Il était déjà comme ça quand il était petit. Insubordonné et très dur à dominer, mais plus mon intuition de mère a grandi, puisque chaque mère grandit avec son enfant, plus j’ai appris à le mener précisément par son orgueil. Faites comme moi ! Hermine : Je ferai mon possible, mère. Frau Samuel : Moi-même je n’ai pas reçu une éducation très poussée. Je sais à peine écrire aujourd’hui, mais pour le bien de mon enfant, j’ai appris autant que je pouvais. J’ai appris à parler allemand plutôt que yiddish pour qu’il n’ait pas honte de moi. Essayez d’être toujours à ses côtés pour qu’il y ait une bonne entente entre vous et qu’il se sente heureux, même quand les premiers temps de l’amour seront passés. Hermine : Oh ! L’amour ne passera pas si vite ! Frau Samuel : Face à son mari, une femme juive a un rôle bien plus important qu’une non-juive. Nos maris souffrent tellement dans le monde. Leur maison doit être une vraie maison. Faites-vous belle pour lui seul. Ne pensez qu’à lui, ne vivez que pour lui ! Hermine : Vos paroles sont pleines de sagesse et d’amour, chère maman ! Frau Samuel (l’embrassant sur le front): Mon enfant je vous remercie de les accepter de si bon cœur. Et maintenant, je ne vous ennuierai pas d’avantage. Voici votre sœur. Elle aussi, je suis sûre qu’elle a de bons conseils à vous donner. Hermine : Charlotte ? Je crois qu’elle prend les choses moins sérieusement que vous le faites. (Elle embrasse la main de sa belle-mère et se dirige vers Charlotte qui vient d’entrer avec Rheinberg.) Herr Samuel : Alors maman, vous l’avez prêché, votre sermon ? Frau Samuel : Simon, maintenant, nous avons enfin une fille. (Elle joint les mains et elle prie en silence.) Herr Samuel : Amen. Et maintenant, si on allait manger quelque chose ? Herr Hellmann : Mesdames, messieurs, les rafraîchissements sont servis ! Scène 5 Charlotte (à Hermine) : Tu as vu Frau Schlesinger à la synagogue ? Sa robe venait de Paris ! Hermine : Tu sais, dans le Temple, j’avais autre chose à penser. Charlotte : Oh là là ! Il ne faut pas exagérer tout de même ! Hermine : Charlotte ! Charlotte : Si tu avais vu ses manches, grandes comme ça ! Ça valait vraiment le coup ! Elle en jetait ! Rheinberg (Rien n’est juif dans son apparence, il a une moustache rousse à la mode des militaires prussiens ; à Jacob.) : Dans mes bras, nouveau frère ! Jacob : Frère ! (Ils se serrent la main.) Rheinberg : Pas besoin de longs discours ! Nous serons comme deux doigts de la main ! Jacob : D’accord ! Vous semblez chercher quelqu’un ? Rheinberg : Oui, un agent qui travaille pour moi. Un type du nom de Wasserstein. Vous le connaissez ? Jacob : Non, je ne crois pas. Ah, vous voulez dire ce petit homme à l’air comique ? Oui, oui ! Il était là il y a un moment. (Wasserstein entre, une coupe de champagne à la main, et mangeant avec appétit un sandwich.) Rheinberg (impérieusement) : Wasserstein ! Wasserstein (Il s’approche rapidement et parle la bouche pleine.) : 370, 266, 281, 498. Wurzlechner (Il entre et écoute avec étonnement.) : Qu’est-ce que cela veut dire ? Jacob (haussant les épaules) : Les cours de la Bourse. Viens, on va fumer une cigarette (Ils s’éloignent.) Rheinberg : Et Berlin ? Wasserstein : 99, 82, 75, 109. Le Sultan s’est foulé la cheville. C’est ce qu’on dit. Rheinberg : Tout le monde est au courant ! Wasserstein : Les mines chutent. Rheinberg : Et Paris ? Wasserstein : Réagit très mal à Londres. Rheinberg : Et qu’est-ce qu’on raconte, à part ça ? Wasserstein : À Berlin, gros marché sur les actions minières. Et ici quelqu’un achète à tour de bras. On dit que Schlesinger est derrière tout ça. Rheinberg (Il rit.) : Wasserstein, tu n’es qu’un idiot ! Wasserstein (de façon obséquieuse): Et pourquoi ne suis-je qu’un idiot, Herr von Rheinberg ? Rheinberg : Tu veux savoir qui vend à Berlin et qui achète ici à tour de bras ? C’est moi. Wasserstein (offensé) : Vous ? Avez-vous un autre agent que moi, Herr von Rheinberg ? Rheinberg : Evidemment ! Puisque tout le monde sait que tu travailles pour moi ! Maintenant ça y est, je vais me mettre au charbon. Si je t’avais vu à la synagogue, je t’aurais donné des instructions. Maintenant, c’est trop tard ! Wasserstein : Oh ! C’est bien ma chance ! Pourquoi suis-je parti avant la fin ! Mais à la synagogue, j’étais loin de penser à la Bourse ! Rheinberg : Wasserstein, tu n’es qu’un… Wasserstein : Un idiot, je sais Herr von Rheinberg ! Alors comme ça, c’est vous qui êtes derrière cette histoire de charbon ! C’est vrai que vous pensez mettre la main sur la mine du comte von Schramm ? Rheinberg : Qui est-ce qui t’a dit ça ? Wasserstein : Tout le monde en parle ! Rheinberg : C’est un mensonge ! Wasserstein : Oh ! Herr von Rheinberg, on vous a vu plusieurs fois en compagnie du comte von Schramm. Rheinberg (flatté) : Et oui, je le vois de temps en temps, le comte est un vieil ami. Wasserstein : Oui ! Vraiment ! Vous êtes l’ami du comte von Schramm ? Rheinberg (avec condescendance): Mon cher Wasserstein, j’ai beaucoup de relations haut placées. Wasserstein : Et il se montre en public avec vous ? Rheinberg : Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr, ça ne dépend que de moi ! Tu n’as pas l’air de réaliser que tout le grand monde vient à mes réceptions ! Wasserstein : Comment pourrais-je le savoir ? Vous ne m’invitez jamais, Herr von Rheinberg ! Rheinberg (changeant brusquement de sujet): Pour revenir à notre affaire, Tu peux le répéter autour de toi : ces bruits sont faux, je ne m’intéresse absolument pas à cette houillère ! Première servante (entrant toute émue): Le comte von Schramm, Madame. Jacob : Quoi ? Schramm ? Wurzlechner : Qu’est-ce qui te prend ? (Schramm entre. Type chevalin, 42 ans à peu près. Il s’approche des dames qui se lèvent en le voyant. Échanges silencieux de saluts.) Wasserstein (à part) : Qu’est-ce qu’il veut dire, tous ces bruits sont faux ? Si c’était le cas, il n’aurait pas besoin de les démentir ! Bon ! On va voir si Wasserstein est vraiment un idiot ! Mais d’abord, quelques petits sandwiches ne feront pas de mal par où ça passe ! Wurzlechner : Qu’est-ce qui te prend Jacob ? Tu as eu affaire à ce type ? Jacob : Oui, il y a des années. Une histoire vraiment désagréable. Rheinberg (à Schramm) : Je ne pense pas que vous connaissiez les parents de mon épouse ? Schramm (avec un accent prussien) : Je n’ai pas eu ce plaisir. Je ne connais que Mademoiselle Hermine ! Ah ! Ah ! Ah ! Je m’excuse ! Madame Hermine ! (Il se tourne vers les dames avec une légère condescendance.) Je ne suis là que quelques instants ! Seulement pour présenter mes respects ! Charlotte : Oh ! Vous êtes charmant ! Comme d’habitude ! Schramm : C’est tout naturel. (à Hermine) Et où est le nouveau marié ? Hermine : Jacques ! Laissez-moi vous présenter. Le comte von Schramm, mon mari ! Schramm (s’avance avec la main tendue pour serrer celle de Jacob, et au moment où il reconnaît Jacob, il retire sa main et s’incline avec sécheresse.) : Enchanté. Jacob (lui aussi s’est avancé, il regarde Schramm droit dans les yeux et s’incline avec politesse.) : Enchanté. Schramm (à part) : C’est donc lui le nouveau marié ! (Il se tourne vers les dames.) Ayez la gentillesse de me présenter à vos parents ! Charlotte : C’est pour nous un grand honneur ! Rheinberg : À votre service, comte von Schramm. (Schramm sort avec Charlotte et Hermine.) Scène 6 Wurzlechner : Tu l’as regardé bizarrement, ce n’était pas très poli ! Jacob : Si tu savais à quel point cette histoire me hante. C’était il y a cinq ans ! Wurzlechner : Qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte ! Jacob : Bien sûr, à toi je peux tout dire. Tu te souviens, il y a cinq ans, mon père était très malade. Wurzlechner : Mais bien sûr, c’est même le moment où j’ai commencé vraiment à te connaître, en voyant à quel point tu t’inquiétais pour ton père et comment tu t’occupais de lui, jour et nuit ! Jacob : Exactement, j’étais épuisé à force de le veiller toutes les nuits. Et puis une fois, j’ai laissé ma mère me remplacer. Je suis descendu au café. Je me suis assis à une table et un homme auquel je n’avais pas fait attention était déjà assis. Il y avait un journal sur la table et je l’ai pris. Ça l’a mis hors de lui ! « C’est MON journal ! » m’a-t-il dit avec grossièreté. Alors je lui ai répondu : « Votre journal ? C’est mon journal maintenant. » Il s’est mis à crier : « Remettez ce journal à sa place ! ». J’ai répondu : « Je n’ai aucune intention de le remettre à sa place. » Il a commencé à me menacer : « Vous ne savez pas à qui vous parlez. » Je lui ai répondu : « Oh là là ! Ce que vous pouvez me faire peur ! » Il s’est mis à crier : « Changez de ton ou vous allez le regretter ! ». « J’ai le ton que je veux, mon cher monsieur ». Il a complètement perdu son sang-froid. « Savez-vous qui je suis ? » Je lui ai répondu avec mépris : « Je suis sûr que vous allez me le dire. Chaque chose en son temps. » « Voici ma carte » dit-il, et il l’a jetée sur la table. J’ai sorti la mienne et je suis sorti du café. Wurzlechner : C’est la dispute la plus idiote que j’aie jamais entendue de ma vie ! Jacob : Sur la carte, il y avait écrit : Comte von Schramm, capitaine de cavalerie à la retraite. Quand je suis rentré à la maison, l’état de mon père avait empiré. Ma mère était dans tous ses états. J’étais moi-même complètement effondré. Ce n’était pas le moment de me battre en duel, même s’il n’y avait pas vraiment grand-chose à craindre, une égratignure sur le bras, ou sur le doigt, premier sang et voilà ! Mais mon père semblait être sur son lit de mort, et moi je ne pouvais pas affronter un duel et quand les témoins de Schramm sont venus le lendemain, j’ai présenté mes excuses ! (Il se couvre le visage.) Wurzlechner : Mon pauvre ami ! Jacob : À l’époque je ne t’ai rien dit. J’avais tellement honte ! Vas-tu encore me serrer la main ? Wurzlechner : Quelle question ! (Il lui serre la main.) Aucun homme raisonnable n’irait se battre en duel pour une idiotie comme ça ! Toute l’histoire est absurde du début jusqu’à la fin. N’y pense plus ! Jacob : Je n’ai pas pu oublier ! Pas moi, justement parce que je suis juif. Toi, ou des gens comme toi, vous pouvez prendre ce genre d’histoires à la légère. Quand toi, Franz Wurzlechner, arranges une affaire comme ça pacifiquement, sans se battre, tout le monde dit : « Voilà un type solide qui a la tête sur ses épaules. » Mais moi, Jacob Samuel, on va dire : « C’est un lâche ! » Wurzlechner : Balivernes ! Tu ne vas pas dire que le capitaine t’a traité de lâche parce que tu as présenté tes excuses ? Jacob : Il n’a rien dit. Pour lui, l’histoire était close, selon les règles de la chevalerie. De toute façon, il n’y a pas tellement de mérite à se battre avec un Juif. Je l’ai rencontré plusieurs fois dans la rue. À chaque fois, il me regardait droit dans les yeux. Oh ! Il aurait à peine sourcillé que je l’aurais déchiré morceau par morceau, mais non, il était impassible. Il y a des fois où j’ai même essayé de le bousculer. Wurzlechner : Quelle idiotie d’aller chercher des histoires ! Jacob : Il se défilait. Je ne pouvais tout de même pas le saisir au collet comme un moins que rien ! (baissant la voix) Tu vois, Franz, il y a au moins un homme d’honneur qui a le droit de me mépriser ! Wurzlechner : Oh ! Ça suffit, tu racontes n’importe quoi ! Schramm : Mesdames, je vous présente mes excuses. Je vous quitte. Je dois me rendre chez ma sœur. Charlotte : La comtesse Wulckolnau ! Schramm : Oui ! Wasserstein (aux invités) : Vous avez entendu ? Une comtesse ! (Les invités hochent la tête, très impressionnés.) Charlotte : Justement, j’avais une question à poser à la comtesse ! Schramm : A votre service, Madame… Charlotte : Je suis sur le point d’engager une gouvernante qui a été au service de la comtesse. Naturellement, je ne peux prendre qu’une personne qui a servi dans les meilleures familles. Et je voudrais savoir si je peux vraiment compter sur elle. Schramm : Je ferai ma petite enquête. Charlotte : Vous comprenez, lorsqu’il est question d’enfants, c’est essentiel. Après tout, on veut savoir qui leur enseigne les bonnes manières. Schramm : C’est bien naturel ! (Il claque les talons, salue et se dirige vers la sortie.) Rheinberg : Faut-il vraiment que vous nous quittiez mon cher comte ! Schramm : Il le faut, mon garçon ! Il y a trop de monde ici ! Au revoir ! (Il sort.) Wasserstein (qui a entendu) : Il y a trop de Juifs, c’est ce qu’il voulait dire ! Rheinberg : Wasserstein, tu n’es qu’un idiot ! Quand je te vois, je comprends pourquoi les gens sont antisémites ! Wasserstein (vexé) : Herr von Rheinberg ! Scène 8 Herr Hellmann : Jacques ! Le Rabbin Friedheimer veut vous dire quelques mots ! (Le Rabbin Friedheimer entre, Frau Samuel à son bras. Les invités lui cèdent le passage. Il les salue d’un signe de tête plein de dignité.) Wasserstein (se poussant en avant) : Quel honneur, mon cher Rabbin ! Le Rabbin (Il sert la main de Wasserstein en passant et s’approche de Rheinberg.) : Herr Rheinberg ! Est-il vrai que la Bourse est en train de chuter ? Rheinberg : Ce n’est pas bien grave… Wurzlechner : Pas possible ! Le Rabbin s’intéresse aux cours de la Bourse ? Jacob (au Rabbin) : Je n’en crois pas mes oreilles, mon cher Rabbin, vous vous intéressez à la Bourse ? Le Rabbin : Ce n’est pas pour mon propre compte, mon cher ami, mais pour nos pauvres. (suave) Oui, quand le marché va bien, je reçois beaucoup d’argent pour les pauvres. La Bourse sait être généreuse. Wasserstein : Quand les cours montent… Rheinberg : Silence, Wasserstein ! Le Rabbin : Nous avons tellement besoin d’argent en ce moment pour les émigrants russes que nous envoyons au-delà des mers. Pauvres gens ! Oh ! Nous autres, mes amis, nous sommes bien mieux lotis que nos coreligionnaires. Nous, au moins, nous pouvons rester dans notre patrie. Jacob : On nous supporte encore ! Le Rabbin : Nous sommes protégés par la loi. C’est vrai, on nous regarde de haut exactement comme avant, lorsque nous vivions dans le ghetto. Mais les murs du ghetto sont tombés. Jacob : Les murs qu’on voit sont tombés, pas les autres ! Le Rabbin : Il n’y a pas que du mal dans l’antisémitisme. Chaque fois que le mouvement prend de la force, j’assiste à un renouveau de la religion. L’antisémitisme nous force à nous rassembler, à ne pas abandonner le Dieu de nos pères comme plusieurs l’ont déjà fait (Il regarde sur le côté pour désigner le Dr. Bichler.) Dr. Bichler (à Wurzlechner) : Touché ! Le Rabbin : Notre Dieu nous délivre toujours de l’esclavage et parce que nous avons confiance en Lui, nous avons conservé nos antiques vertus. Jacob : Et tous nos antiques péchés… Frau Samuel (à son fils): Jacob! Le Rabbin : C’est vrai, le ghetto était sale et surpeuplé. Mais les vertus de la famille étaient fortes là-bas ! Le père était un patriarche, la mère ne vivait que pour ses enfants. Les enfants honoraient leurs parents. Ne méprisez pas le quartier juif mon cher ami, il est pauvre, mais c’est notre maison. Jacob : Je ne le méprise pas. Je dis seulement qu’il est urgent d’en sortir. Le Rabbin : Et moi, je vous dis qu’on ne peut pas en sortir. Quand il y avait un vrai ghetto, nous n’avions pas l’autorisation de le quitter sans permission sous peine d’être sévèrement punis. Maintenant, comme vous dites, les murs et les barrières sont devenus invisibles. Et pourtant nous sommes toujours confinés dans un ghetto invisible, un ghetto moral. Malheur à celui qui le déserterait ! (Il se lève pour sortir.) Jacob (qui raccompagne le Rabbin) : Rabbin, ces nouvelles barrières, nous devons les briser, comme nous avons brisé les anciennes. Les barrières extérieures doivent être brisées de l’extérieur. Mais les barrières intérieures, nous devons les briser nous- mêmes, de l’intérieur, par nos propres moyens. Frau Samuel (la main sur le cœur) : Juste Dieu ! (Le Rabbin hausse les épaules en saluant dignement les autres invités et sort.) Dr. Bichler (à Wurzlechner) : Eh bien, le goy, qu’est-ce que vous pensez de cela, vous ! Wurzlechner : Pour moi, c’est de l’hébreu ! Un monde tellement étranger ! Reconstitution du bureau de Théodore Herzl, Mont Herzl, Jérusalem (Le bureau de Jacob Samuel. Les murs sont couverts de livres.) Scène 1 Wurzlechner : Salut Jacob ! Jacob : Qu’est-ce qui t’amène ici, si tôt ! Wurzlechner : Il n’est pas si tôt, il est dix heures du matin ! Jacob (Il regarde sa montre.) : Mon Dieu ! Laisse-moi ouvrir les rideaux. Eh oui, il fait jour ! Wurzlechner : Je peux éteindre la lumière ? Jacob : Oui, si tu veux ! Wurzlechner : Tu as dû te lever très tôt ! Jacob : Cinq heures du matin. C’est comme ça tous les jours. Wurzlechner : Tu es tellement occupé ? Jacob : Pas avec mes clients. Ça, ça ne marche pas trop fort ! Wurzlechner : Mon pauvre ami ! Moi aussi, si je fermais mon bureau personne ne prendrait le deuil ! Jacob : Et tu es célibataire ! Tu n’as pas de grands besoins. Mais un ménage, c’est beaucoup de responsabilités. Ce n’est pas très drôle. Une femme mariée depuis six mois avec un budget au ras des pâquerettes. Il faut que j’emprunte, j’en ai peur. Wurzlechner : On te harcèle ? Tu as des dettes ? Jacob : Oui, plutôt ! Wurzlechner : Écoute, je viens de recevoir un petit héritage, trois mille guldens, je te les prête. Jacob : Vraiment ? Tu n’as pas idée comme cela peut m’aider. Je ne veux rien demander à mon père. Lui aussi, sa bijouterie ne marche pas bien. Je pourrais en parler à mon riche beau-frère… Wurzlechner : Mais cela ne t’enchante pas ! Jacob : Oh, il est gentil, il m’aiderait immédiatement, mais je préfère que ce soit toi ! Wurzlechner : Plus un mot ! Tu auras l’argent ce matin même ! Jacob : Quelle merveille ! Toi, mon créancier ? On croit rêver, un non-Juif prêtant de l’argent à un Juif à un intérêt exorbitant ! Wurzlechner : Mais je ne vais pas te prendre d’intérêt. Jacob : Je sais bien ! Franz, maintenant, je vais pouvoir continuer mon travail. Je ne vais plus avoir à m’inquiéter de ces horribles histoires d’argent ! Wurzlechner : Mais à quoi travailles-tu ? Tu écris ? Jacob : Quelque chose de grand, Franz, de vraiment grand ! Tu as certainement entendu dire que j’ai été désigné pour défendre des socialistes. Pauvres diables. Eh bien, j’ai appris à les connaître ! Et j’ai commencé à réfléchir à la question. Wurzlechner : Ne me raconte pas que tu es devenu socialiste ? Jacob : Bien sûr que non ! Mais peut-être ont-ils raison ? Ce n’est pas clair. Je ne suis pas pour l’abolissement du capital. Ce serait un trop grand bouleversement. La disparition de trop de valeurs culturelles. Il ne faut pas que l’esprit d’épargne et l’esprit d’entreprise disparaissent. Il est normal qu’une entreprise utile reçoive une récompense matérielle, mais jusqu’à une certaine limite. Wurzlechner : Et quelle est cette limite ? Jacob : C’est justement ce que j’essaie de déterminer ! Wurzlechner : Ah, je comprends ! Jacob : Il doit y avoir un moyen de fixer cette limite. Regarde, j’analyse un certain nombre d’entreprises, de l’employé jusqu’au patron. Je me concentre sur dix grandes firmes. Je t’épargne les détails. Et tu veux savoir ce que j’ai découvert ? La rivière a débordé ! Ce qui aujourd’hui est considéré comme moral en matière d’affaires était considéré absolument malhonnête il y a quelques années. Nous avons besoin d’édifier de nouveaux critères. Ce n’est pas encore très net chez moi, mais tu es mon ami et je peux t’en parler. Wurzlechner : Non tu ne peux pas ! Jacob : Qu’est-ce que tu racontes ? Wurzlechner : Nous ne pouvons plus être amis. Jacob : Qu’est-ce que ça veut dire ? Wurzlechner : C’était la raison de ma visite. Nous ne pouvons pas continuer à nous voir. Jacob : Franz ! Wurzlechner : Je suis vraiment désolé, je ne peux pas faire autrement ! Jacob : Mais qu’est-ce qui se passe ? Wurzlechner : C’est toi, c’est toi qui as changé, ton entourage a changé, les gens que tu fréquentes. Je n’ai rien à faire avec les Rheinberg, les Wasserstein et toute la bande ! Tu ne te rends pas compte, je ne peux pas les sentir, et depuis ton mariage je les rencontre constamment chez toi. On ne peut pas leur échapper. Ce n’est pas ta faute, c’est ton peuple. Ceci dit, quelquefois, je suis en colère contre toi. Ce n’est pas juste. De toute façon, finissons-en. On ne va pas faire ça peu à peu, en prétextant des malentendus. Coupons net. Mes sentiments envers toi n’ont pas changé. Je serai à ton service quand tu le voudras, comme je sais très bien que tu seras à mon service si j’en ai besoin. Mais, en public, il ne faut plus se rencontrer. Allez, serrons-nous la main. Jacob : Je te remercie de ta franchise. Je suis sûr que tu as réfléchi longtemps avant de me faire autant de mal. Je te remercie aussi pour ton amitié pendant toutes ces années. J’ai tellement appris de toi. Wurzlechner : Tu plaisantes ? Toi, tu as appris de moi ? Jacob : Oui, au début ce n’était pas conscient ! Des grandes choses, des petites, des inflexions, des gestes. Comment saluer sans avoir l’air obséquieux, comment se lever sans avoir l’air méfiant. Toutes sortes de choses. Wurzlechner : Vraiment, tu m’as pris en modèle ? Jacob : Pour dire la vérité, ce que j’admirais chez toi, c’est ta famille ! Comme toi, ce que tu méprises, c’est la mienne. Wurzlechner : Je n’ai jamais rien dit de semblable ! Jacob : Toi et ta famille vous avez été des citoyens libres depuis des centaines d’années. (Il sourit avec amertume.) Moi, si j’ai réussi à faire quelques pas en dehors du quartier juif, c’est grâce à toi. Tu m’as guidé. Et maintenant il faudra que je continue tout seul. En tant qu’amis, nous nous parlons pour la dernière fois. Aussi, écoute ce que j’ai à te dire : voilà, tu as étudié le droit, Franz, parce que, à Vienne, les Wurzlechner ont été avocats de père en fils. Wasserstein, lui, est aussi ce que ses ancêtres ont fait de lui, ce que leurs destinées ont fait de lui. Ce n’est peut-être pas la meilleure chose qui soit, mais ce n’est pas de sa faute. Et dans notre cas, tu vois, ce n’est pas la nature qui a fait de nous ce que nous sommes, mais l’Histoire. C’est ton peuple qui nous a fourré le nez dans l’argent. Et maintenant nous sommes supposés mépriser l’argent ? Mille ans, vous nous avez maintenus en esclavage, et maintenant vous voudriez qu’on ait des âmes d’hommes libres, du jour au lendemain ? Mais qui est vraiment libre ? Et vous, vous êtes libres ? Nous les Juifs, nous n’avons même pas droit aux petites faiblesses humaines. De toute façon, nous sommes de sales Juifs ! Wurzlechner : Jacob ! Jacob : Oui, c’est fini entre nous Wurzlechner. Tu aurais pu me donner à choisir entre toi et Wasserstein… Eh bien, je l’ai déjà fait. Ma place est avec Wasserstein, qu’il soit riche ou pauvre. Lui, je n’ai rien à lui reprocher. Et toi, je n’ai vraiment aucune raison de t’admirer. Chacun de vous vous tenez exactement où l
Jérusalem photographiée
Au 19e siècle, des pionniers de la photographie tels qu’Auguste Salzmann, Maxime Du Camp et Félix Bonfils ont été parmi les premiers à capturer des documents authentiques révélant Jérusalem et sa population. Les artistes, influencés par cette nouvelle technologie, ont été inspirés à ajouter de la couleur aux clichés. Certains ont entrepris le voyage pour mieux appréhender la lumière et ont ensuite retravaillé leurs photos tranquillement dans leur atelier. Cette rencontre entre la photographie et la peinture a donné naissance à des œuvres fascinantes, témoignant de la beauté de Jérusalem à cette époque.
Camille Pissarro
Pissaro Sommaire Camille Pissarro La jeunesse de Pissarro Pissarro de 1855 à 1894 Les salons Pissarro peintre Marchands et collectionneurs Emile Zola et l’affaire Dreyfus La scission Lexique Pour en savoir plus L’essentiel sur Camille Pissarro CAmILLE PIssARR O D’origine juive, Camille Pissarro se dit athée, anarchiste. Il a la vision d’une nouvelle expression : l’impressionnisme. Il rompt avec la palette sombre de ses prédécesseurs et choisit de peindre en extérieur pour mieux saisir la lumière. Aîné du groupe impressionniste, il peint l’homme dans une campagne marquée par les saisons, l’homme dans une ville en plein essor industriel. On ne le remarque pas de suite mais sa présence est latente. Il est considéré comme juif par ses confrères mais au moment de l’affaire Dreyfus, en 1898, Degas et Renoir lui tourneront le dos. Révolté par l’injustice des antidreyfusards il concentre cependant ses forces sur son travail, ses recherches. La jeunesse de Pissarro LA JEUn Ess E D E PIssARR O Camille Jacob Abraham Pissarro naît le 10 juillet 1830 sur l’île de Saint Thomas aux Antilles, alors sous domination danoise. Dans les registres de la synagogue de Charlotte-Amélie, sa ville de naissance, il est mentionné : Jacob Pizzaro, fils de Abraham Pizarro et de Pomié, né le 19 Tamouz 5590 qui correspond au 10 juillet 1830. (Un mariage contre nature : Le secret Pissarro, de Alice Hoffman) Camille Pissarro descend d’une famille juive d’origine séfarade établie en Espagne et au Portugal. Son arrière-grand-père, Pierre Rodrigues Alvares Pizzarro, est né au Portugal, à Bragance, un village frontalier avec l’Espagne. Son fils Joseph Gabriel, le grand-père de Camille Pissarro, naît en 1777 au Portugal et émigre à Bordeaux à la fin du 18e siècle. La famille Pizzarro s’installe à Bordeaux et à Passy aux alentours de Paris. A ce moment, ils sont marranes depuis déjà deux siècles et demi et transmettent leur judaïsme en secret de génération en génération. A Bordeaux, la communauté juive est composée de Portugais, d’Avignonnais et de Tudesques. Elle est tolérée en vertu de lettres patentes, datant d’Henri II, renouvelées sous Henri III et confirmées par Louis XV. La communauté est acceptée sous réserve d’acquitter une forte somme, toujours réévaluée, auprès du trésor royal. Ses membres peuvent être propriétaires, transmettre leurs biens, avoir des cimetières. Mais malgré ces privilèges, seule la bourgeoisie leur est accessible. Interdits au corps de la ville, ils ne peuvent pas acheter d’offices, ils ne sont pas admis dans les corporations et ne peuvent pas s’engager dans l’armée. L’Académie leur est fermée, l’accès au Grand Théâtre leur est interdit. Après la révolution, l’Assemblée constituante décide, le 28 janvier 1790, que : … tous les Juifs connus sous le nom de Juifs portugais, espagnols, avignonnais, continueront de jouir des droits dont ils ont joui jusqu’à présent et en conséquence des droits de citoyens actifs… Rachel Manzana, la maman de Camille Pissarro, naît en 1795, à Saint Thomas, où son père Moїse Pomié, exportateur de rhum, originaire de St Domingue, La jeunesse de Pissarro a trouvé refuge avec sa famille en 1791 après la révolte des esclaves de la partie française de l’île. En voie de perdre la fortune familiale Moїse Pomié arrange une union à laquelle Rachel, sa fille, ne peut s’opposer. Elle se voit contrainte d’épouser Isaac Petit, veuf et père de trois enfants, de 30 ans son ainé, pour éviter la ruine familiale. Le mariage a lieu à Bordeaux en 1798. De cette union naîtront quatre enfants. Membre de la communauté juive de Bordeaux, Isaac Petit est le frère d’Anne Félicité Petit la femme de Joseph Gabriel Pizzarro. Lors du décès de Moїse Pomié en 1823 et du décès d’Isaac Petit en 1824, Rachel Manzana, en tant que femme, ne peut hériter ni de son père ni de son mari. Pour ne pas perdre la succession Joseph Gabriel Pizzarro décide d’envoyer son fils Frédéric Abraham Gabriel Pizzarro à St Thomas. Frédéric Abraham Gabriel Pizzarro, le papa de Camille Pissarro, est âgé de 23 ans quand il débarque à St Thomas pour aider Rachel Manzana-Pomié, sa tante par alliance, dans la gestion du commerce de quincaillerie. Rachel est de sept ans son aînée. De cette rencontre naît une idylle. Rachel et Frédéric décident de célébrer leur union le 22 janvier 1826, malgré le refus des autorités rabbiniques. En effet les rabbins ne reconnaissent pas le mariage. La Halakha – règle religieuse, interdit les unions entre neveux et tantes. En 1833, après 7 ans de pourparlers avec les autorités rabbiniques de Saint Thomas, de Copenhague et de Paris, leur union est enfin reconnue. La famille est pratiquante mais Rachel choisit de ne pas envoyer ses enfants dans une école juive, craignant les humiliations que son statut familial, alors non reconnu, pourrait déclencher. Pour ne pas subir les railleries et les méchancetés de ses camarades de classe, Camille, le troisième de la fratrie né en 1830, est envoyé dans une école morave protestante fréquentée par des enfants d’esclaves de l’île. L’économie de Saint Thomas est basée sur la production de canne à sucre et dépend jusqu’en 1848, date de l’abolition de l’esclavage, du travail des esclaves de l’île. La jeunesse de Pissarro Selon l’historien Joachim Pissarro, l’arrière-petit-fils de Camille Pissarro, l’anarchisme et l’athéisme qui caractérisait le peintre avaient de profondes racines psychologiques. Dans ce contexte il n’est pas surprenant qu’aucun des enfants n’ait été attiré par le judaïsme. En 1842, alors qu’il est âgé de 12 ans, il est envoyé à la pension Savary située à Passy, près de ses grands-parents paternels. Il y apprend les premiers rudiments du dessin. M. Savary l’encourage à dessiner et lui recommande de croquer dès qu’il en a l’occasion. En 1847, âgé de 17 ans, à la fin de ses études, il est de retour à St Thomas pour tenir le commerce familial. A 20 ans, il décide de tout quitter et refuse l’emploi bien rémunéré offert par son père. Ses dessins sont remarqués par Fritz Melbye, un peintre danois, de passage à St Thomas en 1850. Malgré les réticences de ses parents, il accompagne Fritz Melbye, au Vénézuela, à Caracas où il peint et dessine de 1852 à 1854. A son retour il apprend le décès de ses deux frères. 1855, annonce les prémices de la guerre de sécession. Rachel, suivie quelque temps plus tard de son mari s’installe à Paris rue de la Pompe. Camille Pissarro commence sa carrière de peintre en France. En 1882, il modifie son nom selon l’orthographe française avec 2 s. Pissarro de 1855 à 1894 PIssARR O D E 1855 A 18 94 Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) En 1855, Pissarro arrive à Paris au moment de l’Exposition universelle. Il découvre le travail de Courbet, d’Ingres et de Corot. Il est présenté à Corot par Anton Melbye, le frère de Fritz Melbye qui est également peintre. Attiré par la peinture de Corot, Pissarro lui demande la permission de devenir son élève. Mais Corot qui ne prend pas d’élèves accepte cependant de lui donner des conseils. Le peintre danois Anton Melbye suit également l’évolution de son travail. Pissarro s’inscrit aux Beaux-Arts de Paris. Pissarro de 1855 à 1894 Claude Monet (1840-1926) A partir de 1858, ses parents lui assurent une pension mensuelle. Ils le rejoignent en France l’année suivante. Pissarro suit des cours dans une académie de dessin libre, située rue Cadet, et à l’Académie Suisse qu’il juge plus libérale que les Beaux-Arts. L’Académie Suisse est un atelier privé où les étudiants peuvent travailler sans professeurs, moyennant une somme mensuelle qui couvre le matériel et les modèles. Il y rencontre Claude Monet avec lequel il se lie. Pissarro de 1855 à 1894 Paul Cézanne (1839-1906) Camille Pissarro a 30 ans lorsqu’il se lie à Julie Vellay qui est gouvernante chez ses parents. En signe de désapprobation de cette union, à partir de 1860, Frédéric Abraham Gabriel Pissarro prive son fils de l’allocation mensuelle qu’il lui versait. En 1861, Camille Pissarro rencontre Paul Cézanne et Guillaumin à l’Académie Suisse. Paul Cézanne lui présente Emile Zola, en 1863. La même année, Frédéric Bazille lui fait connaître Renoir. Pissarro de 1855 à 1894 Edouard Manet (1832-1883) Après le décès de son père en 1865, sa mère lui reverse une pension mensuelle. Pissarro découvre la ville de Pontoise et y séjourne de 1866 à 1868. Cette même année, il fait la connaissance d’Edouard Manet et commence à travailler avec Cézanne. Ce travail commun va durer plus de 20 ans jusqu’au départ de Cézanne à Aix-en-Provence en 1885. Pissarro de 1855 à 1894 Emile Zola (1840-1902) Le premier critique d’art à parler de Camille Pissarro est Emile Zola. Pissarro, le plus âgé des impressionnistes, participe chaque jeudi soir aux rencontres de peintres et d’écrivains appelées les jeudis de Zola. Tous se retrouvent également le vendredi. On peut voir Pissarro au café Guerbois, place Clichy, au café La Nouvelle Athènes, place Pigalle, ou encore au café La Grande Pinte, place des Martyrs. Il est aussi présent à l’atelier de Bazille. En 1868, Camille Pissarro s’établit tout près de Paris, à Louveciennes, et y reste jusqu’à la guerre. Sa situation financière est difficile, il peint des enseignes pour faire vivre sa famille. Emile Zola, ardent admirateur de Pissarro, juge que son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur et que son refus au Salon n’est pas justifié. Il publie la même année un article intitulé Les Paysagistes dans L’Evènement illustré : … Il y a 9 ans que Camille Pissarro expose, 9 ans qu’il montre à la critique et au public des toiles fortes et convaincues, sans que la critique ni le public aient daigné les apercevoir…. Ici l’originalité est profondément humaine. Elle ne consiste pas dans une habileté de la main, dans une traduction menteuse de la nature. Elle réside dans le tempérament même du peintre, fait d’exactitude et de gravité. Jamais tableaux ne m’ont semblé d’une ampleur plus magistrale… (Article de critique d’art de Zola intitulé Mon Salon, Les naturalistes, 19 mai 1868) Pissarro de 1855 à 1894 Auguste Renoir (1841-1919) En 1869, Camille Pissarro quitte Pontoise pour Louveciennes, pour rejoindre Monet, Sisley et Auguste Renoir, habitants tous la région. Ludovic Piette (1826-1878) par Pissarro En 1870, à la déclaration de la guerre franco-prussienne sa nationalité danoise l’empêche de combattre pour la République française. Il abandonne sa maison de Louveciennes, laissant là une grande partie de son œuvre, et se réfugie en Bretagne, à Montfoucault, chez son ami intime Ludovic Piette, puis rejoint Londres avec sa famille. A Londres il retrouve Monet et Daubigny et fait la connaissance du marchand d’art Durand Ruel. Camille et Julie se marient en 1871, en Angleterre, Pissarro de 1855 à 1894 à Croydon, loin des tensions familiales concernant leur union désaprouvée. Le couple aura six enfants dont cinq deviendront artistes. L’écrivain Georges Moore, qui fréquente les cafés à Paris où les impressionnistes se rencontrent, écrit : Les soirées où Pissarro ne venait pas prendre son café à la Nouvelle Athènes étaient vraiment très rares. Il y allait plus fréquemment que Manet ou Degas, et quand ils étaient là il se reposait en les écoutant, approuvant leurs idées, s’associant à la conversation tranquillement. Personne n’était plus aimable que Pissarro. Il prenait toujours la peine d’expliquer aux étudiants des Beaux-Arts pourquoi Jules Febvre n’était pas un grand maître du dessin, mais il ne disait jamais rien de fortement original. Pissarro était un juif sage et élogieux, et il ressemblait à Abraham ; sa barbe était blanche, ses cheveux étaient blancs et il était chauve, bien qu’à cette époque il ne devait avoir guère plus de cinquante ans. Il était le plus vieux de ce groupe – oui, il devait être le plus vieux. (Extrait Moore Georges, Reminiscences of the impressionists painters, 1906) En juin 1871, Camille Pissarro revient à Louveciennes et retrouve sa maison pillée. Sur 1500 œuvres, représentant 20 années de travail, 40 toiles seront sauvées. De 1872 à 1882, il s’installe à Pontoise. Il prend part à la première exposition impressionniste, en 1874, et participe assidûment aux huit autres expositions impressionnistes. En 1876, Zola se tourne vers les impressionnistes et dit de Pissarro qu’il est un révolutionnaire. En 1884, Pissarro déménage avec sa famille à Eragny. L’année suivante, il rencontre Paul Signac dans l’atelier de Guillaumin et Seurat chez le marchand Durand-Ruel. En 1886, ce dernier réussit à lui vendre des toiles en Amérique, ce qui soulage son quotidien. En 1888, il développe une infection à l’œil dont il ne cessera de souffrir. Pissarro de 1855 à 1894 Paul Signac (1863-1935) Sa mère décède en 1889 à l’âge de 94 ans. Il ne cautionne pas les attentats anarchistes de 1892 cependant il aide certaines familles anarchistes. Cette même année, Monet l’aide à acquérir sa maison à Eragny. Il vend ses toiles à des prix dérisoires, pour vivre. Pissarro de 1855 à 1894 Mary Cassatt (1824-1926) En 1894, il quitte Eragny pour la Belgique de peur d’être inquiété pour ses sympathies anarchistes. Il acquiert la même année sa première presse à taille douce et commence avec Mary Cassatt à imprimer des eaux fortes en couleurs. Les Salons LEs SALO ns Depuis la fin du 17e siècle, à partir de 1673, l’Académie royale de peinture et de sculpture organise une fois par an une manifestation appelée L’Exposition. L’objectif est de présenter au public les œuvres des derniers lauréats de l’Académie. A partir de 1737, cette exposition prend le nom de Salon car elle a lieu dans le salon carré du Louvre. Le jury est composé d’artistes qui ont exposé aux Salons précédents. A partir de 1793, la Convention supprime les académies et crée une commune générale des arts. L’esthétique néo-classique est à l’honneur dans les Salons après la révolution jusqu’au premier empire. Le public est habitué à des œuvres réalistes, à l’observation du détail, au caractère individuel du modèle et à son fini. Le spectateur admire les œuvres de David, de Gros, d’Ingres dont le style, au goût caractérisé par l’orientalisme et la peinture d’histoire, n’oublie pas les maîtres de l’Antiquité. Il est loin de s’attendre aux coups de pinceau rapides, et à l’absence de détails précis typiques des peintres qui leur succèdent. Sous le régime du Second Empire, en 1863, une crise va éclater. Sur les 5000 œuvres d’art soumises à l’Académie des Beaux-Arts, 2217 sont retenues pour l’exposition. Les œuvres refusées sont rendues à l’artiste avec le R rouge typique, imprimé au dos. Les auteurs mécontents protestent. Car exposer au Salon signifie pour un peintre de l’époque être connu et reconnu du public. Les Salons Palais de l’Industrie, architecte : Jean-Marie Victor Viel, 1855, Paris Pour améliorer la situation des peintres dont le travail ne correspond pas aux règles de l’Académie, Napoléon III ordonne d’exposer les 2783 œuvres refusées, mais à l’écart des autres, dans sept salles qui sont encore disponibles au Palais de l’Industrie. Naît alors le Salon des Refusés. Alfred Sisley (1839-1899) Eugène Boudin (1824-1898) Antoine Vollon (1833-1900) Henri Fantin- Latour (1836- 1904) Les Salons Le chef de file du mouvement est Edouard Manet. Il n’est pas impressionniste mais instaure une nouvelle manière de peindre : Je peins ce que je vois, et non ce qu’il plaît aux autres de voir. Au contact des impressionnistes il éclaircit sa palette mais refuse d’être associé à leurs recherches. Sa toile, Le déjeuner sur l’herbe, est présente au Salon de 1863. Monet, Pissarro, Renoir, Degas, Alfred Sisley, Henri Fantin-Latour, Cézanne, Eugène Boudin, Antoine Vollon, James Abbott Mc Neill Whistler exposent avec lui. Lors de l’ouverture, le 15 mai 1863, sept mille visiteurs défilent dans ces sept salles. Les œuvres exposées ne sont pas comprises et déclenchent hilarité et raillerie. Les sujets ne sont plus mythologiques ou historiques mais représentent les personnes de la vie de tous les jours comme le cultivateur, le prolétaire, ou bien des sujets tabous. James Abbott Mc Neill Whistler (1834–1903) Ce nouveau courant traduit les mutations politiques et sociales du 19e siècle. Il va mettre en scène un art individuel, en rébellion contre la peinture d’histoire et les idéaux moralistes imposés par l’Académie. Les Salons Pissarro est un assidu des Salons. Présent au premier Salon des Refusés en 1863, il y expose ensuite régulièrement de 1864 à 1870. Mis à part 1867 où aucun lieu n’est encore assigné pour les peintres refusés. Grâce à l’intervention du peintre Charles- François Daubigny, également membre du jury du Salon de Paris, le nouveau groupe de peintres aux œuvres incomprises sera présent au Salon de 1868. Les Salons / Pissarro Peintre De 1874 à 1886, Pissarro devient l’un des principaux organisateurs des expositions impressionnistes, qui seront itinérantes, aucun lieu ne leur étant encore attribué. Ces expositions vont permettre aux peintres impressionnistes de se faire connaître d’un public de plus en plus large. La première exposition des impressionnistes a lieu chez le photographe Nadar, le 15 avril 1874, 35 boulevard des Capucines ; la seconde, en 1876, a lieu au 11 rue Pelletier ; la troisième, en 1877, a lieu au 6 rue Pelletier ; la quatrième, en 1879, a lieu au 28 avenue de l’Opéra ; la cinquième, en 1880, a lieu au 10 rue des Pyramides ; cet évènement est nommé le Salon des artistes français. Pissarro Peintre PIssARR O PEInTRE Camille Pissarro est très tôt attiré par le dessin. Jeune, à l’école il croque ses camarades de classe. Au collège de Passy, il s’initie au dessin de paysage d’après nature. Lors du séjour au Vénézuela, avec le peintre danois Fritz Melbye il continue à dessiner la nature et se servira de ses carnets de croquis pour des toiles de paysages. En 1861, il est copiste au Louvre. En 1863, il est membre de la société des aquafortistes fondée par Cadart. Paul Cézanne dira de Pissarro : Ce qui fait que nous sortons peut-être tous de Pissarro. Il a eu la veine de naître aux Antilles, là, il a appris le dessin sans maître. Il m’a raconté tout ça. En 65, déjà il éliminait le noir, le bitume, la terre de Sienne et les ocres. C’est un fait. Ne peins jamais qu’avec les trois couleurs primaires et leurs dérivés immédiats, me disait-il. C’est lui, oui, le premier impressionniste. Pissarro n’a pas de maître. Ensuite il ne fréquente pas d’académie et n’est l’héritier d’aucun mouvement. C’est en arrivant en France qu’il va choisir de peindre en recherchant l’impression du moment, l’impression du mouvement en opposition avec le courant réaliste qui lui peint ce qu’il voit. Ce choix de rompre totalement avec le passé va de pair avec sa rébellion personnelle contre l’origine bourgeoise de sa famille et l’autorité parentale. Il ne peint pas de peinture à message engagé, ni à message identitaire. Il fera quelques dessins pour des revues anarchistes mais ses peintures parlent d’un engagement différent. L’engagement de l’homme vis-à-vis de ce qui lui a été donné pour vivre : la terre, le rythme des saisons, la lumière, la création. Des thèmes se retrouvant dans les textes hérités de ses ancêtres. Pissarro Peintre Paysage aux Pâtis, Pontoise 1868 ll est attiré par les thèmes ruraux. Il peint une terre donnée à l’homme et le dur labeur des hommes pour l’entretenir et la préserver. Sur ses toiles, des jardiniers, des paysans portent de lourds fardeaux ; des paysannes cueillent des pommes ; c’est la période des moissons ; des routes, des chemins mènent à des villages ; des hommes, des femmes travaillent au milieu de cette nature. Plus tard, il peindra des vues urbaines. Le paysage aux Pâtis représente le village de Pâtis, une des localités de Pontoise. Il fait partie des expériences que Pissarro mène avec Cézanne qui exécute une composition semblable. Pissarro dote ses paysages d’une structure géométrique, ses compositions sont rythmées. Sa palette nous donne des verts, des jaunes, des bruns et des bleus, appliqués au pinceau ou au couteau. Son style se personnalise. A partir de 1868, il ne se réclame plus être l’élève de Corot et d’Anton Melbye. Il travaille en compagnie de Cézanne, Guillaumin, Vignon et Gauguin, groupe qui forme l’Ecole de Pontoise. Pissarro Peintre Paysanne poussant une brouette, 1874 A partir de 1874, il associe à ses paysages des personnages, des sujets paysans. Cette toile provient d’un croquis dessiné à Pontoise et représente une figure féminine poussant une brouette. La scène a lieu près de la maison Rondest, épicier qui possédait des œuvres de Cézanne, de Pissarro, sans doute acceptées en guise de paiement. Pissarro Peintre Chemin sous bois à Pontoise, aquatinte et gravure, 1879 En 1879, avec Degas il s’initie à l’estampe. Tous deux vont travailler sur de nouvelles techniques de gravures. Ils innovent, ils osent et comprennent les possibilités infinies que permet la gravure à l’eau- forte. Mary Cassatt, voisine de Camille Pissarro, se joint à eux. Les trois inventent de nouveaux procédés et produisent des gravures où la lumière paraît à chaque fois sous de nouvelles tonalités. Pissarro Peintre Bergère rentrant des moutons, 1886 En 1885, il découvre le pointillisme au contact de Signac et de Seurat. Il adapte à sa technique artistique les nouvelles découvertes scientifiques, en particulier les théories de Chevreul et les trouvailles de Helmholtz sur la vie des couleurs. Cette toile est achetée par Raoul Meyer, gendre de Théophile Bader, un des dirigeants des Galeries Lafayette. La toile est volée par les nazis en 1941. En 2014, elle est restituée à Léone-Noëlle Meyer, la fille de Raoul Meyer et d’Yvonne Bader. Pissarro Peintre Cueillette des pommes, Eragny sur Epte, 1888 A partir de 1888, la maladie des yeux de Camille Pissarro va en s’aggravant. Ses tableaux ne se vendent pas. En 1890 il revient à son ancien style enrichi par son expérience pointilliste. Sur cette toile Pissarro peint l’ombre de quelques pommiers en fin d’un après-midi d’été. Il place les quatre personnages à l’ombre du pommier situé au premier plan. La luminosité de sa palette est due à ses recherches sur les tons intermédiaires qui séparent deux couleurs complémentaires. Pissarro Peintre Boulevard Montmartre, Paris, 1897 Vers la fin de sa carrière il aborde des vues de villes, comme les rues et les monuments de Paris toujours représentés de haut par rapport au niveau de la rue. A partir de 1892, ses paysages urbains sont les témoins de divers séjours effectués à Paris, Dieppe et Rouen. En 1898, lorsqu’Emile Zola prend la défense de Dreyfus, Camille Pissarro est à Paris. Il félicite Emile Zola pour sa prise de position et son courage sachant qu’il risque d’être emprisonné pour ses propos : Mon cher Zola, recevez l’expression de mon admiration pour votre grand courage et la noblesse de votre caractère.Votre vieux camarade. C Pissarro (Les artistes et l’affaire Dreyfus ; Bertrand Tillier) Pissarro Peintre Rue de l’Epicerie, Rouen, 1898 L’été de la même année, il retourne peindre à Rouen. Il fait trois vues de la rue de l’Epicerie. Sur les deux autres toiles, le point de vue est différent. Il donne directement sur les marches du portail sud de la cathédrale de Rouen. Ici la cathédrale est croquée de biais. Pissarro Peintre La Charrue, lithographie en couleur sur papier, 1901 Après une interruption de 20 ans, il revient à la lithographie dans son atelier à Eragny. Le marchand Ambroise Vollard l’encourage à produire des lithographies en couleur. Marchands et collectionneurs MAR C H An Ds ET CO LLECTI O nn EU Rs Au 19e siècle, il n’y a que le Salon officiel qui permette aux artistes de se faire connaître. A Paris, les lieux pour exposer ne sont pas nombreux. Une dizaine de marchands de tableaux y travaillent. C’est seulement en produisant beaucoup et en fréquentant des milieux branchés que les artistes peuvent se faire remarquer par les marchands, les collectionneurs, les amateurs d’art, les critiques et les mécènes. En 1863, Ludovic Piette, peintre lui-même, doté d’une fortune personnelle et ami intime de Camille Pissarro, propose à des amateurs d’acheter 12 toiles du peintre représentant des bouquets de fleurs. Quelques petits marchands vont s’intéresser aux futurs impressionnistes. Parmi eux, le père Martin, voisin de Camille Pissarro à Louveciennes. Les deux se rencontrent en avril 1868. Pissarro lui fait connaître les peintres qui se rassemblent au café Guerbois. Le père Martin aide les impressionnistes en détresse à différents moments de leur carrière. La situation financière de Pissarro est mauvaise. Il peint des enseignes de magasins pour nourrir sa famille. En 1871, alors que Camille Pissarro est en Angleterre, pendant la guerre franco prussienne, Daubigny lui présente le marchand Paul Durand-Ruel. Grâce à cette rencontre, Pissarro va connaître de courts répits financiers durant sa vie. Paul Durand-Ruel est, avec Adolphe Goupil, un marchand qui vend à l’étranger. Il fera connaître Pissarro à Londres, Berlin et New-York. Cette ouverture va conduire à la reconnaissance du courant impressionniste. A partir de 1872, le père Tanguy va se joindre au père Martin pour vendre la peinture de Pissarro. C’est un petit marchand. Broyeur de couleurs, il connaît tous les peintres. Il se passionne pour les impressionnistes et accepte d’être payé en toiles pour le matériel qu’il leur vend. Il vendra trois toiles de Pissarro jusqu’en 1880. Marchands et collectionneurs Portrait d’Eugène Murer, Camille Pissarro, 1878 Le marchand Hagerman achète cinq toiles de Pissarro en janvier 1873, lors de la vente du collectionneur Ernest Hoschedé à l’Hôtel Drouot. Le collectionneur mécène Eugène Murer, pâtissier et restaurateur de métier, organise en 1877 une loterie avec comme prix une œuvre de Pissarro. Pour venir en aide aux impressionnistes, il leur offre un dîner chaque mercredi. Il leur achète aussi des œuvres et se constitue une importante collection. Cette même année, Pissarro s’essaie à une nouvelle technique : les carreaux de céramique. Marchands et collectionneurs Paul Durand-Ruel dans sa galerie, 1910 En 1886, Paul Durand-Ruel s’embarque pour les Etats-Unis avec 40 toiles de Pissarro qui seront vendues. La même année, au contact de Signac et de Seurat, Pissarro aborde sa période néo-impressionniste. En 1887, Théo Van Gogh vend les toiles de Pissarro dans la galerie dont il est le gérant. Pissarro se tourne vers le concurrent de Paul Durand-Ruel, Georges Petit. Ce dernier, surtout commercial, sait attirer les collectionneurs en leur présentant l’œuvre à vendre dans un cadre approprié. Pissarro renouera sa collaboration avec Paul Durand-Ruel. Dans différentes correspondances d’artistes de l’époque on apprend qu’il était courant pour les peintres, une fois la toile exécutée, de faire le tour des marchands, des collectionneurs et de la vendre afin de subvenir à leurs besoins. Emile Zola et l’affaire Dreyfus EmILE Z O LA ET L ‘ AF F AIRE D REyFUs Depuis 1791, en France, les Juifs vivent en dehors des ghettos. La France va créer l’Israélite qui jouit d’une grande synagogue, fait l’armée et est admis dans les administrations. C’est l’image du Juif accepté, intégré. Pourtant, vers 1882, l’antisémitisme apparaît de manière virulente en France. Le krach de l’Union Générale, le plus important que connaît la France au 19e siècle, va entraîner une propagande antisémite qui remet en cause l’intégration des Juifs au sein de la République. L’affaire Dreyfus, en 1894, va aggraver la situation et diviser encore plus le pays. Alfred Dreyfus naît à Mulhouse, le 9 octobre 1859, d’une famille de Juifs alsaciens qui choisissent de prendre la nationalité française lors de la signature du traité de Francfort en 1870-1871. Sa famille intégrée à la société française, symbolise l’assimilation des Juifs en France au 19e siècle. Il entre au collège Sainte-Barbe à Paris et est reçu à l’Ecole polytechnique. En novembre 1892, il sort 9e de sa promotion avec la mention très bien puis commence un stage à l’Etat-major de l’armée en janvier 1893. Accusé de trahir son pays au bénéfice de l’Allemagne, le capitaine Dreyfus est arrêté et traduit en justice en 1894, dans un procès à huis clos au vu d’un dossier secret. Il est condamné à perpétuité, dégradé en public et envoyé au bagne de Cayenne. Seuls son frère Mathieu et sa femme Lucie sont convaincus de son innocence. En 1895, soit un an après sa condamnation, personne ne doute de la culpabilité du capitaine. Lorsque Georges Picquart est nommé chef du service des renseignements de l’armée en 1896, il découvre que le véritable coupable n’est pas Dreyfus mais un autre officier nommé Ferdinand Esterhazy. Le public est informé que le capitaine Dreyfus a été condamné à partir d’un dossier secret non communiqué à la défense. Cette information dérange et pour y faire face le lieutenant Picquart est éloigné et envoyé en mission en Tunisie fin 1896, puis accusé de faux et emprisonné en 1897. Emile Zola et l’affaire Dreyfus L’armée refuse de reconnaître son erreur. Elle se sert du commandant Henry, membre du service des renseignements, pour produire de fausses preuves afin de prouver que Dreyfus est un traître. Mais l’article de Bernard Lazare : Une erreur judiciaire, la vérité sur l’affaire Dreyfus paru en novembre 1896 fait naître un doute au sein du public. Il est question du dossier secret qui a fait condamner Dreyfus et dont personne ne connaît le contenu. Le lieutenant Picquart, mis au courant des nouvelles, fournit, par souci de justice, des preuves quant à l’innocence de Dreyfus. Emile Zola prend la suite de Bernard Lazare et donne une ample résonnance médiatique à l’affaire en écrivant son article J’Accuse. Emile Zola publie, à partir de la fin 1897, une série d’articles dans le Figaro prouvant l’innocence de Dreyfus. Enfin, il formule des accusations, à l’encontre du président de la République Félix Faure, dans son article J’Accuse en janvier 1898 dans le journal l’Aurore : Emile Zola et l’affaire Dreyfus J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle. J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse- humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis. J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable. J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace. J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement. J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute. J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable. En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose. Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice…. Emile Zola est condamné pour ses propos par le ministre de la guerre. Lors de son procès il clame : Dreyfus est innocent, je le jure ! J’y engage ma vie … Il est effectivement condamné et fuit en Angleterre pour échapper à la prison. Son article déchaîne les passions et l’on voit deux camps s’affronter : les dreyfusards et les antidreyfusards qui, eux, représentent la majorité des Français. L’hostilité s’accompagne d’émeutes antisémites. Emile Zola et l’affaire Dreyfus L’illustration 12 août 1899, L’affaire Dreyfus à Rennes, L’accusé pendant l’interrogatoire Ce n’est qu’après le décès du Président Félix Faure que le conseil de guerre demande la révision du procès. Emile Zola revient d’exil en juin 1899. La République ne peut pas reconnaître l’erreur de l’armée et ce conflit pousse l’Etat à continuer à rester sur ses positions. Le 19 septembre, le président de la République Emile Loubet signe le décret de grâce de Dreyfus qui l’accepte en reconnaissant explicitement sa culpabilité. En 1906, Dreyfus et Picquart sont réintégrés au sein de l’armée. Emile Zola, a risqué sa vie en publiant son article et il meurt en 1902 sans connaître la réhabilitation du capitaine Dreyfus ainsi que sa réintégration dans l’armée. La cérémonie a lieu dans la cour de l’école militaire là même où dix ans plus tôt il avait été dégradé. La scission LA sC Iss I O n En 1894, tout change pour la France, pour Pissarro et pour les impressionnistes. A l’issue du procès Dreyfus, le pays se scinde en deux camps : la gauche et la droite antisémite. Ceux qui soutiennent l’armée contre ceux qui croient que Dreyfus a droit à un procès. Les peintres n’échappent pas à la tourmente et sont aussi divisés : Monet, Pissarro, Signac, Vallotton, Jacques Emile Blanche et Eugène Carrière, ainsi que les critiques d’art – Mirbeau et Fénéon, soutiennent Dreyfus. Ceux de l’autre côté comprennent certains des plus anciens amis de Pissarro : Degas, Cézanne, Renoir et Armand Guillaumin. Le 18 janvier 1898, lorsqu’on leur demande de signer le manifeste des intellectuels pour soutenir Dreyfus, Monet, Paul Signac et Pissarro signent ; Renoir refuse. L’affaire Dreyfus disloque l’amitié qui règne au sein du groupe impressionniste. Renoir, malgré son antisémitisme, entretient des liens d’amitié avec les frères Natanson, propriétaires de la Revue Blanche, une revue artistique et littéraire. Il reproche les libertés accordées aux Juifs sous Napoléon et en 1882 il annonce ouvertement son refus d’exposer aux coté du juif Pissarro. En même temps Renoir minimise cette prise de position. Mais Julie Manet, la fille d’Eugène Manet et de Berthe Morisot, très proche de Renoir et de Degas, retrace dans son journal leurs discussions au plus fort de l’affaire Dreyfus. Dans une lettre qu’il lui écrit le 15 janvier 1898 il décrit son aversion pour les Juifs : Ils [Les juifs] viennent en France pour gagner de l’argent et puis si on se bat, ils vont se cacher derrière un arbre… Il y en a beaucoup dans l’armée, parce que le Juif aime à se promener avec des brandebourgs. Du moment qu’on les chasse de tous les pays il y a une raison pour cela et on ne devrait pas les laisser prendre une telle place en France. La scission Au cours de la même discussion, Renoir, au sujet de Pissarro et de sa famille : C’est tenace la race juive. La femme de Pissarro n’en est pas une, mais tous les enfants le sont, encore plus que leur père. Pour Edgar Degas la répulsion est plus radicale encore. Antidreyfusard et antisémite, il rompt ses relations avec Ludovic Halévy, son ami d’enfance, car malgré sa conversion au catholicisme Ludovic Halévy est un fidèle dreyfusard. Degas va même rompre ses relations avec le marchand Bernheim-Jeune et avec le critique d’art et collectionneur Charles Ephrussi. Il affiche ouvertement ses convictions. Un épisode a lieu dans son atelier où un modèle ose prendre le parti de Dreyfus. Degas se met à hurler Tu es juive… tu es juive… il la somme de se rhabiller et de quitter le studio quand bien même les élèves présents à l’atelier l’informent qu’elle est protestante ! Avant l’Affaire, Degas travaille avec Pissarro dont il admire les œuvres. Après il trouve son travail ignoble. Quand ses proches lui rappellent qu’ils ont œuvré ensemble il acquiesce en précisant que c’était avant l’affaire Dreyfus. Camille Pissarro ne se formalise pas et continue d’admirer son travail. Il le qualifie cependant d’antisémite féroce dans un courrier adressé à son fils Lucien. A Signac il confie combien il est peiné de voir que depuis les incidents antisémites Degas et Renoir l’évitent. Cézanne retiré à Aix au moment de l’Affaire vit un réveil religieux. Il est persuadé de la traîtrise de Dreyfus et pense que son ami d’enfance Emile Zola a été embrigadé. Maurice Denis et Henry Bernard, amis de Cézanne, ont les mêmes convictions politiques et religieuses. Dans ce climat de désordre, Pissarro reste un anarchiste à la recherche de justice. En 1896, secoué par la lecture de la brochure Une erreur judiciaire ; la vérité sur l’affaire Dreyfus, il écrit à Bernard Lazare pour lui témoigner son soutien. Ses amis peintres Edgar Degas et Auguste Renoir lui tournent le dos. Il se livre à Paul Signac qui note ses impressions dans son journal : Suis allé voir le père Pissarro à l’hotel du Louvre ou il s’est installé pour peindre La scission des fenêtres… Il a une admirable philosophie et une sereine résignation… il me raconte que depuis les incidents antisémites, Degas et Renoir l’évitent et ne le saluent plus. Que peut-il se passer dans les cerveaux d’hommes si intelligents, pour qu’ils deviennent si bêtes ? (Les artistes et l’affaire Dreyfus ; Bertrand Tillier) En 1898, dans une autre lettre à son fils Lucien il raconte qu’en se rendant à un rendez-vous avec Durand Ruel il croise dans la rue des jeunes gens qui hurlent Mort aux Juifs… Il décrit à son fils comment il les a calmement laissé passer et se demande si la France est vraiment malade et si elle se remettra un jour ? Malgré la situation agitée, qui le contrarie et le peine, il continue de créer en essayant de ne pas se laisser entraîner par la polémique. A partir de 1898, ses déplacements sont nombreux en France et il visite ses fils Georges et Lucien. Pissarro et Bernard Lazare s’éteignent en 1903, Zola en 1902, aucun ne verra, en 1906, la réhabilitation de Dreyfus au sein de l’armée française. Octave Mirbeau écrira après la mort de son fidèle ami : Partout, en ces diverses formes d’expression, c’est la vie des champs que Camille Pissarro exprime, sans anecdotes sentimentales ou violentes… Plus qu’aucun autre, il aura été le peintre, vrai, du sol et de notre sol. Ce sont les prairies, les semailles, les moissons, les bords de rivières, les petits villages proches ou lointains, les places grouillantes des marchés, tout ce qui s’entrevoit de distance vibrante et de rêve entre les lignes d’or des peupliers, et l’homme en travail, et la bête au repos… Et sur tout cela qui vit, qui travaille, qui respire…, sur tout cela la lumière, la douce, blonde et adorable lumière, la féerie de lumière de ses ciels légers, mouvants, profonds, infinis, respirables !… Je l’ai connu, je l’ai vénéré. Il fut un travailleur infatigable et pacifique, un chercheur éternel du mieux, un large esprit ouvert à toutes les idées d’affranchissement, un homme d’exquise bonté, et, je puis le dire, en dépit des difficultés qui accompagnèrent sa vie, un homme heureux… Il fut heureux, simplement, parce que, durant les soixante-treize années qu’il vécut, il eut une noble et forte passion : le travail… Camille Pissarro est enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris. lexique LExI q U E Adolphe Goupil : (1806-1893) marchand et éditeur d’estampes. Alfred Dreyfus : (1859-1935) officier de l’armée francaise accusé de trahison et condamné à perpétuité en 1894. En1906 il est innocenté par le cour d’assise. L’armée déclare son innocence en 1995. Alfred Sisley : (1839-1899) peintre influencé par la peinture anglaise et connu pour le travail de ses ciels profonds. Ambroise Vollard: (1866-1939) marchand d’art, écrivain et galeriste. Il exposera tous les peintres de son époque. Antoine Vollon : (1833-1900) peintre spécialisé dans les natures mortes il travaille les effets de lumière. Anton Melbye : (1818-1875) peintre danois spécialisé dans les marines. Louis Daguerre lui enseigne la photographie. Armand Guillaumin : (1841-1927) peintre impressionniste, il est aussi lithographe. Il travaille à partir de 1870 avec Pissarro qui sera son mentor. Assemblée constituante : assemblée chargée de formuler le texte de l’organisation des pouvoirs public d’un état. En 1789 l’Assemblée constituante écrit la déclaration des droits de l’homme. Auguste Renoir : (1841-1919) peintre et sculpteur qui participe en 1874 à l’exposition impressionniste dans le studio du photographe Nadar. Berthe Morisot : (1841-1895) peintre impressionniste. Elle fonde avec Monet, Renoir, Sisley, Pissarro et Degas le groupe des artistes anonymes associés. Bernard Lazare : (1865-1903) écrivain, poète et journaliste juif, il est le premier à dénoncer la condamnation de Dreyfus. Camille Corot : (1796-1875) peintre et graveur connu pour ses paysages, peint en extérieur. Il est le premier peintre de l’école de Barbizon. Charles Ephrussi : (1849-1905) historien et collectionneur d’art originaire d’Odessa. Claude Monet : (1840 1926) peintre à l’origine du groupe des impressionistes. C’est Eugène Boudin qui l’initie à la peinture en plein air. Il rencontre Pissarro à l’Académie Suisse en 1859. lexique Charles Francois Daubigny : (1817-1878) peintre et graveur, proche de Camille Corot, il découvre la peinture en plein air à l’école de Barbizon. Edgar Degas : (1834-1917) peintre, dessinateur, sculpteur, graveur peu attiré par la nature à ses débuts il s’ouvre à l’impressionnisme au contact de ses rencontres. Il rompt toute relation avec Pissarro suite à l’affaire Dreyfus. Edouard Manet : (1832-1883) peintre réaliste qui fréquente le cercle impressionniste à partir de 1863. Emile Loubet : (1838-1929) avocat il devient président de la République francaise de 1899 à 1906. Emile Zola : (1840-1902) écrivain, critique d’art et journaliste il décrit la société francaise du Second Empire. Il s’engage pour innocenter le capitaine Dreyfus. Ernest Hoschedé : (1837- 1891) négociant en tissus, critique d’art et collectionneur il était l’ami de Claude Monet. Eugène Boudin : (1824-1898) peintre de marine il rejoint les impressionnistes à partir de 1874. Eugène Carrière : (1849-1906) lithographe et peintre symboliste il reste étranger au mouvement impressionniste. Eugène Murer : (1841- 1901) restaurateur et collectionneur d’art il aide de nombreux peintres impressionnistes. Félix Faure : (1841-1899) président de la République de 1895 à1899. Ferdinand Esterhazy : (1847- 1923) officier de l’armée francaise, à partir de 1894, il devient espion à la solde des allemands. Frédéric Bazille : (1841-1870) peintre impressionniste qui a fréquenté l’école de Barbizon. Fritz Melbye : (1826-1869) peintre danois ami de Pissarro. Tous deux effectueront un voyage de 2 ans à Caracas. Georges Petit : (1856-1920) galeriste et marchand d’art. Pour Emile Zola il est l’apothéose des marchands. Georges Seurat : 1859-1891 peintre inventeur de la technique du pointillisme. Halakha : partie juridique du Talmud. lexique Henri Fantin Latour : (1836- 1904) peintre réaliste, il peint des natures mortes et des portraits. Manet l’introduit au groupe impressionniste. Jacques Emile Blanche : (1861- 1942) peintre autodidacte il se spécialise dans le portrait et travaille à Paris et à Londres. Julie Manet : (1878-1966) peintre et collectionneuse d’art, elle consacre sa vie à faire connaître le travail des impressionnistes et de sa mère, Berthe Morisot. James Abbot Mc Neill Whistler : (1834-1903) peintre né aux Etats- Unis, influencé par le mouvement préraphaélite. Il travaille à Londres et à Paris. Lettres patentes : lettre, émise par un souverain régnant, qui confère un privilège à un particulier ou une communauté. Ludovic Piette : (1826-1878 ) peintre paysagiste, ami de Manet et de Pissarro, il participe aux premières expositions impressionnistes. Ludovic Halévy : (1834-1908) fonctionnaire à ses débuts il entame une carrière littéraire. Ami de Zola il participe activement à la réhabilitation de Dreyfus. Maurice Denis : (1870 1943) peintre qui fonde le groupe des nabis. Marie Cassat : (1844-1926) peintre originaire de Pennsylvanie elle passe sa carrière en Europe. Elle est amie de Degas et de Pissarro. Nadar : (1820-1910) caricaturiste et photographe francais. Napoleon III : (1808-1873) empereur des Francais depuis le 2 décembre 1852. Il est le troisième frère de Napoléon Ier. Paul Cézanne : (1839-1906) proche des impressionnistes, il travaillera avec Pissarro, puis deviendra un précurseur du cubisme. Paul Durand Ruel : (1831-1922) marchand d’art, il fait connaître les impressionnistes à l’étranger et vend des toiles de Pissarro à New York. Paul Gaugin : (1848-1903) il débute comme agent de change ; son tuteur Gustave Arosa l’introduit auprès des impressionnistes. Paul Signac : (1863-1935) peintre ami de Pissarro, il est initié au pointillisme par Seurat et developpera ce style. lexique / pour en savoir plus Père Tanguy : (1825-1894) marchand de couleurs il est un des premiers collectionneurs des peintres impressionnistes. Pierre-Firmin Martin : (1817- 1891) appelé le père Martin, marchand de vin, brocanteur puis marchand de tableaux il s’interresse très vite aux impressionnistes. Octave Mirbeau : (1848-1917) écrivain, journaliste, critique d’art il fut un ami fidèle de Pissarro. Revue Blanche : (1889-1903) revue, littéraire et artistique, fondée à Liège par les frères Natanson. Saint Thomas : fait partie des îles vierges des Etats-Unis. Second Empire : périonde du règne de Napoléon III de 1852 à 1870. Elle prend fin à la défaite de Sedan en 1870. Tamouz : le mois de Tamouz coincide avec juin-juillet. PO U R En s A V O IR PLUs : Alice Hoffman, Un mariage contre nature : Le secret Pissarro, Slatkine & Cie Auguste Renoir, Renoir contre son temps, Morceaux choisis des écrits d’Auguste Renoir, Editions Le Manuscrit, Paris, 2009 Nathalia Brodskaya, Camille Pissarro, Parkstone International, 2011 -Leo H. Hoek, Titres, toiles et critique d’art: déterminants institutionnels du discours sur l’art du 19 siècle en France, Amsterdam, 2001 Philip Nord, The New Painting and the Dreyfus Affair,Réflexions historiques, vol.24,No.1, Printemps 1998, pp.115-136 Camille Pissarro 1830-1903, Galeries nationales du Grand Palais, Paris 1981 Jean-Paul Crespelle, La vie quotidienne des impressionnistes, Editions Hachette 1985 Stephanie Rachum, Camille Pissaro’s Jewish Identity, The Israel Museum, Jerusalem Les collectionneurs juifs parisiens sous la Troisième République (1870-1940) Véronique Long , Archives Juives 2009/1 (Vol. 42), pages 84 à 104 pour en savoir plus / photographies Cézanne et Pissarro : une amitié picturale http:// www1.rfi.fr/actufr/articles/075/ article_42234.asp Les cafés montmartrois au XIXème siècle, lieux de communication, Suzy Lévy Communication & Langages, Année 1995,103, pp. 61-70 Nicole Villa, Françoise Rousseau, Françoise Heilbrun, Félix de Saulcy et la Terre Sainte, catalogue d’exposition, Musée d’art et d’essai, Palais de Tokyo, 1982. Pierre-Jean Amar, La photographie, histoire d’un art, Édisud, 1993. R. Colson (ed.), Mémoires originaux des créateurs de la photographie. Nicéphore Niépce, Daguerre, Bayard, Talbot, Niépce de Saint-Victor, Poitevin, Paris, 1898. -Bertrand Tillier, Les artistes et l’affaire Dreyfus 1898-1908, Epoques Champ Vallon, 2009 PH O TO g RAPHIEs Portrait de Camille Corot Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=Special:Search&limit=500&offset=0&ns0=1&ns6 =1&ns12=1&ns14=1&ns100=1&ns106=1&search=Camille+Corot+portrait&advancedSearch-current=%7B%7D&sear chToken=17kpmn1lkwbum1sm83dpquxcw#%2Fmedia%2FFile%3ACamille_Corot-Nadar.jpg Portrait de Claude Monet Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?search=Claude+Monet+portrait&title=Special:Sea rch&profile=advanced&fulltext=1&advancedSearch-current=%7B%7D&ns0=1&ns6=1&ns12=1&ns14=1&ns100=1– &ns106=1 Portrait de Paul Cézanne Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=Special:Search&limit=500&offset=0&ns0=1&ns6 =1&ns12=1&ns14=1&ns100=1&ns106=1&search=Photographie+Paul+Cezanne&advancedSearch-current=%7B%7D& searchToken=5c5o15q7wsyyigyaavv575qmi#%2Fmedia%2FFile%3APaul_C%C3%A9zanne_O.I..jpg Portrait d’Edouard Manet Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?title=Special:Search&search=portraits+edouard+man et&fulltext=1&profile=default&ns0=1&ns6=1&ns12=1&ns14=1&ns100=1&ns106=1&searchToken=a106l61df7bfufwrg hdgknotn#%2Fmedia%2FFile%3AGodet_-_%C3%89douard_Manet_-_1867.jpg Portrait d’Emile Zola Domaine public :https: //commons.wikimedia.org/w/index.php?title=Special:Search&limit=500&offset=0&ns0=1& ns6=1&ns12=1&ns14=1&ns100=1&ns106=1&search=portrait+emile+zola&advancedSearch-current={}#/media/ File:Emile_Zola_MOPA.jpg photographies Portrait d’Auguste Renoir Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Auguste_Renoir-photo-1861.jpg Portrait de Ludovic Piette Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Piette_by_Pissarro.jpg Portrait de Paul Signac Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Paul_Signac,_ca._1883.jpg Portrait de Mary Cassatt Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:1914_Mary_Cassatt.jpg Portrait d’Alfred Sisley Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sisley_Alfred_13_mini.jpg Portrait d’Henry Fantin-Latour Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Henri_Fantin-Latour_Photo.jpg Portrait d’Eugène Boudin Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Boudin-eugene-c-face-half.jpg Portrait d’Antoine Vollon Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Vollon_by_Petit.png – Portrait de James Abbott Mc Neill Whistler Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:James_McNeill_Whistler_ca._1885.jpg – Portrait de Charles-François Daubigny Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Atelier_Nadar_-_Charles-Fran%C3%A7ois_Daubigny_ (1817-1878),_Maler_(Zeno_Fotografie).jpg – Palais de l’Industrie Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Palais_de_l%27Industrie_-_%C3%89douard_Baldus.jpg -Paysage aux Pâtis, Pontoise Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?search=paysage+aux+patis+pissarro+1868&title=Spe cial:MediaSearch&go=Go&type=image Paysanne poussant une brouette, 1874 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pissarro_-_peasant-pushing-a-wheelbarrow-maison- rondest-pontoise-1874.jpg Bergère rentrant des moutons, 1886 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pissarro_-_shepherdess-bringing-in-sheep-1886.jpg Cueillette des pommes à Eragny, 1888 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Apple_Harvest_by_Camille_Pissarro.jpg – Boulevard Montmartre, Paris, 1897 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Camille_Pissarro_-_Boulevard_Montmartre_-_1897_-_ Eremitage.jpg – Rue de l’Epicerie, Rouen, 1898 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rue_de_l%27%C3%89picerie,_Rouen_(Effect_of_ Sunlight)_MET_DT1139.jpg photographies – La Charrue, lithographie en couleur sur papier, 1901 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pissarro_-_La_Charrue,_1949,0411.3384.jpg – Portait d’Eugène Murer, Camille Pissarro, 1878 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/w/index.php?search=Eug%C3%A8ne+murer&title=Special:MediaSe arch&go=Go&type=image – Paul Durand-Ruel dans sa galerie, 1910 Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dornac_Paul_Durand-Ruel_en_1910.jpg – L’Aurore, J’accuse Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:J%E2%80%99accuse.jpg – L’illustration 12 août 1899, L’affaire Dreyfus à Rennes, L’accusé pendant l’interrogatoire Domaine public :https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%27Illustration_n%C2%B0_2946_-_12_ ao%C3%BBt_1899_-_L%27affaire_Dreyfus_%C3%A0_Rennes._L%27accus%C3%A9_pendant_l%27interrogatoire.jpg Auteur : Florence Soulam Graphisme : David Soulam Janvier 2022 Publié par les Editions ADCJ Association pour la Diffusion de la Culture Juive (Association loi 1901) 56 rue Hallé, Paris 75014, France www.levoyagedebetsalel.org Courriel : contact@adcj.org D’origine juive, Camille Pissarro se dit athée, anarchiste. Il a la vision d’une nouvelle expression : l’impressionnisme. Il rompt avec la palette sombre de ses prédécesseurs et choisit de peindre en extérieur pour mieux saisir la lumière.
La synagogue de Bordeaux
Sommaire La synagogue Synagogues monumentales La France à l’époque de l’émancipation Les Juifs de Bordeaux La première synagogue rue Causserouge Incendie de la synagogue Reconstruction de la synagogue de Bordeaux Le consistoire et la synagogue de Bordeaux Lexique Pour en savoir plus La synagogue LA SYNAGOGUE Le mot synagogue, du grec sunagoge, signifie : lieu de réunion. En hébreu, la synagogue se dit Beit ha-Knesset et signifie la maison de l’assemblée. C’est le lieu où les fidèles se réunissent pour l’étude et la prière. Déjà à l’époque du Temple, il y avait des synagogues en Erets Israël. Suite à la destruction du Temple, la population dispersée va, en terre d’accueil, construire une, voire plusieurs synagogues, dans chaque communauté. Jérusalem reste le centre spirituel. Les fidèles prient en direction de Jérusalem. En France, la Constitution de 1793 reconnaît le libre exercice des cultes. Des synagogues monumentales sont construites en Europe à partir du moment où le judaïsme devient une religion reconnue et où les Juifs s’émancipent. La synagogue Pour ces synagogues, les architectes sont en quête d’un style. On assiste à l’élaboration d’un langage architectural empreint d’orientalisme. Parfois, comme c’est le cas en Italie à Casale Monferrato, l’architecture est marquée par le style local en l’occurrence le baroque. Après la destruction du 1er Temple de Jérusalem par Nabuchodonosor II, en 586 AEC, les exilés fondent des maisons de prière. Il est écrit dans le livre d’Ezéchiel 11 ; 16 : … Ainsi parle le Seigneur Dieu : Oui, je les ai éloignés parmi les nations et je les ai dispersés dans les pays et je leur ai été un sanctuaire quelque temps dans les pays où ils sont venus. Le mot sanctuaire désigne la synagogue. Le Talmud de Jérusalem, dans le traité Méguila 3. 1, 73d, parle de 480 synagogues détruites à Jérusalem à l’époque de la destruction du second Temple, par Titus, en l’an 70. Les historiens admettent qu’à partir du 1er siècle la synagogue est une institution bien établie. C’est en Galilée, où une partie de la population de Judée se réfugie après la destruction du second Temple, qu’est retrouvé le plus grand nombre de synagogues. Parmi les plus connues, celles de : Gamla, Bar Am, Huqoq, Migdal… Après la destruction du Temple, le rôle de la synagogue dans la vie juive devient central. Sa fonction est double : la prière et l’étude. En construisant une synagogue, les communautés en exil répondent à l’injonction divine citée dans le livre de l’Exode : … Et ils me construiront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d’eux. Exode 25 ; 8 A la synagogue on retrouve certains rites du Temple alors que d’autres ont été interdits, pour retenir la distinction entre les deux institutions. Le culte de l’ancien Israël reposait sur les sacrifices et un rituel fait pour le Temple. Lorsque la synagogue naît, la prière remplace le sacrifice. Le plan le plus courant des premières synagogues est le plan basilical qui se caractérise par une grande nef bordée de chaque côté par une allée. La synagogue Des bancs courent sur les murs intérieurs. Ces premières synagogues sont orientées vers Jérusalem. La seule condition nécessaire pour réciter les prières des offices est le minyan, c’est-à-dire un quorum de 10 hommes. Rappel : Le premier Temple est construit par le roi Salomon en 990 AEC. Il est détruit en 586 AEC par Nabuchodonosor II. La population de Jérusalem est emmenée en captivité en Babylonie. 70 ans plus tard, le second Temple est reconstruit en 516 AEC sous l’impulsion d’Ezra. Il est agrandi par Hérode en 19 AEC. Il est détruit par l’empereur romain Titus en l’an 70. Synagogues monumentales SYNAGOGUES MONUMENTALES En Europe, au 19e siècle, la synagogue subit des transformations. Elle cesse d’être une petite pièce aménagée en salle de prière et d’étude, chez des particuliers et devient un édifice indépendant. L’idée est que si le judaïsme est une religion reconnue, il doit avoir un lieu de prière digne de ce nom, capable, tout comme l’Eglise ou le Temple protestant, d’accueillir un grand nombre de fidèles. La Constitution de 1793 reconnaît et garantit le libre exercice des cultes. Jusqu’à présent, les israélites subvenaient seuls aux besoins de leurs communautés grâce à une organisation interne de bienfaisance. Napoléon Ier va organiser le culte israélite. Ainsi, à partir du 11 décembre 1808, l’organisation des synagogues consistoriales est réglée par un décret. Il est décidé de la construction de 13 synagogues en France, établies à Paris, Strasbourg, Wintzenheim, Mayence, Metz, Nancy, Trèves, Coblence, Crefeld, Bordeaux, Marseille, Turin et Casale Monferrato. Chacune est attachée à un consistoire. A la chute de l’Empire, les synagogues consistoriales rhénanes de Mayence, Trèves, Coblence et Creveld, ainsi que les synagogues italiennes de Casale Monferrato et de Turin, qui se trouvent sur des territoires conquis par les Allemands et les italiens sortent du patrimoine consistorial. Désormais, les synagogues faisant partie du Consistoire sont celles de Paris, Strasbourg, Wintzenheim, Metz, Nancy, Bordeaux et Marseille. Synagogue de Wintzenheim Synagogue de Metz Synagogue de Notre-Dame de Nazareth, Paris Synagogue de Nancy Synagogue de Marseille Synagogue de Mayence Synagogue de Bordeaux Synagogue de Casale Monferrato Synagogue de Coblence Synagogue de Creveld (ou Crefeld) Synagogue de Trèves Synagogue de Turin Synagogues monumentales / La France à l’époque de l’émancipation A Bordeaux, l’instauration d’une grande synagogue va avoir pour conséquence la disparition de petites synagogues ayant chacune un rite bien particulier. Parmi elles, les synagogues des Avignonnais, des Gradis, des Peixotto, des Francia, des Allemands, de Vaez. Leur mobilier est rassemblé pour être réutilisé dans la nouvelle synagogue. La plupart des grands rabbins pensent que la majesté des synagogues ajoute à la dignité du culte. Des mutations importantes ont lieu. On n’oriente plus obligatoirement la synagogue vers Jérusalem comme le prescrit le Talmud. On introduit des orgues. Des enfants de chœur accompagnent les chants de la synagogue. Le Chamach arbore tricorne et chaîne, comme le bedeau de l’époque. On supprime la vente aux enchères des Mitsvot qui fait trop de bruit. Les autorités rabbiniques demandent aux fidèles que la prière soit célébrée dans l’ordre et l’harmonie. Il existe une opposition traditionnelle en France entre les Juifs du Midi et les Juifs de l’Est. Les premiers jouissent d’une bonne situation financière et bénéficient de ce fait de conditions favorables en terre d’accueil. Ceux installés à l’Est de la France vivent dans la pauvreté, et sont souvent sujets à de la maltraitance. Cette situation d’insécurité les pousse à la méfiance face aux nouveautés proposées par le régime. LA F RAn C E à L ‘éP O q U E D E L ‘émAn C I P A TI O n La Révolution française ouvre les portes du ghetto. Les Juifs peuvent habiter où ils le désirent. C’est la période de l’émancipation. Désormais, on ne parle pas de Juif mais de Français israélite. En 1789, l’Abbé Grégoire demande à ses collègues de se pencher sur le sort des communautés juives de France. La France à l’époque de l’émancipation Leur cause est défendue par Stanislas de Clermont-Tonnerre (militaire et homme politique), par Honoré Gabriel Riqueti comte de Mirabeau (auteur et homme politique), par Adrien Duport (député à l’Assemblée nationale) et par Antoine Barnave (homme politique). A la suite de ces séances, il est voté une reconnaissance des droits de citoyenneté des israélites du Midi. Napoléon Ier réorganise le culte, non par bienveillance pour la religion, mais parce qu’il sait que le désordre religieux peut être un facteur d’agitation sociale. Il convoque en 1806, à Paris, une assemblée de 111 notables représentatifs de la communauté juive, désignés par les préfets. La question posée est la suivante : …Comment faire des Juifs des citoyens utiles à la France… et de concilier leurs croyances avec les devoirs des Français…. Cette assemblée regroupe les deux tendances du judaïsme en France : les partisans de la réforme, représentés par les Juifs du Sud conduits par le bordelais Abraham Furtado, les traditionalistes, représentés par les Juifs de l’Est conduits par le rabbin de Strasbourg David Sintzheim. L’assemblée a pour but de démontrer la volonté d’intégration des Juifs. Au terme de longs débats qui voient s’affronter une tendance moderniste qui accepte le mariage civil, l’obligation de défendre la patrie, le rejet de l’usure et l’exercice des professions utiles, et une tendance rabbinique qui s’oppose, pour des raisons religieuses, à tout mariage entre Juifs et chrétiens, la tendance moderniste l’emporte. Ce que souhaitait Napoléon Ier. L’assemblée accepte, également, les divisions territoriales en consistoires, administrés par des rabbins et des laïcs, et un Consistoire Central établi à Paris. Dès lors, le judaïsme est reconnu comme une religion à part entière, au même titre que les religions catholique et protestante. La France à l’époque de l’émancipation Napoléon Ier demande à cette réunion de notables de réunir un tribunal, un Sanhédrin, à l’image de celui qui siégeait dans l’antiquité à Jérusalem, composé en partie de rabbins décisionnaires. Cela afin d’avoir la garantie que les mesures prises par les notables seraient respectées par la communauté dont l’autorité religieuse était représentée par les rabbins. Le Sanhédrin, composé de 71 membres dont 45 rabbins, tient sa première séance le 8 février 1807 et répond point par point aux questions posées par l’Assemblée, sur : la polygamie, la répudiation, le mariage, la fraternité, les rapports moraux, les rapports civils et politiques, les professions utiles, le prêt entre Israélites et non-Israélites. le prêt entre Israélites, Napoléon Ier demande un règlement du culte. Elaboré le 10 décembre 1806, le règlement paraît le 17 mars 1808. Le conseil d’Etat décrit les statuts du Consistoire Central et promulgue plusieurs décrets : le règlement intérieur des consistoires, les mesures répressives : pour s’installer en France, un Juif doit acquérir une propriété rurale ; pas de possibilités de remplacement militaire, l’institution d’une patente annuelle pour les commerçants, l’organisation d’un Consistoire Central à Paris dont le président est le grand rabbin de Strasbourg David Sintzheim, la création de consistoires, dans dix circonscriptions territoriales, dont les dirigeants sont nommés par des préfets, un état civil national. Dès lors, le judaïsme est considéré comme une religion reconnue. Cependant, encore en 1808, les communautés ont la charge de leurs rabbins, ne perçoivent aucune subvention gouvernementale, doivent contribuer aux frais des consistoires régionnaux et du Consistoire Central. Les fidèles doivent veiller à équilibrer le budget des communautés sans aide extérieure. C’est sous le règne de Louis-Philippe que le culte israélite est effectivement mis sur un pied d’égalité totale avec les autres cultes. La France à l’époque de l’émancipation / Les Juifs de Bordeaux L’ensemble des mesures statuées en 1808 entre enfin en vigueur et, à partir de 1831, les rabbins sont rémunérés par l’État. Les citoyens juifs ne subissent plus de restriction quant à leur droit civique et politique par rapport aux autres citoyens. Les articles 5 et 6 de la charte constitutionnelle du 14 août 1830 affirment que la religion catholique est celle de la majorité des Français tout en posant l’égalité des cultes. Les Juifs Français acceptent cette situation avec enthousiasme. Le Grand rabbin de France, Zadoc Kahn (1839-1905) adopte la devise Patrie et Religion. Il réclame des synagogues Belles et imposantes. A la fin du 19e siècle, on compte 250 synagogues pour seulement 90 000 juifs. Les Juifs, fiers d’appartenir au peuple français, souhaitent reconstruire un Temple qui sera la marque de leur installation définitive. Les Rothschild, les Pereire, les Camondo, le baron de Hirsch, ainsi que des banquiers et hommes d’affaires de tout premier plan, participent au financement de nouvelles synagogues. Les communautés qui veulent recevoir des subventions pour la construction de nouvelles synagogues doivent faire appel à des architectes municipaux. LEs JU IFs D E B O RD EA Ux Avant la révolution, la communauté juive de Bordeaux est tolérée en vertu de lettres patentes datant d’Henri II, au 16e siècle, renouvelées sous Henri III et confirmées par Louis XV, au 18e siècle. La communauté est tolérée sous réserve d’acquitter une forte somme, toujours réévaluée, auprès du trésor royal. Cette communauté juive bordelaise est formée de Portugais, d’Avignonnais et de Tudesques qui ont des droits. Ils peuvent être propriétaires, transmettre leurs biens, bénéficier de cimetières. Ils fréquentent des petites synagogues privées installées dans des maisons de fidèles. Les problèmes communautaires sont gérés par un conseil appelé la Tsédaka qui a la charge du respect de la loi. Les juifs de Bordeaux ont de par leur situation financière des droits importants. Les Juifs de Bordeaux Avant la révolution, est installée à Bordeaux une minorité de négociants, d’armateurs et de banquiers qui connaissent des réussites spectaculaires ; parmi eux les familles Gradis, Raba, Francia, Peixotto… Seule la bourgeoisie leur est accessible. Interdits à l’administration de la ville, ils ne peuvent pas acheter d’offices, ils ne sont pas admis dans les corporations et ne peuvent pas s’engager dans l’armée. L’Académie leur est fermée, l’accès au Grand Théâtre leur est interdit. Le reste de la communauté comprend des employés, des artisans, des colporteurs, des boutiquiers, des gens de service. Ils vivent jusqu’à la révolution en marge de la société française. Leur émancipation est l’œuvre de l’assemblée constituante. Ainsi, le 28 janvier 1790, l’Assemblée décide que : … tous les Juifs connus sous le nom de Juifs portugais, espagnols, avignonnais, continueront de jouir des droits dont ils ont joui jusqu’à présent et en conséquence des droits de citoyens actifs. Avec l’organisation du consistoire fixée par les décrets du 13 mars 1809, Bordeaux devient le chef-lieu de la synagogue consistoriale N° 6 qui regroupe la région allant de la Vendée au Puy-de-Dôme et aux Pyrénées- Orientales. A Bordeaux, les Juifs jouent un rôle moins important dans le monde du négoce que par le passé même si les Gradis et les Raba restent au premier plan. Par contre, ils s’imposent dans les activités financières, ce qui les amène, d’ailleurs, à quitter Bordeaux. Parmi les familles qui ont contribué au développement et à l’enrichissement de la ville de Bordeaux : La famille des frères Emile et Isaac Pereire, auxquels Bordeaux doit la construction, dès 1857, de la ligne de chemin de fer Bordeaux-Sète, l’édification de la gare du Midi et l’aménagement de la région d’Arcachon. Daniel-Osiris Iffla, entrepreneur et philanthrope, lègue 2 millions de francs aux Bordelais. Il lègue, à l’Etat, sa propriété de la Tour Blanche en Sauternais. L’affaire Dreyfus attise les passions. Bordeaux connaît en janvier, puis en octobre 1898, des défilés antisémites, des manifestations et des violences contre les commerces juifs et la synagogue. 17 La première synagogue rue Causserouge LA PREmIèRE sYnA GO G U E R U E CA Uss ER O UG E En mai 1809, le consistoire de Bordeaux prend la décision de faire construire une synagogue rue Causserouge. Au mois d’août, une campagne est levée pour recueillir des fonds. Le 14 février 1810, le préfet de la Gironde, Alexandre Gaspard Gary, donne l’autorisation d’acheter un emplacement rues Causserouge et Bragard pour la construction de la synagogue. La somme de 80.000 F. est rassemblée. Un bâtiment, encastré entre deux immeubles d’habitation, est acheté aux époux Meslon. La première synagogue rue Causserouge L’emplacement est étroit pour la façade et pour l’intérieur. Cependant l’architecte Arnaud Corcelles et son assistant Valence vont savoir tirer parti du terrain et construire un très bel édifice de plan basilical. Le 7 juin 1810, est posée la première pierre de la synagogue. Les travaux dureront deux ans. La synagogue de Bordeaux est la première synagogue consistoriale construite en France. Avant de se lancer dans la construction de la synagogue, Arnaud Corcelles étudie les us et coutumes de la communauté juive. Ainsi sur la façade apparaissent les tables de la Loi, ainsi que douze palmes, un rappel des douze tribus d’Israël. Deux colonnes encadrent l’entrée de la synagogue, un rappel des deux colonnes du Temple, Yakin et Boaz. A l’intérieur de la synagogue, vingt-deux colonnes séparent la nef centrale des bas-côtés. A l’étage, au-dessus des bas-côtés, est située la partie réservée aux femmes. Le centre de la synagogue est occupé par une longue estrade ; une Ménorah monumentale se dresse en direction de l’Aron ha- Kodech caché par un long voile. Le décor du chœur et du mobilier sont inspirés de la flore d’Erets Israël ainsi que des motifs de l’habit du Grand- Prêtre. Incendie de la synagogue / Reconstruction de la synagogue In C En D IE D E LA sYnA GO G U E Le 27 juin 1873, un incendie dû à une fuite de gaz détruit la synagogue de la rue Causserouge. 52 rouleaux de Torah sont miraculeusement saufs. Des envoyés du cardinal-archevêque et de l’église réformée de la ville de Bordeaux viennent sur les lieux du sinistre annoncer leur soutien à la reconstruction du Temple israélite. La décision d’en construire un autre est très rapidement prise. En attendant, une synagogue provisoire est installée dans une école de garçons située rue Honoré-Tessier. Le terrain de la rue Causserouge est trop étroit. Il est vendu pour financer la construction de la nouvelle synagogue. La municipalité propose les fossés de l’Hôtel de Ville qui est l’actuel cours Victor Hugo. Mais le maire change et avec lui les décisions communales. On décide désormais de construire une université cours Victor Hugo. Après négociations, la ville cède la parcelle de l’hôtel Béchade située 213 rue Sainte-Catherine et rue Labirat. RECO nsTR UCTI O n D E LA sYnA GO G U E L’architecte Charles Burguet est choisi pour conduire les travaux. Les frais de construction de la synagogue s’élèvent à 662.350 francs. La communauté bordelaise, les Pereire et les Rothschild participent à la construction. L’État donne une subvention de 20.000 francs. Entre temps, Charles Burguet meurt brutalement le 9 mars 1879 et est remplacé par l’architecte municipal Charles Durand. Celui-ci propose dès novembre son projet définitif. Après quelques modifications, le projet est approuvé. Les travaux commencés en avril 1880 sont achevés en septembre 1882. Reconstruction de la synagogue Malgré l’étroitesse de la rue permettant d’y accéder, la synagogue imaginée par Durand est l’une des plus monumentales et des plus grandes de France. Son style est éclectique. Durand s’inspire de l’architecture gothique et de motifs décoratifs orientaux. Le plan de l’édifice est presque carré. Le système de construction fait preuve d’originalité, en mêlant les matériaux modernes de l’époque : la pierre et le fer. La charpente de la synagogue, en métal, est réalisée par l’entreprise Eiffel. Sa façade reprend le schéma retenu, à partir de la deuxième moitié du 19e siècle, pour de nombreuses synagogues construites en France et en Europe. La synagogue de Bordeaux est la seule à utiliser à cette époque le motif de l’étoile de David. Sur le pignon les tables de la Loi, au sommet arrondi, reposent sur l’étoile de David. Reconstruction de la synagogue Trois portails permettent l’accès à l’intérieur de la synagogue. Ils sont surmontés d’arcs brisés. L’arc brisé est formé de deux demi-arcs s’appuyant l’un à l’autre et formant au sommet un angle plus ou moins aigu. Détail d’un arc brisé de la synagogue de Bordeaux Les tympans des portails latéraux sont décorés de palmes. Palmes, détail de la façade de la synagogue de Bordeaux Le tympan du portail central est décoré d’une Ménorah à sept branches. Elle est allumée. Façade de la synagogue de Bordeaux, détail de la Ménorah Reconstruction de la synagogue Les ouvertures longues et étroites au niveau supérieur rappellent l’architecture gothique. Au-dessus des ouvertures, trois oculus, (sing. oculi). Les oculus, du latin – yeux, sont, en architecture, des ouvertures rondes pratiquées dans le mur. A l’intérieur, dans la nef, l’accent est mis sur l’espace réservé au culte. Des escaliers mènent à l’arche sainte qui est située dans une niche en abside. L’estrade, la Téva, réservée aux officiants, domine les bancs des fidèles. Le consistoire et la synagogue de Bordeaux LECONS HISTOIRE ET LA SYNAGOGUE DE BORDEAUX Dans son décret de 1808, Napoléon crée les Consistoires des Israélites de France. Conséquence de la révolution, les cultes sont interrompus à Bordeaux à partir de novembre 1793. Des émissaires de Jérusalem, de ‘Hébron, de Tibériade et de Safed sont envoyés en France pour s’occuper de la communauté bordelaise. Ces émissaires ravitaillent en ouvrages imprimés, prêchent, enseignent ou bien règlent des différends communautaires et récoltent également des fonds pour les communautés d’Erets Israël. Ainsi, à Bordeaux en 1789, le rabbin officiant est Joseph Falcon de Jérusalem. Le décret du 21 février 1795 rétablit finalement le culte et proclame la première séparation de l’Eglise et de l’État, du religieux et du laïc. En 1806, le rabbin officiant est Abraham Andrade, né à Saint-Esprit-les- Bayonne en 1750. Il est élu, en 1806, au Sanhédrin et nommé, en 1809, Grand rabbin du Consistoire de la Gironde. En 1814, les consistoires sont réorganisés et réduits au nombre de 7 : Paris, Strasbourg, Colmar, Metz, Nancy, Marseille, Bordeaux. La synagogue de Bordeaux est inaugurée le 5 septembre 1882, le 21 Eloul 5642 selon le calendrier hébraïque. Le Grand rabbin de France, Lazare Isidor, est présent pour l’inauguration. Le Grand rabbin de Bordeaux est alors Simon Lévy. Aujourd’hui, cours Victor Hugo, où devait être bâtie l’université, se trouve le Musée d’Aquitaine. Rue Causserouge, à la place de la synagogue de Corcelles, il s’élève un garage. Lexique LExI q U E Abbé Grégoire : (1750- 1831) prêtre catholique révolutionnaire, il dénonce la persécution des Juifs au nom de la religion. Abraham Furtado : (1756- 1817) il naît à Londres et passe son enfance à Bayonne. Homme d’affaire et philanthrope, il devient secrétaire du grand Sanhédrin en 1806. Abraham Andrade : rabbin à Bordeaux, il est un membre actif du Grand Sanhédrin en 1807. Il décède en 1836. Adrien Duport : (1759-1798) naît à Paris. Homme politique français qui, deux ans après la révolution française, met tout en œuvre pour que les Juifs jouissent des droits de citoyens actifs. AEC : abréviation de avant l’ère commune. Antoine Barnave : (1761- 1793) naît à Grenoble. Homme politique français, avocat au parlement de Grenoble, il est envoyé en 1789 au Etats généraux. Il participe à la reconnaissance des droits des Juifs du midi. Arnaud Corcelles : (1765- 1843) originaire de Bordeaux, il est aussi connu sous le nom d’Armand Corcelles. Il est l’architecte de la première synagogue de Bordeaux incendiée en 1873. Aron ha-kodech : Arche sainte. Niche dans laquelle sont conservés les rouleaux de la Torah à la synagogue. Baron de Hirsch : (1831-1896) il naît à Munich et s’installe à Paris en 1873. Il appartient à une dynastie de banquiers de cour. Il est à l’origine de la ligne de chemin de fer qui relie Constantinople à l’Europe. Beit ha-Knesset : synagogue. Boaz : nom de la colonne de gauche à l’entrée du Temple. Camondo : famille juive séfarade anoblie par le roi d’Italie en 1860. Chamach : personne qui s’occupe d’organiser la vie de la synagogue. Charles Burguet : (1821-1879) originaire de Bordeaux, premier architecte de la synagogue actuelle à Bordeaux. Charles Durand : (1824-1891) il naît à Bordeaux où il Lexique est très actif. Comte de Mirabeau : (1749- 1791) Honoré Gabriel Riqueti est un homme politique élu député aux Etats généraux, il publie : Sur Moses Mendelssohn et la réforme politique des Juifs. Constitution : ensemble de lois qui règle l’organisation d’un pays. Daniel Osiris Iffla : (1825-1907) il naît à Bordeaux et est connu sous le pseudonyme d’Osiris. Il commence sa carrière à la banque Mires puis ouvre sa propre banque. C’est un brillant homme d’affaire, mécène et philanthrope. David Sintzheim : (1745-1812) il naît à Trèves. Il étudie auprès de son père et est nommé rabbin de Strasbourg en 1792. Sous Napoléon il devient le président du Sanhédrin. Eloul : le mois d’Eloul coïncide avec aout-septembre. Erets Israël : terre, pays ou Etat d’Israël. Exode : Chemot, deuxième livre du Pentateuque. Ezéchiel : prophète du 6e siècle AEC. Sous Nabuchodonosor, en 598 AEC, il est déporté à Babylone. Ezra : issu de la tribu de Lévi, il ramène les exilés de Babylone à Jérusalem. Francia : famille originaire d’Espagne ou du Portugal installée en Avignon. Francia : famille originaire d’Espagne ou du Portugal installée en Avignon. Gradis : famille originaire d’Espagne ou du Portugal installée à Bordeaux. Active dans le commerce du textile, la famille Gradis était une dynastie de négociants et d’armateurs. Hérode : surnommé Hérode le grand il prend le pouvoir sur la Judée aidé par les romains. Il reconstruit le Temple de Jérusalem. Joseph Falcon : rabbin à Bordeaux en 1735. Il est originaire de Jérusalem. Lazare Isidor : (1813-1888) grand rabbin de France à partir de 1867, il traduit la Bible en français. Lettre patente : acte, émis par un souverain, qui exprime la volonté du roi d’attribuer un privilège à une catégorie de sujets. Lexique Ménorah : nom du candélabre à sept branches dont le prototype est confectionné pour le Tabernacle du désert. Mitsvot (sing. Mitsva): commandements. Il est mentionné dans le Talmud que le peuple juif reçut 613 Mitsvot lors de la révélation au mont Sinaï. Nabuchodonosor II : (605 AEC- 562 AEC) roi de Babylone. Il détruit Jérusalem et le Temple et déporte la population de Judée à Babylone. Napoléon Ier : (1769-1804) il naît à Ajaccio. Grand chef militaire, il arrive au pouvoir en 1799 et devient le premier empereur des Français. Pereire : les Pereire sont deux frères, Emile (1800-1875) et Isaac (1806- 1880) d’origine portugaise installés à Bordeaux. Ils participent à l’essor industriel de la France et à la construction de la ligne de chemin de fer de Paris à Saint- Germain en Laye. Peixotto : famille de banquiers d’origine portugaise installée à Bordeaux. Pignon : sur la facade d’un bâtiment la partie supérieure du toit en forme de triangle. Révolution française : le 5 mai 1789, éclate la révolution qui met fin à l’Ancien Régime. Le 26 août, est votée la Déclaration des droits de l’homme. Rothschild : dynastie de banquiers et de philanthropes d’origine Allemande. Ils sont installés en Europe, principalement à Francfort, Londres, Vienne, Paris et Naples. Sa particularité, dès sa fondation est d’être une organisation familiale qui travaille à partir d’un capital commun. Rouleaux de Torah : copie manuscrite, sur parchemin, du Pentateuque. Salomon : roi d’Israël, il est le fil du roi David et de Batchéva. Il construit le Temple de Jérusalem sur le mont Moriah. Sanhédrin : constitué de 71 anciens, le Sanhédrin était la haute cour de justice d’Erets Israël. Simon Levy : (1838-1898) originaire d’Alsace, il est nommé en 1864 rabbin à Bordeaux par le consistoire. Stanislas de Clermont Tonnerre : (1757-1792) homme Lexique / Pour en savoir plus politique, il est élu à l’Assemblée nationale le 17 aout 1789. Il œuvre pour l’accession des Juifs à la citoyenneté. Synagogue : lieu d’étude et de prière. Talmud de Jérusalem : le Talmud palestinien, ou Talmud de Jérusalem, composé vers le 4e siècle dans les académies rabbiniques de Tibériade, précède le Talmud de Babylone, achevé sous la conduite de Rav Achi vers la fin du 5e siècle. Téva : chez les Séfarades, la Téva est l’endroit d’où on lit la Torah à la synagogue. Temple de Jérusalem : construit par le roi Salomon sur le mont Moriah à Jérusalem, il est détruit par Nabuchodonosor II en 586 AEC. Il est reconstruit par les Juifs qui reviennent de captivité de Babylonie en 516 AEC. Le roi Hérode le remanie et l’agrandit en l’an 19 AEC. Titus le détruit en l’an 70. Titus : (39-81) empereur romain qui conquiert Jérusalem en l’an 70 et détruit le second Temple de Jérusalem. Tsedaka : charité. En hébreu, le mot Tsedaka provient de la racine Tsedek qui veut dire justice. Yakin : nom de la colonne de droite à l’entrée du Temple. Zadoc Kahn : (1839-1905) il naît en Alsace, étudie au Séminaire rabbinique et devient grand rabbin de France de 1839 à 1905.
Le collectionneur
Efrat Soulam à Inbar Les archives de la ville de Florence n’ont jamais fait mention du héros de cette histoire. Seule Inbar a eu le privilège de le connaçtre… Editions ADCJ – Le Voyage de Betsalel, 2021 ISBN 978-965-93032-0-5 Auteur : Efrat Soulam Illustrations et graphisme : David S. Tous droits de traduction, reproduction ou représentation intégrale ou partielle sont réservés pour tous les pays. Editions ADCJ, 56 rue Hallé, Paris, 75014, France. contact@adcj.org www.adcj.org 1 2 3 4 5 6 7 8 Efrat Soulam 1 Quelque part en Espagne vivait Isaac de Manzana. Ses ancêtres, à la recherche d’une terre d’accueil, s’étaient installés dans la région de Salamanque où ils cultivaient des champs de pommiers et s’adonnaient à la teinture de soie. ‘Haïm, l’arrière-grand-père d’Isaac, avait un jour décidé d’abandonner ses terres pour s’installer aux abords d’une ville commerçante. Loin des pommiers, il avait ouvert un négoce de tissu et continuait la teinture. Isaac et son père, Emmanuel, se partageaient les tâches. Isaac voyageait, dans les contrées les plus reculées, à la recherche de tissus précieux et Emmanuel développait ses techniques de teinture. Il améliorait les jaunes dorés et les orangés en additionnant des graines d’Avignon à de l’alun, ou encore de la garance, ce qui ajoutait une valeur inestimable aux soieries. De plus il s’occupait de la vente et des contrats en Espagne et à l’étranger. On pouvait voir Isaac à la halle aux draps de Gand ou à Cambrai, à la recherche des derniers lainages. Les routes d’Europe n’avaient pas de secret pour lui pas plus que celles qui menaient en Turquie, en Perse et aux Indes. De ces lointains pays il ramenait de chatoyants taffetas au pli cassant, des satins doux et luisants, des crêpes mats aux fils de soie si tordus qu’ils donnent de la lourdeur aux plis. Il réservait ses plus belles pièces aux cours royales où, recherchées et convoitées par toutes les grandes dames, elles étaient vendues avant même son arrivée. Un jour de l’année 1494, alors qu’il se trouvait à Toulouse, une des villes du triangle d’or du pastel, Isaac reçut une étrange dépêche. Il reconnut l’écriture. C’était celle de son père. Emmanuel lui demandait de continuer la route vers Venise et vers Smyrne où une importante commande de marchandise l’attendait. A la fin de la lettre il précisait qu’il en allait du renom de la maison. Soucieux, Isaac, regarda le ciel gris et associa l’orage qui se préparait au contenu du message. Jamais son père ne lui avait demandé de retarder son retour. Surtout après six mois d’absence. Sa famille lui manquait. Il savait sa femme enceinte. De voyage en voyage il voyait combien ses enfants grandissaient. A chaque retour, Isaac remarquait la manière un peu gauche qu’ils prenaient pour s’adresser à lui. Cela le peinait. Il accomplissait un périple qui le privait des siens et sentait parfois la vie défiler sans lui. Des pensées de toutes sortes l’assaillirent. Las, il monta dans sa chambre remettant au lendemain l’itinéraire de sa prochaine expédition et la rédaction de son courrier. 8 2 Deux mois après avoir quitté Toulouse, alors qu’il atteignait la Lombardie, un paquet et une lettre écrite par un ami de la famille, venaient renforcer son pressentiment en lui apprenant un tragique évènement. Malgré la haute protection dont jouissaient les Manzana, Emmanuel avait pressenti l’imminence d’un danger. L’élection d’un nouveau prélat dans la région provoqua leur perte. Du jour au lendemain, voisins, connaissances, employés et clients changèrent d’attitude à leur égard. A l’atelier, quelques ouvriers saccagèrent les cuves de colorants et les autres cessèrent tout simplement le travail. Les nombreuses pièces grèges qui n’avaient pas encore été traitées, et celles qui étaient prêtes à être envoyées furent souillées. Les grands d’Espagne leur tournèrent le dos. Jusque-là, ils avaient été épargnés. Deux ans auparavant, lorsque tous leurs semblables avaient fui l’Espagne, les Manzana étaient restés. Leur tour était venu maintenant. Son père avait cherché à faire sortir incognito sa famille d’Espagne. C’était sans compter sur la dénonciation d’une de leurs servantes. On ne retrouva que des traces de sang séché sur le bord de la route qui mène à Lisbonne. Le cocher et la voiture avaient disparu. Le document officiel indiqua qu’ils avaient été attaqués et tués par des brigands. La missive continuait ainsi : « … quelques jours avant son départ, votre saint père, que Dieu ait son âme, m’a demandé de vous tenir informé s’il venait à disparaître et de vous remettre ce paquet. J’étais chargé d’assurer le dernier relais qui devait mener toute votre famille hors d’Espagne. Mais le relais n’est jamais arrivé. Ne les voyant pas au rendez-vous, j’ai commencé les premières recherches qui, pour notre malheur, se sont avérées vaines. C’est la raison pour laquelle je joins à ma lettre, sur la demande de votre père, un pli écrit de sa main ainsi qu’un paquet… ». Le courrier contenait les directives à suivre sur le fonctionnement des comptoirs situés hors d’Espagne, s’il arrivait qu’ils ne se revoient plus. Dans le paquet, il trouva un coffret en bois gainé de cuir noir au couvercle légèrement bombé et décoré de rinceaux gravés. A l’intérieur, parmi les divers documents, il remarqua trois livres, des bénédictions de courage et de protection rédigées par sa femme, ses enfants et ses parents. Il y avait aussi la liste des services rendus par sa famille aux souverains d’Espagne, les titres de propriété des biens en Espagne et à l’étranger. Le premier livre était le Ma’hzor de l’arrière- grand-père ‘Haïm. Dans le second livre, transmis de génération en génération, était consignée, en écriture micrographique, l’histoire des Manzana. Il y trouva également les informations sur les déplacements, les achats, les ventes, les services rendus, les comptoirs, les personnes auprès de qui se recommander. Le troisième livre était un traité de recettes de teinture écrit en hébreu par un Abraham Manzana. Isaac prit l’enveloppe de sa femme, la serra dans sa main et ferma les yeux. Son cœur battait à tout rompre. Ses oreilles bourdonnaient et ses yeux se remplirent de larmes. Les hommes du chargement, occupés à leurs tâches, ne le virent pas traverser la ville l’air hagard. Il marcha longtemps. Ses pas le guidèrent à la lisière d’une forêt qu’il ne connaissait pas. Mais peu importait le lieu, peu importait le temps. Il suivit un sentier. Les fourrés et les taillis l’égratignaient au passage, il ne ressentait rien. Sa poitrine, sa gorge s’enflaient pour crier, mais aucun son ne sortait. Les larmes l’empêchaient de reconnaître l’endroit où il se trouvait. Sa respiration se fit lente et difficile. Il perdit le contrôle de son corps, de ses gestes et tomba inanimé près d’un cours d’eau. Il sombra dans un demi-sommeil et devina le soleil se lever et se coucher, incapable de bouger. Puis un matin, en changeant de posture, il s’étira. Ses membres lui faisaient mal comme s’il avait été battu. Il avait fait un horrible cauchemar. Confus, il n’arrivait pas à ordonner ses pensées. Avait-il été attaqué et abandonné aux abords d’un ruisseau ? Il regarda ses habits maculés, tâta sa barbe, qui le démangeait. Le pli, froissé, sur lequel il était tombé inanimé, le ramena à la réalité. Absent, il fixa le ruisseau. Machinalement il se déshabilla et y entra. Le contact avec la fraîcheur le réveilla un peu. Il observa la transparence de l’eau, les plantes qui s’y reflétaient, l’éclat de la lumière à travers les feuilles, les couleurs noyées du tapis de cailloux qui couvrait le fond du ruisseau. Il resta immobile un long moment. La peine avait assourdi son cœur, alourdi son rythme. Il retrouvait sa respiration. Peu à peu il se mit à percevoir les battements de son cœur, à écouter le doux frémissement des feuilles sous le vent, le chant des oiseaux, le clapotement de l’eau. Un papillon frôla son épaule. Il fut surpris par l’intensité du coassement des grenouilles. La vie était présente autour de lui, en lui et en même temps si loin de lui. Il avait l’impression d’être le témoin d’une histoire qui n’était pas la sienne. Le jour déclinait lorsqu’il sortit de l’eau. Il se sécha, se rhabilla et relut le courrier rédigé par son père du début à la fin. Le responsable du chargement l’avait attendu plusieurs jours. Inquiet de ne pas le voir réapparaître et ne pouvant, bien sûr, imaginer d’aussi terribles événements, il décida cependant de continuer la route vers la prochaine succursale. Il laissa à l’aubergiste une note informant son maître du départ de la marchandise. Les destinataires devaient être livrés à temps. Lorsque Isaac, revenu en ville, apprit que le chargement avait quitté Toulouse dans les délais prévus, il rédigea une annonce à l’intention de tous les comptoirs, situés hors d’Espagne, les informant de la mort de son père et des derniers événements qui les empêchaient désormais de faire du négoce avec l’Espagne. Il prescrivit à la succursale de Hollande de poursuivre les achats, selon les critères de la maison, et d’assurer les livraisons comme à l’accoutumée jusqu’à son retour dont il ne précisait pas la date. Avant de refermer le coffret il caressa l’enveloppe contenant la lettre de sa femme et ne l’ouvrit pas. 16 3 Il ne désirait plus vivre parmi les hommes. Il aspirait au calme. Désormais il lui fallait du temps pour apprivoiser sa peine. C’était la fin de l’été. Muni de provisions et d’habits chauds, il prit la route en direction du lac de Côme. En inspectant la région il trouva une grotte où il installa un tronc d’arbre, qu’il transforma en lit. L’entrée de la grotte était cachée par un rideau de végétation. A l’aide de branchages, il tressa un grillage afin d’obstruer l’accès à la grotte. L’automne fut l’époque des provisions de nourriture, des réserves de bouts de bois et brindilles. Aux parois de la grotte il avait accroché des peaux d’animaux. Le ciel et les nuages poussés par le vent n’avaient plus de secrets pour Isaac. L’hiver venu, quand les éclairs et le tonnerre se déchaînaient, il sortait de sa grotte pour leur crier son tourment. Il leur demandait pourquoi. Pourquoi sa femme, pourquoi ses enfants, ses parents. Après l’orage, la pluie tombait abondante, sans réponse, et le silence revenait. Au printemps, la curiosité le poussa à contempler la lente ouverture des bourgeons sous la rosée du matin. C’était un miracle après tant de pluie. Il aimait s’allonger sur le lichen lorsqu’il sortait de l’eau. Il fixait les rayons du soleil, filtrés par les branches et les feuilles naissantes. Il vécut là, des jours et des mois. Un matin, il poussa sa promenade jusqu’ à la lisière de la forêt et là, à quelques pas de lui, il aperçut des hommes qui braconnaient. Il s’approcha d’eux sans être vu et écouta leur conversation. La mélodie de leurs voix l’émut. Ça ne ressemblait pas au murmure des feuilles caressées par le vent, ni au pépiement des oiseaux. Ça possédait de la magie. Des mots, des phrases. Des mondes à reconquérir si cela était encore possible. L’épisode se répéta à plusieurs reprises et il admit que cela lui manquait. Entendre des voix le mena à écouter ce qui se disait. Ainsi il fut vite au courant de ce qui se passait dehors. Puis, il eut le désir de quitter la forêt. D’aller vers les hommes, de voir d’autres contrées, de toucher des étoffes, de se nourrir autrement. Alors il prit la route qui le mena en Toscane où il décida de s’établir. 20 4 Il choisit de s’installer à Florence. Située dans la vallée de l’Arno, au milieu de collines de cyprès et d’oliviers, elle semblait sortir d’un rêve. Florence était un centre artistique important et Isaac aimait les beaux objets. C’était aussi la ville de la laine et de la soie, et Isaac était avant tout un homme de négoce. La soie grège d’Asie et les longs écheveaux de laines lustrées d’Ecosse arrivaient à Florence pour être traitées. Grâce à une technique tenue secrète, les teinturiers florentins parvenaient à donner les nuances les plus variées à leurs soieries. Ils importaient leurs marchandises des ports de Livourne et de Pise. Que les Juifs de Florence aient été expulsés cinq ans auparavant ne semblait pas trop le préoccuper. La politique est si changeante. Elle a ce pouvoir de porter aux nues un homme et de le déchoir le lendemain. Il connaissait le danger d’être un homme public, reconnu et respecté pour son argent. Sa famille en avait fait la triste expérience. Désormais il pressentait le danger et s’en était fait un allié en décidant de devenir invisible et de ne s’attacher à rien. L’essentiel à ses yeux était qu’au moment de son installation Florence fût une république libre et un centre artistique influent. L’effervescence artistique qui y régnait était tout à fait particulière. Les grandes familles de banquiers, de marchands passaient commandes auprès des architectes, des peintres, des sculpteurs et des artisans. Tous les projets donnaient lieu à des concours et devenaient des affaires publiques. Les citoyens, fiers de participer à la construction de leur ville, étaient invités à donner leur avis et l’on pouvait voir à toute heure de la journée des groupes discuter devant un bâtiment ou sur un terrain vague, imaginant un nouveau projet. La reprise de contact avec la succursale de Hollande fut son premier pas vers une activité parmi les hommes. Il annonça son retour à ses comptoirs et les informa que désormais les affaires se traiteraient à partir de Florence. De ces quelques mois d’exil il avait gardé une façon de s’exprimer un peu rude, et un visage éteint. Malgré tous ces voyages, Isaac avait tenu à régulariser sa situation. A Florence, les institutions communales reposaient sur l’organisation des arts, c’est-à-dire sur les corporations de métiers. Par mesure de sécurité et pour avoir la paix, il choisit d’appartenir à la corporation la plus importante dans la ville : celle des marchands. Comme il était dans le textile, il se fit admettre dans la corporation de la soie et de la laine. Aussi lorsque cette dernière demanda à Michel-Ange une statue représentant le roi David, Isaac prit part au financement du projet. David, en tant que roi d’Israël, devait inciter les Florentins à défendre leurs institutions et leur liberté. Il acquit une demeure en dehors des murs de la ville. Accrochée au flanc d’une colline, elle comprenait trente pièces et dominait un long jardin en pente. Un couple âgé de sourds-muets gardait la demeure. La femme avait pour tâche de préparer les repas de son maître lorsqu’il était présent. Il fut absent lorsque les troubles éclatèrent dans la ville, troubles qui provoquèrent l’expulsion de tous les Juifs. Sa propre expérience le maintenait à distance de la communauté juive mais cet évènement fit qu’il choisit d’être encore plus discret qu’il ne l’avait été auparavant dans sa vie quotidienne. Ainsi, il côtoya moins les notables de la ville, prétextant des préparatifs de voyages lointains ou de la fatigue. 24 5 Il reprit vite la route. Ses absences étaient fréquentes. Personne ne savait vraiment quand il résidait à Florence et quand il était sur les routes. A qui posait trop de questions, il était marchand de textiles et amateur d’objets d’art. Il confondait mobilité et liberté. Les voyages en haute mer, les longues chevauchées dans les tempêtes de poussière fine et jaunâtre qui imprègne les vêtements et laisse un goût âpre dans la bouche, les rencontres avec d’autres voyageurs dans les auberges, les longues discussions avec les éleveurs de moutons, avec les tisserands, la découverte d’objets précieux, tout cela empêchait les souvenirs de le hanter. En dehors de ces quêtes, il aspirait à une vie nouvelle au cours de laquelle plus rien ne viendrait le tourmenter. Son temps, lorsqu’il séjournait à Florence, se partageait entre ses deux passions : ses collections et son jardin. Il aimait consacrer du temps à son jardin potager, ses pommiers, et la taille de ses rosiers. Lorsqu’il travaillait la terre, il lui arrivait de penser, comme alors dans la forêt, que rien n’était encore tout à fait fini. Dans sa solitude, il avait pourtant fait de la place à une personne. Giorgio. C’était sans doute son seul ami. Ensemble, ils ne parlaient que d’art. Jamais il ne leur serait venu à l’idée d’aborder un autre sujet. Giorgo voyait en Isaac un connaisseur de la magie des contrées lointaines, un humaniste, un grand collectionneur. Isaac voyait en Giorgo un érudit avisé. A chaque retour de voyage, Isaac lui déballait curiosités et objets d’art amassés. En silence chaque objet était redécouvert, nettoyé puis Giorgio partageait son savoir sur les techniques artisanales et artistiques. Isaac l’encourageait à mettre par écrit ses connaissances sur la vie et les œuvres des artistes de son temps. A cette époque, naissaient en Italie les premiers cabinets de curiosités et d’art. Pris dans son sens premier, le mot « cabinet » désignait jusqu’alors un meuble où l’on rangeait côte à côte les petits objets, les bijoux et les papiers intimes. Pour Isaac et les autres collectionneurs, le cabinet était une pièce où l’on disposait les objets rares et précieux. Les princes d’Europe étaient avides de raretés. Dans leurs palais, des chambres entières étaient emplies d’objets hétéroclites provenant des quatre coins du monde. On pouvait y voir des peintures, des sculptures, des objets d’art, des médailles antiques, des livres rares, des tapis, des objets exotiques, des minéraux et des costumes d’indigènes, rapportés par les explorateurs et les marchands. Dans la limite de leurs moyens, les humanistes imitaient les princes. Isaac avait un énorme privilège par rapport aux princes collectionneurs : c’était lui qui, au bout du monde, choisissait ses futures pièces. Dans sa demeure florentine, il avait entassé pêle-mêle curiosités de la nature, objets d’arts, toiles de maître et de précieux tapis tissés par des doigts aussi fins que des aiguilles. Il rêvait de les rassembler en divers cabinets afin de les montrer et ainsi d’éveiller la curiosité de chacun. Giorgio lui avait conseillé de faire don de sa collection aux citoyens de la République florentine. L’Italie était la terre d’élection pour les collectionneurs. De nombreux amateurs avaient placé très tôt leur collection à la disposition d’un public averti. Isaac de Manzana avait une conception moderne, plus claire, mieux organisée pour sa collection personnelle. Il désirait regrouper ses objets par thème tout en procurant le plus d’agrément possible au visiteur. Mais pris par ses nombreux voyages, il n’avait encore pas eu le temps d’inventorier ses trouvailles, ni de les organiser en cabinet. Aussi, le rêve d’ouvrir sa collection à tous était sans cesse repoussé. Isaac se noyait dans toutes les tâches qu’il s’était assignées. La recherche des plus belles soies et des écheveaux de laine luisante et épaisse, le désir de visiter de nouvelles contrées, la quête d’objets rares et son travail de la terre quand il séjournait à Florence l’empêchaient de prendre du recul. Il aimait s’investir dans ces tâches et ne prenait pas le temps de réfléchir sur les motifs de cette activité. Répertorier, classer, disposer, c’était une façon de revenir sur le passé. Alors, puisqu’il était son seul maître et qu’il pouvait disposer de son temps comme bon lui semblait, il continuait à parcourir le monde, tant que ses forces le lui permettaient. Le nom de Manzana brillait en Europe et dans les contrées les plus reculées. Il n’en tirait aucun plaisir et se laissait entraîner par les tâches quotidiennes Il n’avait d’ailleurs jamais ouvert la lettre de sa femme. Pliée dans son enveloppe, la lettre était cousue dans une pochette et placée au revers d’un manteau de velours vert foncé, qu’il enfilait chaque soir après le souper. Entraîné par ce qu’il imaginait pouvoir découvrir, il allait là où on lui avait signalé la présence de jade blanc, de bronzes tibétains, de colliers de lapis-lazuli, de cornaline ou de turquoise. Il marchandait patiemment chaque pièce pendant des heures. Son écoute de l’autre, ses connaissances, sa franchise en affaires, son courage pour les longs trajets dangereux, faisaient l’admiration de tous les vendeurs. En cédant un objet à Isaac de Manzana, le négociant savait sa pièce appréciée à sa juste valeur. Personne n’aurait reconnu, dans cet Isaac plein de vie, l’homme taciturne qu’il était à Florence. 32 6 Un jour de décembre 1526, alors qu’il était âgé de soixante ans, les ambitions du sultan moghol Bābur, bloquèrent Isaac à Firouzabad pendant de longs mois. Les soldats de Bābur se battaient jusque dans les rues de la ville. Ce ne fut que lorsque la victoire des Moghols fut annoncée certaine, que le calme fut rétabli. Isaac avait trouvé refuge chez un vieil ami de la famille. Une fois les routes de nouveau sûres et les derniers marchés conclus, il s’apprêta à regagner l’Italie. Isaac remercia chaleureusement son hôte mais celui-ci ne le laissa reprendre la route qu’après lui avoir fait promettre d’assister à une fête d’adieu qu’il comptait organiser en son honneur. Au cours du long festin où se succédèrent les plats à base de riz fumant, de boulettes de mouton et de volaille, son hôte se leva, remercia le Ciel d’avoir pu héberger un tel ami, et s’adressant à Isaac à la lueur des torches, il lui remit un cadeau : -J’ai bien connu ton père, ton grand-père, ton arrière-grand-père, et j’ai toujours éprouvé le plus grand respect à leur égard. Je sais ce que tu as passé. Je sais aussi que la souffrance est toujours dans ton cœur. Pour cette raison, je te donne un présent, que tu es le seul à mériter, à mes yeux. Mais je te le donne à deux conditions. La première est que tu ne l’ouvres que lorsque tu seras chez toi, seul au milieu de tes collections. La seconde est que tu t’engages à léguer ta collection à la ville de Florence que tu aimes tant, lorsque tu ne feras plus partie du monde des vivants. Si tu ne réussissais pas à faire en sorte que ta ville soit ton unique légataire ce sera moi alors qui hériterai de toute la collection. Mes cavaliers sauront quand se mettre en route. Je pense que c’est la dernière fois que nous nous rencontrons, sache que je t’apprécie beaucoup et que mes pensées t’accompagneront toujours. Retourne en paix vers la ville qui a su ranimer une petite lueur d’espoir au fond de ton cœur. Isaac était pensif. Il se remémorait les paroles du vieillard. Le voyage du retour lui sembla long, plus long que de coutume. Peut-être vieillissait- il ? Une fois à Florence et avant d’ouvrir le mystérieux présent, il s’empressa d’aller rendre visite à son notaire afin de régler au plus vite la succession de la collection. Hélas, lorsqu’il lui eut expliqué le but de sa visite, l’homme de loi lui dit que le legs de sa collection à la ville était impossible. A cette époque, seul un prince ou un riche seigneur pouvait hériter d’une collection au nom de la ville. Et c’était dans le meilleur des cas. Celles-ci étaient le plus souvent pillées, après la mort du collectionneur ou de l’artiste. Cette situation ne convenait pas à Isaac de Manzana. Il décida donc de léguer ses trésors au seigneur de Firouzabad. Après tout, n’était-ce pas lui qui lui avait fourni ses plus belles pièces ? Il était, de plus, la seule personne ayant un lien avec son passé et Isaac mettait en lui toute sa confiance. 36 7 Une fois cette affaire réglée, il s’en revint chez lui le cœur léger. Il s’enferma à double tour dans une des pièces de la maison et déballa le précieux paquet. La boîte contenait une toile. Les rayons du soleil arrivaient directement sur le tableau, écrasant les couleurs et empêchant Isaac de bien distinguer le dessin. Il l’accrocha au mur et s’installa dans un fauteuil placé au milieu de la pièce. Les couleurs du tableau étaient chaudes, à base de beige et d’ocre. L’artiste avait étendu un glacis parfait qui donnait un air surnaturel aux trois enfants dessinés au premier plan. Derrière eux, sur des collines désertiques, était peinte, dans les tons dorés, une ville ceinte de murailles. Sur le côté droit de la toile, on distinguait un groupe de personnages, au milieu d’eux se tenait une femme qui portait un bébé. Son regard était tourné vers trois enfants, qui regardaient fixement devant eux, en direction d’Isaac. Tous les personnages paraissaient étrangement figés, comme arrêtés dans l’amorce d’un mouvement. En découvrant la toile, Isaac se demandait pourquoi le vieillard la lui avait donnée. Assis sur son siège, il examinait le tableau. La facture était minutieuse mais il ne reconnut pas l’œuvre d’un peintre connu. Il se pencha en avant, s’absorba dans les détails du paysage, examina les portes des remparts, l’éclat des pierres qui donnait une lumière si particulière à la ville. Ses yeux allèrent ensuite vers les enfants. En les regardant plus attentivement, il lui semblait que les enfants se détachaient de la toile. Leurs jambes commençaient à se mouvoir d’abord sur les divers plans du tableau puis franchement en dehors. Leurs yeux qui étaient fixes se mirent à se froncer par l’éclat de la lumière. La petite fille se frotta les yeux. Elle sauta sur le plancher de la pièce, suivie de ses deux frères plus jeunes. La fillette salua Isaac d’un grand « bonjour ! » Stupéfait, il ne sut trop que répondre et comme le rêve était doux, il prononça un timide bonjour. Il les regardait aller et venir dans la pièce, prenant dans leurs mains les objets éparpillés, disposés à même le sol, les examinant et les reposant soigneusement. Puis, il leur demanda d’où ils venaient. Nous ne le savons pas nous-mêmes Monsieur, répondirent les enfants un peu gênés. Mon nom est Isaac, et vous, comment vous appelez-vous ? Nous nous appelons Yasmin, Shoam et Leshem. Quelle est cette ville dorée derrière vous ? C’est notre ville ! dirent-ils en souriant. C’est drôle car elle me rappelle un lieu que j’ai connu. Mais il y a longtemps, très longtemps … une ville que l’on m’aurait obligé de quitter … c’est bizarre… Nous ne savons pas d’où nous venons, mais nous savons avec certitude que nous avons été peints, et qu’une fois la toile achevée, alors que nous voulions en sortir pour visiter le monde, nous avons été placés dans la boîte que vous venez d’ouvrir… Haha ! …. fit-il ébahi ! C’était la première fois depuis très longtemps qu’il avait envie de rire, de rire très fort. Il se contenta de sourire car il ne voulait pas que le rêve s’arrête. Sortant de la pièce et se mettant à courir un peu partout, les enfants lui demandèrent : Etes-vous collectionneur ? Il y a tant de choses chez vous ! Savez-vous ce qu’est un collectionneur ? demanda Isaac avec un sourire ravi sur les lèvres. Il avait l’impression de connaître ces enfants qui à peine sortis de la toile, semblaient avoir toujours vécu dans cette maison. Un collectionneur est un érudit, c’est un homme curieux, rassemblant des choses de la nature et des objets faits de la main de l’homme, pour les montrer à ceux qui pensent à priori ne pas s’y intéresser, et aux connaisseurs… rétorqua Yasmin. Il comprit que cette réponse s’adressait à lui et décida de ne rien y ajouter. Avec un grand sourire, il leur proposa de leur faire visiter la maison et de se joindre à lui pour le souper. Après le repas et avant de réintégrer la toile, les enfants demandèrent si leur présence ne le gênait pas. « Quelle question ! » leur répondit- il. Il les invita pour le petit déjeuner, servi à sept heures tapantes le lendemain matin. Quelle étrange journée ! se dit-il en montant dans sa chambre à coucher. Il alla à la fenêtre de sa chambre puis, regardant le ciel, il serra ses poings, prit une longue inspiration et les yeux clos remercia Celui qui avait décidé que les choses se passent ainsi. Cette nuit là, il ne dormit pas. Désormais à chaque repas, il n’était plus seul. Les enfants, une fois sortis de la toile, ne cessaient de fureter parmi les objets précieux. Ils les tournaient, les retournaient dans tous les sens, pour faire jouer la lumière sur les amulettes de jade en forme de poisson, les cristaux de souffre de Sicile, les cristaux de roche des Alpes, les lapis-lazuli d’Afghanistan. Ils admiraient les mouches prises dans l’ambre de la baltique. Ils caressaient les peaux de crocodile, se revêtaient de pagnes et de colliers de coquillages. Ils désiraient comprendre. Ils voulaient qu’Isaac leur décrive les régions où il avait trouvé ces objets, savoir s’il y faisait froid ou sec, s’il y avait de hautes montagnes ou si les hautes herbes s’étendaient à l’infini. Ils étaient curieux de connaître les circonstances de la découverte, est- ce que ces objets étaient rares ou communs, et si d’autres collectionneurs avaient pu se procurer des objets similaires. Isaac n’était pas habitué à tant d’agitation, de questions. Mais les enfants l’émerveillaient par leur innocence et leur pureté. Il leur relatait patiemment comment il avait mené les discussions pour acheter des vases de l’époque Yuan, en porcelaine bleu et blanc, et leur montraient les dragons jouant sur les vagues. La fillette était attentive à la finesse des peintures du moine Fan K’ouan. A chaque question, Isaac replongeait dans le passé. Les images lui revenaient brillantes et nettes, avec ses déceptions et ses joies. Il s’apercevait que le sanctuaire qu’il s’était bâti sur les collines toscanes, qu’il avait désiré secret et fermé s’éveillait à la vie, et cela le rendait perplexe. Depuis la réception de la lettre de son père, Isaac avait fui ses souvenirs. Il avait renoncé au bonheur. Son travail, sa quête de l’objet rare, accaparaient ses journées et mobilisaient sa pensée. La venue de ces enfants fit voyager librement son esprit, il n’avait plus besoin de monture, de bateau. Cette rencontre le sortait de sa torpeur. Il songea à la vie de Yasmin, Shoam et Leshem pris au piège de la toile, à son propre piège. Un mois après leur arrivée, les enfants lui proposèrent de l’aider à mettre sa collection en ordre. Il accepta. Ils commencèrent par en dresser l’inventaire. La tâche était rude. La fillette et les deux garçons prirent leur travail au sérieux. Isaac apporta toute la rigueur nécessaire à cette œuvre de longue haleine. Les expéditions dans les contrées lointaines ne l’intéressaient plus. Isaac chargea plusieurs personnes de le remplacer dans ses voyages interminables. Pour la première fois, il envisagea d’arrêter. Il avait maintenant un but véritable : ouvrir ces trésors au public et aider ces enfants à connaître le monde dans lequel ils évoluaient. Il devint moins amer, plus ouvert. Le souvenir de l’Espagne, de son enfance, celui de ses parents le faisaient moins souffrir. L’inventaire dura sept ans. Les journées se déroulaient de façon immuable. Le matin, Isaac et les enfants notaient la description, l’origine et la datation des objets de la collection, puis décidaient de leur emplacement dans l’une des trente pièces de la maison. L’après-midi, Isaac instruisait ses petits compagnons. Les enfants jouaient ensuite dans le jardin jusqu’à la tombée de la nuit. Le soir, après avoir dîné et s’être promené, ou s’être assis devant le feu de la cheminée, chacun allait se reposer. Isaac remarquait qu’avec les années ses compagnons grandissaient. Il aimait les voir discuter de la couleur à donner aux murs, décider de la disposition des œuvres et de l’emplacement des meubles qui renfermeraient les divers objets. Le collectionneur se taisait, admirant leur savoir-faire. Une fois l’architecture et l’agencement des pièces achevés, ils se mirent à ranger avec le plus grand soin tous les objets qui allaient être regroupés dans une même pièce. Isaac de Manzana ne savait plus comment exprimer sa reconnaissance aux adolescents. En ramenant ces objets à Florence il les avait extirpés de leur milieu naturel. Envisager leur présentation lui posait un sérieux problème. Yasmin, Shoam et Leshem, avaient réussi ce qui lui semblait insolvable, ils les avaient fait appartenir au lieu. L’aménagement de la collection terminé, ses jeunes compagnons lui en firent une visite guidée. Le premier cabinet était celui des coquillages, à côté celui de la zoologie, avec la peau de crocodile, les caméléons et quelques oiseaux. On trouvait ensuite le cabinet de minéralogie, renfermant de magnifiques cristaux, l’ambre et les fossiles. Isaac entrait dans chaque pièce comme pour la première fois. Il s’étonnait toujours du raffinement de la présentation, se demandait ce qui les avait amenés à préférer tel camaïeu pour les murs, tel velours vert sombre pour faire ressortir les pierreries. Pour la botanique, Isaac de Manzana avait aménagé une grande serre, où poussaient des plantes inconnues du sol italien. Nos trois conservateurs avaient imaginé une suite de sept pièces, renfermant divers objets classés par pays, par région ou par articles. La Chine possédait une large pièce à elle seule, avec des amulettes en jade, de la vaisselle de bronze de la même forme que les céramiques servant à la préparation et au service des repas. Un guerrier, grandeur nature en terre cuite, gardait la porte du cabinet suivant. Les statuettes funéraires mingki en céramique grise ou rougeâtre dans leur attitude stylisée étaient regroupées dans un coin du cabinet. Au centre, par contraste, les vases de porcelaine bleu et blanc les illuminaient. En face, était accrochée une œuvre du moine Fan K’ouan, qui par les petites touches rondes de son pinceau semblait repousser les hautes montagnes dans la brume. Dans le cabinet réservé à l’Inde, étaient alignés des couteaux, aux manches sertis de rubis, à lame d’or ou d’argent. Sur une table d’ébène, à l’abri du jour, étaient disposés des textes de Kalpasutra Jaïn rédigés sur des feuilles de palmier. Les céramiques émaillées et les bas reliefs de marbre blanc sculpté comme de la dentelle, ainsi que les fines sculptures en grés rouge de la région d’Osian avaient leur propre cabinet. La parure qu’Isaac préférait provenait de la région du Rajasthan : c’étaient un bracelet et un collier en or incrusté de diamants et de rubis sur fond émaillé bleu. Des Amériques, il s’était fait envoyer des costumes à plumes d’indigènes. Dans le cabinet réservé à l’Afrique noire, les enfants avaient disposé de nombreuses figurines hiératiques représentant des personnages agenouillés, des cavaliers de céramique et diverses armes en bois, en fer ou en ivoire. Les lampes de mosquée en verre émaillé de Syrie et d’Egypte, les chandeliers en bronze incrusté d’argent provenant de Hamadan étaient disposés sur des tables basses orientales. Une remarquable peinture, provenant du livre de Chah Nameh écrit par Firdoussi, peint à Chiraz en 1435, lui réchauffait le cœur à chaque fois qu’il entrait dans la pièce. Lorsqu’il se souvenait des lieux et des personnes qui l’avaient aidé dans le choix de toutes ses pièces, il se rendait compte que leur acquisition n’avait pas toujours été facile. Il n’avait pas toujours aimé du premier coup d’œil ce qu’on lui proposait. Certains objets lui étaient tout à fait étrangers. Il avait lentement appris à les connaître, les avaient étudiés puis aimés. Et ce qui le remplissait le plus de joie était de savoir que des néophytes allaient, comme lui, en visitant son musée, voir qu’ailleurs, on ressent, on regarde, on vit pareil mais différemment. Le monde est un, mais il peut être vu en des milliers de facettes, et chacune d’elles est une étincelle de vérité. Deux pièces étaient réservées aux tapis de Turquie, parmi lesquels les tapis anatoliens à motif de dragon, souvent reproduits dans les tableaux italiens. Des tissus brodés d’Inde et de Chine, ainsi que des tapisseries de France, jouxtaient le cabinet des instruments de musique. L’art italien avait une place de choix avec des vases d’or, aux incrustations de pierres précieuses, des chandeliers, et plusieurs salles qui renfermaient des portraits de souverains, de poètes, de savants et de grands capitaines. La première édition, du Talmud de Jérusalem, parue à Venise chez Daniel Bomberg et conservée par Isaac avec le plus grand soin, occupait un cabinet à elle seule. 50 8 Isaac de Manzana ne pensait pas avoir accumulé tant de merveilles durant sa vie. Ses collections réunissaient la nature, l’art et l’histoire, tout ce dont rêvaient les humanistes de l’époque. Une fois l’organisation des salles achevée, Isaac se mit à rédiger un guide à l’usage de tous, érudits, artistes ou néophytes, qui donnait corps à son rêve. Celui-ci comprenait une description technique de l’œuvre ainsi qu’une anecdote sur son histoire et son acquisition. Alors seulement, il jugea que tout était prêt : les Florentins pouvaient venir voir ses trésors. Il ouvrit les portes de sa demeure deux fois par semaine à des groupes de dix personnes. Il expliquait à chacun les raisons de ses choix et s’émerveillait de l’intérêt que chacun portait à ces objets. Jamais, durant les quelques années qu’il œuvra à guider sa collection, il ne se lassa. Au contraire, il se sentait comblé. Les banquiers, les marchands se mêlaient aux palefreniers et aux chiffonniers pour admirer sa collection. Le prince de la ville se rendit en personne à la demeure d’Isaac de Manzana pour voir les objets dont tout le monde parlait. Un soir, alors que Yasmin, Shoam et Leshem avaient réintégré la toile, et qu’il ne parvenait pas à s’endormir, il fit le tour de ses nombreux cabinets. Puis, comme le sommeil le fuyait toujours, il s’assit devant la toile et déchira la pochette cousue au revers de son habit de velours vert. Il en retira la lettre de sa femme qu’il n’avait jamais ouverte. Il la lut, et il lut également les mots écrits de la main de ses enfants. Une larme coula sur sa joue ridée. C’était la première fois qu’il acceptait de pleurer. Il pleura longtemps, calmement et se remémora. Il revit sa femme, ses enfants. Il se rappela leur voix, leurs rires, leurs pleurs. Tout le passé qu’il avait enfoui au plus profond de lui resurgit. Il se sentit apaisé. La colère et le désir de vengeance, qu’il avait toujours refoulés, s’étaient volatilisés. Il ne cherchait plus à en comprendre le sens. Il réalisait que ce qu’il avait cru être le hasard, l’avait conduit sur un chemin précis. Il pleura tard dans la nuit. Il pleura sa liberté et enfin s’assoupit. Le lendemain, lorsque la muette vint servir le thé de Chine qu’elle apportait chaque matin, elle trouva porte close. Elle alla au cabinet de peinture, frappa trois coups avant d’entrer mais constata que la porte était fermée. La consigne était que s’il ne répondait pas il fallait avertir le notaire. En se préparant à sortir avec son mari, ils virent une caravane étrange accompagnée de cavaliers enturbannés s’arrêter devant la porte. Ceux-ci demandèrent s’ils étaient bien arrivés à la demeure d’Isaac de Manzana. Prévenue de leur arrivée elle leur montra les divers cabinets et leur demanda de ne pas entrer dans la chambre d’Isaac. Puis pressant le pas le couple alla quérir le notaire. Celui-ci, muni des clés et du testament, ouvrit la porte en présence de personnalités dont les noms avaient été indiqués par Isaac. Giorgio était présent. Dans la pièce, on trouva un fauteuil vide encore tiède installé devant la toile. La douce lumière matinale des collines toscanes filtrait par la fenêtre ouverte. Les oiseaux pépiaient et voletaient parmi les couleurs vives et les senteurs délicates des fleurs du jardin. Isaac n’était pas là. Il n’était pas dans la pièce, ni dans aucune des trente autres pièces de la maison, ni dans les serres, ni dans le jardin. Personne ne le retrouva. Sa disparition resta une énigme pour tous les habitants de Florence. Seul Giorgio, en connaisseur avisé, remarqua, près de beaux adolescents, un vieil homme qui les regardait avec tendresse et reconnaissance. Un personnage de plus sur la toile. I S B N 978-965-93032-0-5
Judith
Les dramaturges reprennent souvent des mythes tirés de l’imaginaire collectif et les adaptent à la scène. Ces mythes sont parfois puisés directement dans la Bible : c’est le cas de David et Goliath, de Samson et Dalila, d’Esther ou de Judith. D’autres, comme Roméo et Juliette ou Don Juan, n’ont rien à voir avec ce texte sacré.
Les auteurs dramatiques ne manquant pas d’imagination, ils n’hésitent pas – pour les besoins de la scène – à reconstituer les décors et les costumes de l’époque ou bien à les adapter. Ainsi, le même mythe peut être repris sur scène ou au cinéma avec des personnages différents, à des époques diverses,
mais avec une trame identique. Roméo aime Juliette envers et contre tout comme Tony aime Maria dans West Side Story. C’est la force principale des mythes.
principale des mythes.
Introduction
L’histoire de Judith a donné lieu à de nombreuses versions. Entre le 15e et le 20e siècle, on a dénombré plus de soixante-dix versions différentes de l’histoire de Judith dans la littérature et au théâtre, sans compter l’adaptation de D. W. Griffith au cinéma en 1913. Malgré la faiblesse des bases historiques du livre de Judith, les écrivains et les auteurs dramatiques ont pu trouver dans cet épisode une structure suffisamment forte pour donner lieu à de nombreuses adaptations.
Judith de Griffith Même si les auteurs dramatiques ont jugé bon d’adapter ou de changer certains détails, l’essentiel de l’histoire de Judith subsiste. Ainsi dans toutes les versions on trouve : Une ville assiégée : Béthulie. Une héroïne : Judith. Un exploit : Judith accompagnée de sa servante parvient à sortir de la ville
assiégée.
Judith de Griffith
Judith séduit Holopherne (un général de Nabuchodonosor) et profite de son ivresse pour lui couper la tête. Judith revient à Béthulie avec la tête d’Holopherne.
La tête est exposée sur les remparts de Béthulie. La victoire : les habitants de Béthulie attaquent l’armée ennemie et triomphent. L’historicité de Judith 5
L’historicité de Judith
1er problème : langue d’origine.
Du point de vue linguistique, les commentateurs estiment que si le livre nous est parvenu en grec, sa langue originale était probablement l’hébreu. Il y aurait donc eu une première version hébraïque qui aurait disparu.
Mais cette chronologie n’est pas irréfutable : certains commentateurs (peu nombreux) soutiennent le contraire : le récit hébraïque aurait été traduit à partir du grec.
2e problème : datation de la rédaction.
On peut facilement dater un manuscrit, mais pas la date de sa rédaction. Quelle est la date de rédaction du premier texte, qu’il soit hébreu ou grec ou même latin ?
3e problème : la canonicité.
Les rabbins, réunis à Jamnia [Yavneh] en l’an 90 de notre ère, dressent la liste exclusive et exhaustive de ce qui appartient à la Bible hébraïque. Judith n’y figure pas. Or, chez les catholiques, pendant les cinq premiers siècles, Judith est évoquée avec ferveur. D’où une reconnaissance officielle de cette héroïne au concile d’Hippone (393). Les protestants, quant à eux, rejettent cette canonicité.
4e problème : l’historicité.
A priori, l’histoire de Judith ressemble à d’autres épisodes de l’Ancien Testament. Un roi tout puissant qui veut conquérir le monde, un général et son armée innombrable, une ville assiégée, une héroïne qui triomphe par la ruse, l’ennemi qui fuit une fois le général mis à mort. Par souci de vraisemblance, le récit va même jusqu’à situer l’action géographiquement à Béthulie. Mais il existe une série d’invraisemblances : Nabuchodonosor est présenté comme le roi des Assyriens alors qu’en fait il était le souverain des Chaldéens. Il est écrit qu’il est dans sa capitale. Or la capitale était Babylone. L’historicité de Judith / La structure du récit Le livre des Rois qui reproduit la liste des généraux de Nabuchodonosor ne mentionne pas Holopherne. Nabuchodonosor a assiégé et s’est emparé de Jérusalem, mais n’a été mis en déroute par aucune cité d’Israël. La ville de Béthulie désigne-t-elle le village de Bethel (en Samarie) ou Jérusalem? À
noter que le nom dérive de «Betoula», qui signifie vierge en hébreu. Le Midrach propose une autre datation. La tradition juive situe Judith à l’époque
des Macchabées. L’armée étrangère serait alors l’armée grecque et Holopherne le roi des Grecs. C’est pourquoi on peut parler aussi bien d’un mythe que d’un récit pieux, d’un roman historique, d’une pure fiction patriotique. Car on a affaire à des stéréotypes fondamentaux.
la Structure du récit
On peut découper le texte en sept grandes parties. Un méchant roi et son terrible lieutenant veulent conquérir la terre entière ; Une héroïne entre en scène quand le courage vient à manquer : Judith, veuve de Manassé, décide de sortir de Béthulie et d’aller tuer Holopherne ; La victoire du faible sur le fort ; par la ruse, Judith séduit Holopherne et profite de son ivresse pour lui couper la tête ; Judith revient du camp et rapporte la tête d’Holopherne ; L’armée d’Holopherne est mise en déroute ; La tête d’Holopherne est exposée sur les remparts de Béthulie ;
Structure du récit / Comment le texte décrit Judith
Judith se retire du monde une fois son exploit accompli. On a donc affaire à deux forces qui s’opposent : D’une part Nabuchodonosor qui nourrit le projet totalitaire de conquérir toute la terre, déraciner les peuples, les emmener en exil et annihiler toutes les religions au profit d’un seul « dieu » : le culte de lui-même. C’est d’ailleurs cette même démesure qui provoquera sa chute. D’autre part les fils d’Israël qui tirent leur force de la seule alliance avec l’Éternel.
Cette confrontation symbolise la séparation du Bien et du Mal, de la vérité et du mensonge, du spirituel et du matériel, du pur et de l’impur. Le texte explique l’attitude des Hébreux par l’intermédiaire d’un personnage, Achior, lequel raconte l’histoire du peuple élu à Holopherne et lui conseille de renoncer. Pour ses propos, ledit Achior est chassé du camp d’Holopherne et livré aux Hébreux afin de partager leur sort. Comment le texte décrit – il Judith ? Judith est une veuve sans enfant qui dispose d’une réelle aisance. Elle est isolée. Elle habite dans une maison à part et restera à l’écart après avoir tué Holopherne. Elle est guidée par la main de Dieu. Holopherne pense qu’elle va trahir les Hébreux, car elle annonce la destruction prochaine de Béthulie. (Elle explique qu’elle fuit la ville parce qu’elle a horreur du péché. Selon elle, les habitants s’éloignent de la vraie foi). Elle refuse de manger les aliments que lui propose Holopherne. Le livre de Judith met en évidence l’existence ou la non-existence defrontières.
Comment le texte décrit Judith / L’évolution des représentations de Judith Le peuple juif vit à l’intérieur de frontières bien définies et reconnaît ses limites :
Les Juifs habitent une ville encerclée. Ils sont différents des autres peuples. Judith est isolée par rapport aux autres Juifs. Judith ne mange pas avec Holopherne. On assiste donc à la séparation de ce qui est pur et impur (idée de cacherout). Elle n’a pas de relation charnelle avec Holopherne. Elle décapite Holopherne et le sépare en deux parties. L’armée se disperse. Elle a perdu son unité. Achior se fait circoncire. Au retour, Judith vit en solitaire, se sépare de son peuple.
À l’inverse, le monde de Nabuchodonosor et d’Holopherne ne connaît pas de limites : Nabuchodonosor ambitionne de conquérir la terre entière. Il veut que tous les peuples l’adorent. Holopherne s’enivre (encore une fois plus de frontières).
L’évolution des représentations de Judith
On peut distinguer sommairement trois phases dans l’évolution de l’histoire de Judith :
Jusqu’en 1400, Judith est complètement catholique. On ne lui reconnaît aucun lien avec le peuple juif, car l’Église est au centre de la vie intellectuelle et artistique.
Comment le texte décrit Judith / L’évolution des représentations de Judith L’évolution des représentations de Judith Le peuple juif vit à l’intérieur de frontières bien définies et reconnaît ses limites : Les Juifs habitent une ville encerclée. Ils sont différents des autres peuples. Judith est isolée par rapport aux autres Juifs.
Judith ne mange pas avec Holopherne. On assiste donc à la séparation de ce qui est pur et impur (idée de cacherout). Elle n’a pas de relation charnelle avec Holopherne. Elle décapite Holopherne et le sépare en deux parties. L’armée se disperse. Elle a perdu son unité. Achior se fait circoncire. Au retour, Judith vit en solitaire, se sépare de son peuple. À l’inverse, le monde de Nabuchodonosor et d’Holopherne ne connaît pas de limites : A partir de 1400 jusqu’à la fin du 19e
/ début 20e siècle, on assiste à l’éveil des nations et, après la Renaissance, la religion perd de son importance. Judith est une sainte catholique Très tôt, l’Église s’empare de l’histoire de Judith et Judith la juive devient Judith la Sainte. Dans ses nombreuses représentations, elle représente une allégorie de la Vierge Marie. Judith est donc vierge. Elle partage la table d’Holopherne (au mépris de la cacherout), mais pas sa couche. Elle figure le triomphe : du Bien sur le Mal,
de la Chasteté sur la Luxure, du Christ sur l’Ennemi idolâtre. Dans ce contexte, il n’existe pas de tension dramatique. Judith est devenue catholique. Judith est une héroïne nationale Au fur et à mesure que la religion perd de son importance, le caractère religieux de Judith s’étiole. À la fin du 15e siècle, Judith n’est plus le symbole du christianisme. Elle devient une héroïne qui défend son peuple contre l’ennemi. Quel peuple ? Elle symbolise parfois les protestants face aux catholiques, mais surtout la liberté face à la tyrannie. Là encore, Judith est une vierge de la même lignée que ces héroïnes terrassant le dragon pour sauver la communauté. On pense en particulier à Jeanne d’Arc (1412-1431) qui, à treize ans, entend des voix surnaturelles lui ordonnant de délivrer la France occupée par les Anglais, lors de la guerre de Cent Ans. Elle se rend à Chinon, où le roi Charles VII s’est réfugié, le reconnaît malgré son déguisement, réussit à le convaincre de la réalité de sa mission. Se voit confier une armée, remporte quelques victoires sur l’Anglais. Trahie par les siens, elle sera livrée à représentations de Judith Judith est un ange de la mort A la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle, Judith est redevenue juive et, à ce titre, suscite le dégoût et la peur. L’héroïne chaste devient impudique. Les Juives utilisent leurs charmes pour asservir les hommes. Elle est l’image du mal, car elle agit par traîtrise. Elle personnifie la femme fatale à laquelle vont succomber tant d’aristocrates. Cette nouvelle transformation apparaît dans La France Juive de Drumont (1886). Judith devient une « Jeanne d’Arc juive » incarnant l’orgueil tant détesté de son peuple. Dans cette version, Judith n’a rien d’une héroïne.
C’est une femme curieuse qui veut connaître les plaisirs de l’amour. Parallèlement, Holopherne n’est plus le monstre, le tyran. Il incarne le plaisir de vivre et l’innocence. Face à lui, Judith est la première femme juive à oublier sa communauté et à renoncer à son judaïsme. Judith amoureuse d’Holopherne devient un mythe malgré elle. Amoureuse d’Holopherne, elle le tue par amour (!), par dégoût. Et lorsqu’elle revient, les prêtres lui demandent de ne pas dévoiler ses sentiments et de jouer le rôle qu’on attend d’elle.
De la fin du 19e siècle jusqu’en 1931, on compte plus de trente versions de Judith plus un film réalisé par Griffith en 1913. Analysons maintenant la pièce de Bernstein (1922), lui aussi d’origine juive.
Qui est Henry Bernstein ?
En 1907, il écrit et monte une pièce, Samson, décrivant l’affrontement entre un riche parvenu, symbole du Juif de cette époque, et un aristocrate. Henry Bernstein (1876-1953) est un dramaturge d’origine juive ayant écrit une trentaine de pièces entre 1900 et 1953. Il est l’une des cibles préférées des antisémites de droite et de gauche. Malgré son nez busqué et ses oreilles décollées, il compte de nombreux succès auprès de la gent féminine.
Ceux qui le rencontrent sont frappés par son magnétisme. Amateur d’art, flambeur, mondain, coureur de jupons, Henry Bernstein possède tous les
attributs des dandys de son temps. Pour défendre son honneur de Don Juan et de Juif, il se battra au moins neuf fois en duel. Henry Bernstein par Auguste Renoir
Qui est Henry Bernstein ? Henry Bernstein perçoit très tôt le danger nazi. Il écrit une pièce non datée qu’il ne montera pas, Les Temps nouveaux, véritable réquisitoire contre le régime d’outre-Rhin. Hermann Göring – Bohling dans la pièce – y est représenté sous les traits d’un être malfaisant, véritable ange de la mort.
Quelques semaines avant l’invasion allemande, il fait preuve de courage et monte Elvire, jouée du 31 janvier 1940 au 9 mai 1940, avec Elvire Popesco dans le rôle d’une émigrée dont le mari est mort dans un camp de concentration. Ce sera la dernière pièce d’Henry Bernstein avant son départ en Angleterre
– d’où il gagnera ensuite les États-Unis – en juin 1940. Une fois réfugié outreAtlantique, il écrira de nombreux articles dans les journaux américains pour
dénoncer la politique de Philippe Pétain. Même si ses pièces ne présentent plus aucun aspect juif après son retour en France, Bernstein sera toujours considéré comme le dramaturge juif par excellence. Judith (1922) est sa pièce préférée. C’est celle pour laquelle il a le plus travaillé. La mise en scène est d’Antoine, les costumes de Léon Bakst (Russe d’origine juive) et les décors somptueux de Soudéikine. C’est encore une Juive, Simone, qui joue le rôle de Judith.
En 1908, il fait monter Israël, une pièce dans laquelle il dénonce l’antisémitisme. En 1911, la mise à l’affiche d’Après moi, provoque une émeute. La police
est débordée. Les manifestations prennent chaque soir plus d’ampleur. Léon Daudet compare l’auteur à un singe. Deux escadrons de gardes à cheval, trois compagnies de gardes à pied et deux cents gendarmes essaient de maintenir l’ordre. Bernstein renonce et, épuisé, retire sa pièce. La droite jubile. L’arrêt des représentations est un véritable désastre financier pour Bernstein. En 1931, il écrit un scénario, Les Vieux Joujoux, qui ne sera jamais joué. Il y
dresse le tableau des affrontements qui déchirent l’Allemagne après la Première Guerre mondiale. Rosa Luxembourg, la militante spartakiste d’origine juive, y est nettement représentée sous les traits d’Anna Ruckert.
Qui est Henry Bernstein ? Vieux Juif, Léon bakst Bernstein fait de longues recherches pour conférer à la pièce une crédibilité historique. La boîte en cuir contenant le manuscrit de la pièce renferme une multitude de versions. La correspondance de Bernstein avec Antoine et avec un rabbin prouve que l’auteur voulait coller le plus possible à la « vérité historique ».
Holopherne, Léon Bakst Qui est Henry Bernstein ? L ’ i n t r i g u e
Acte premier : La prière.
Le premier acte se déroule dans l’oratoire de Judith qui surplombe Béthulie et le camp d’Holopherne. C’est une pièce austère. Au lever du rideau, Judith et Abigaël sont étendues sur le sol en prière. Judith prie avec ferveur. Elle est revêtue d’une robe très simple. En dessous, elle porte un cilice. C’est une poétesse très connue qui compose des cantiques. Abigaël, assez frivole, aime rappeler ses moments agréables. Judith, très pessimiste, affirme que Béthulie va bientôt être détruite. La deuxième scène met en scène Judith et sa servante Ada, une Moabite. Judith l’a surprise en compagnie d’un homme. Judith, la chaste, ne peut supporter que sa servante recherche le plaisir physique. Pourtant, de façon perverse, elle l’oblige à dire ce qui l’a amenée à aimer Melchias, ce qu’elle ressent au moment de l’amour. En fait, Judith souffre d’être seule, d’être « comme le tronçon d’un ver coupé en deux ». La scène se termine
sur l’aveu de Judith : c’est une femme passionnée qui refuse de « faire la femelle ». On annonce alors l’arrivée de Saaph, le prétendant officiel de Judith. Saaph vient annoncer à sa bien-aimée qu’il a l’intention de tuer Holopherne. Judith s’y oppose. Arrive alors Charmi, le chef des Anciens. Charmi se plaint des agissements d’un certain Ruben, un démagogue qui pousse la population à se rendre. Charmi et les Anciens prient, discutent, mais n’agissent pas, préférant la rhétorique à l’action. Judith annonce qu’elle nourrit un projet qu’elle ne dévoilera que dans cinq jours. Charmi prend congé. Judith, restée seule avec Ada, laisse éclater son mépris pour Charmi. L’homme est vieux et près de mourir. Dehors, les feux du camp d’Holopherne brillent. Elle s’adresse à Holopherne à distance. Celui-ci n’est qu’un ancien serf parti à la conquête du monde et de Béthulie, « une pauvre vieille tortue ramassée sous sa carapace ». À la fin de son monologue, elle demande à Ada si elle est toujours belle. La servante la rassure, persuadée que sa maîtresse est amoureuse de Saaph.
L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein
Saaph revient. Judith lui demande pourquoi il ne lui a jamais avoué sa flamme. Elle lui pose ses conditions : s’il va dans le camp d’Holopherne, elle se tuera. Elle exige qu’il jure par le nom de l’Éternel de ne pas franchir les remparts de Béthulie. Saaph s’exécute. Aussitôt, Judith pousse un cri de triomphe vite réprimé et détache l’orchidée qu’elle porte à la ceinture pour la donner à Saaph. Mais elle ne l’éclaire pas sur son dessein. Une fois Saaph sorti, elle s’adresse de nouveau à Holopherne et annonce son projet de le décapiter. Elle veut la gloire, étonner le monde, « échapper à la mort du rat », « au drame de l’oubli ! ».
Le premier acte se termine sur la prière de Judith et de sa servante Ada. Acte deuxième : L’île des Bienheureux.
Premier tableau : La salle du Conseil. Au lever du rideau, Holopherne est assis sur son trône. Rasé de près, il est vêtu comme un Égyptien. L’eunuque Vagaoo manie le chasse-mouches. Del’autre côté se tient un Mongol à la musculature prodigieuse. Autour de lui, les généraux portent la barbe assyrienne. Face à Holopherne, Judith parle. C’est l’Éternel qui lui a commandé d’aller vers lui. Les généraux présents laissent percer leur admiration pour sa beauté et son intelligence. Le général Sisarioch s’intéresse particulièrement à Ada. Les officiers échangent toutes sortes de propos grivois sur le physique des deux femmes. Holopherne ordonne aux intéressées d’aller se reposer et se restaurer. Holopherne recueille les avis de ses généraux. La majorité pense que Judith est sincère. Pour Sisirioch, la conquête de Béthulie est inutile, pour d’autres, toute conquête apporte son butin. Tous convoitent Judith et se demandent par quel moyen se l’attribuer. Holopherne intervient. Il cédera la princesse de Tabal qui avait été faite prisonnière lors de la guerre contre les Mèdes à l’un de ses fidèles lieutenants. Les généraux Hasphénor, Astourbar, Sisarioch et Bérose, fâchés, murmurent dans leur barbe. Sisarioch demande quel sera le sort réservé aux deux femmes. Holopherne lève son sceptre au-dessus de sa tête. Son jugement est sans appel. Les généraux sortent. La troisième scène montre Holopherne avec l’eunuque Vagaoo et le Mongol. En fait, Holopherne a des vues sur Judith qui lui rappelle l’Égypte de son L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein
enfance.
Le général Hasphénor revient sans demander audience. Il est venu se plaindre : il est de sang royal et demande qu’on lui confie plus de responsabilités. Holopherne lui laisse entendre qu’il a deviné ses desseins. À sa place, il ferait bien d’avoir peur. Pour appuyer ses dires, il désigne du doigt l’homme qu’il vient de faire empaler. Après le départ d’Hasphénor, les scènes cinq et six montrent Holopherne dans l’intimité avec ses serviteurs. On apprend que Judith a refusé la nourriture qu’on lui a apportée. Holopherne a bien conscience qu’Hasphénor s’adressera à Nabuchodonosor, mais cela ne l’inquiète pas outre mesure.
La scène six est le premier tête-à-tête entre Judith et Holopherne. Judith est vêtue magnifiquement. Holopherne commence par lui parler comme un acteur : « Comment m’avez-vous trouvé ? » et essaie de mettre Judith à l’aise. Pour Holopherne tout ce cérémonial vise à impressionner les humbles et les naïfs. Or le front de Judith n’est pas celui d’une femme « à rouler dans la poussière ». Il lui avoue qu’il la trouve belle et qu’elle lui rappelle son Égypte natale. Il essaie de deviner l’opinion qu’elle a de lui. Contrairement à ce qu’il pensait, Judith n’ignorait rien de son raffinement. Elle aussi est impressionnée par sa stature et évoque avec nostalgie son peuple qui a longtemps vécu en Égypte. Holopherne déclare sa flamme et lui demande si elle partage son sentiment.
À sa grande surprise, Judith rit et assure qu’il ne saura la réponse que dans cinq jours. Ce sera le jour de la fête du Zakmoukou, la fête de la Fécondité,
répond Holopherne. Il ose alors un geste déplacé et Judith recule, mais il a le temps de déceler chez elle une lueur de désir. Il pense donc que Judith aime
quelqu’un, mais l’intéressée dément. Elle est venue pour servir son Dieu. Il est vrai qu’elle a aimé Manassé. Holopherne se fait de plus en plus pressant.
Judith se dérobe à nouveau. Holopherne et Judith ont une conversation sur la gloire et l’amour. Pour Holopherne qui est déjà un grand général, c’est l’amour qui prime.
Judith, quant à elle, affirme que la gloire est plus importante que l’amour. Holopherne est sceptique. Il pressent que Judith ment. En fait, Judith n’attache aucune importance à sa réputation de poétesse qui pourrait lui assurer la gloire. Elle est persuadée que ses textes ne sont compris que par une minorité.
L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein
Holopherne lui demande ensuite pourquoi elle n’a pas cherché à influencer les habitants de Béthulie pour les ramener dans le droit chemin et leur faire
respecter la Loi du Dieu unique. Judith n’arrive pas à mettre en balance « l’adulation des scélérats » et un commandement de l’Éternel. Nouvel attouchement d’Holopherne. Cette fois, Judith ferme les yeux, puis, curieuse, lui demande de décrire ses palais. À la fin de la scène, Judith avoue être séduite. C’est alors qu’Holopherne s’aperçoit dans un moment de lucidité que Judith est venue pour le tuer. Il la menace de torture. Judith pleure, le supplie de la tuer. Mais Holopherne lui annonce qu’elle est libre. Judith accepte de se retirer.
Tableau II : Cinq jours plus tard, à la fête de Zamoukou.Judith croque un fruit, allongée sur des coussins. Devant elle, Ada danse et vante la beauté d’Holopherne. Le général Sisarioch est ivre et tente de s’emparer d’Ada qui résiste. C’est en effet la fête de l’Assouvissement, du Plaisir. Trop ivre, Sisarioch finit par se retirer. Holopherne entre, suivi de l’eunuque Vagaoo et du Mongol. Holopherne se jette aux pieds de Judith puis donne un ordre au Mongol. Celui-ci ramène Judith et Ada à leurs appartements. Dehors, après la musique, on entend le cri d’un supplicié. Dans la scène quatre, Holopherne et Vagaoo sont seuls. Holopherne expose à son eunuque son désir de voir Judith préparée comme une nouvelle épouse. Pourtant, il est malheureux, car il pense qu’elle ne l’aime pas. Vagaoo, lui, n’apprécie pas le sentiment de supériorité de Judith. Holopherne affirme que de toutes les femmes qu’il a conquises, Judith est la seule qu’il aime vraiment. La scène cinq met à nouveau face à face Holopherne et Judith. Holopherne exprime son désir. Il se reproche d’avoir été trop brutal, craint de l’avoir perdue. Holopherne lui redemande si elle a déjà été tentée par l’amour. Judith lui rétorque qu’il était exclu pour elle de pouvoir trouver un homm e à sa hauteur dans sa ville natale avec ses « toitures basses » et ses «murs croulants ». En fait, elle a toujours attendu « l’Homme-Dieu ».
L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein
Holopherne interroge Judith sur les raisons qui l’ont poussée à sortir de Béthulie et à mettre sa vie en danger. Il pense que son angoisse constitue la principale motivation. Judith, pour sa part, soutient qu’elle a obéi au commandement de Dieu. Holopherne rétorque que c’est également par désir de connaître l’amour charnel. Judith nie. Holopherne lui conseille d’écrire et de sublimer ainsi son désir d’aimer et d’être aimée. Holopherne aime Judith, mais déplore sa froideur. Malheureux, il propose à la jeune femme de le tuer. Judith le supplie de la laisser partir. Holopherne insiste et lui montre comment placer le glaive sur sa gorge. Ainsi, pourra-t-elle acquérir la gloire qu’elle recherche tant. Judith l’embrasse. Elle aime Holopherne, car, contrairement aux autres hommes, celui-ci n’est pas un esclave. La scène se termine dans l’obscurité. On entend Judith murmurer : Je suis une femme… une femme… une femme…
Tableau III : Une heure plus tard.
Judith et Holopherne sont au lit. Holopherne dort pesamment. On l’entend geindre et ronfler. Judith est assise. Au-dehors, Ada, couchée par terre, tient
les mains du général Sisarioch. Sisarioch exprime ses craintes d’être surpris par Holopherne et sort. Judith sort de la tente d’Holopherne. Ses premières paroles expriment sa détestation de l’amour et elle chasse Ada. Une fois seule, elle se demande où elle est, ce qu’elle a fait. Vagaoo survient. Il a écouté les déclarations d’amour d’Holopherne. Vagaoo est persuadé que Judith est assez intelligente pour partager le pouvoir avec Holopherne. Il est prêt à l’aider. Quant au futur couple, il leur prédit du tumulte, de la jalousie, des « abîmes de souffrances » et de formidables réconciliations, mais sûrement pas une vie de plénitude.
La scène cinq est la scène de l’assassinat d’Holopherne. Judith décapite son amant dans l’obscurité, à travers un rideau. Dans la scène six, Judith annonce son crime à Ada, puis exprime son triomphe dans la scène suivante. Le deuxième acte se termine par le rire de Vagaoo lorsqu’il découvre lecorps décapité de son maître.
L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein L’acte se déroule sur un sentier abrupt. On voit des pans de rempart et plus haut la maison de Judith. En bas, le camp d’Holopherne brûle.
Dans la première scène, Charmi félicite Judith de son entreprise en présence de Saaph et bénit l’union prochaine des deux jeunes gens. Une fois seuls, Judith et Saaph s’étreignent. Mais Saaph pressent que Judith a aimé Holopherne et s’enfuit. Judith gravit le sentier. Elle veut voir la tête d’Holopherne.
Dans la dernière troisième et dernière scène, Judith est parvenue au sommet. Saaph est près d’elle. Il pousse un cri étouffé et roule à terre devant elle : il s’est poignardé. Judith enjambe le corps pour poursuivre son chemin. Le tonnerre gronde. Des éclairs éclatent dans le ciel. Judith aperçoit le gibet à la lumière d’un éclair. Elle constate que les corbeaux ont dévoré les yeux de son amant. Elle redescend. Le tonnerre la poursuit d’un rire énorme.
Recherches historiques Les questions que Bernstein pose à M. Lévy, rabbin, sur les coutumes juives témoignent de son désir de tout vérifier jusqu’au moindre détail. Il s’intéresse au contexte historique et veut retrouver la vie et les habitudes de l’époque : le statut de la femme, l’heure des repas, les aliments et les boissons, l’organisation sociale et religieuse. Bernstein ne veut commettre aucun impair. Les premières questions concernant la présence éventuelle de femmes dans le Temple de Jérusalem laissent supposer que Bernstein a envisagé d’y situer le premier acte. Il s’intéresse donc au déroulement des sacrifices, se renseigne sur le nom hébreu du sacrificateur, les bénédictions prononcées à l’occasion des sacrifices et le fait de savoir si les femmes y assistaient. Mais la situation de Béthulie l’oblige à changer d’avis. Comment, en effet, faire L’intrigue de Judith d’Henry Bernstein / Recherches historiques
Acte troisième : Le désir.
revenir Judith dans sa ville alors qu’Holopherne en bloque toutes les issues ?Les notes de mise en scène envoyées à Antoine indiquent également qu’il a
puisé dans différentes sources pour imaginer les décors. C’est ainsi qu’il conçoit le décor de l’oratoire dans lequel se déroule le premier acte en tenant compte des indications du rabbin et de livres spécialisés. Son intérêt ne se limite pas au côté juif. Dans une fiche intitulée « Flore assyrienne », il relève l’importance des joncs et des roseaux chez les Assyriens et remarque que ces plantes reviennent dans les invocations à la déesse de la fécondité Ichtaar. Il prévoit, en vue du deuxième acte, une « musique assyrienne » en l’honneur de la fête du Zakmoukou, musique qui sera composée par E.C. Grassi. Bernstein cherche bien à « reconstituer » un climat. Pas question d’anachronisme intentionnel, seule une certaine dose de réactualisation est tolérée. Si Bernstein tient à l’historicité, ses personnages mènent la vie que Bernstein connaît. Ainsi, les gens décrits par Abigaïl (la jeune femme de Béthulie un peu écervelée qui rend visite à Judith dans la première scène) sont propriétaires de grands pâturages en dehors de la ville, vont à des soupers et médisent de leur prochain.
Bernstein ne veut pas d’une Judith monolithique déchirée entre son désir pour Holopherne et son devoir de sauver son peuple. Les motivations qui poussent un individu à agir sont multiples et il veut rendre compte de cette complexité. Aussi écrit-il une scène où Holopherne interroge Judith sur les raisons qui la poussent à le tuer. C’est sur cette scène qu’il travaille le plus. Entre le 25 juin et le 18 juillet 1922, Bernstein en écrit trente versions différentes1
. Judith est-elle venue pour obéir à un ordre divin et pour sauver les habitants de Béthulie comme elle l’affirme ou bien pour connaître l’amour comme le prétend Holopherne ?
Bernstein utilise les décors et les costumes de l’époque, mais s’éloigne de l’histoire originale : Il crée un personnage, Saaph, incarnant un jeune guerrier juif amoureux de Judith. Judith est une veuve-vierge. Elle n’a jamais connu l’amour avec son mari Menassé. Sa motivation est double : elle est curieuse des choses de l’amour, mais surtout résolue à laisser son nom dans l’histoire. 1 Acte II, deuxième tableau, scène 5 devenue scène 7 dans la version définitive.
Recherches historiques Elle désire Holopherne et couche avec lui. Holopherne n’est pas un monstre, mais un homme sensible qui devine le projet de
Judith.
À son retour, Judith revient avec la tête de son amant, rencontre Saaph qui se suicide en apprenant que sa promise a aimé Holopherne. Judith enjambe le
cadavre de son fiancé et poursuit son chemin. Elle aperçoit le gibet battu par le vent, la pluie et les éclairs. À la lueur de la foudre, elle voit que les corbeaux ont dévoré les yeux d’Holopherne. Elle s’enfuit éperdue.
Accueil de la pièce
Bernstein a le sens des affaires. Il interdit l’accès du théâtre aux journalistes avant la première, décide d’offrir les bénéfices de la première à l’Institut Pasteur (ce qui lui fait beaucoup de publicité). On parle de soirée « historique ». On admire les décors et les costumes. Certains critiques remarquent la ressemblance avec la Judith de l’Allemand Hebbel, créée en 1840. La pièce est longue : quatre heures. Beaucoup de critiques voient dans la pièce une lutte entre l’orgueil et le désir. D’autres y voient l’histoire d’une Juive dévouée jusqu’au meurtre au salut de son peuple. En novembre, on parle de supprimer le dernier acte. La pièce se terminerait par un grand éclat de rire de l’eunuque en voyant le cadavre d’Holopherne. L’information est démentie. François Mauriac parle « de fausse grandeur et de vraie bassesse ». La pièce s’arrête au bout de quelques dizaines de représentations. Aucun critique ne décèle l’ambiguïté d’Holopherne inhérente à ses origines égyptiennes et à sa condition d’outsider.
Recherches historiques / Accueil de la pièce
Qu’a voulu démontrer Bernstein ?
Bernstein n’est pas croyant. On a l’impression qu’il oppose le désir et le beau (la lumière) à la religion (la mort). D’où le gros problème de l’auteur pour peindre son héroïne sous un jour favorable. Qu’est-ce qui pousse Judith à quitter Béthulie ? Dans ses versions successives (30 versions entre le 26 juin et le 18 juillet), Bernstein parle de « dessein ». Dans certaines versions, l’idée est précisée, c’est Dieu. Dans d’autres, il est juste question de « patrie ». Dans les versions plus tardives, on ne parle que du dessein de supprimer Holopherne sans vraiment justifier cet acte. Judith est très différente de ses coreligionnaires. Belle, intelligente, orgueilleuse et insatisfaite (conformément aux stéréotypes antisémites de l’époque), elle rêve de se mesurer avec un homme qui soit son égal. Elle méprise le seul Juif qui l’aime, Saaph, lui préférant Holopherne prétendument plus digne d’elle. Elle doit donc sortir de sa communauté. Bernstein ne montre pas les habitants de Béthulie sous un jour sympathique. Les rabbins sont de vieux incapables de décider. Saaph est un soldat vigoureux, solide, mais facile à berner. Quant à l’ensemble des Juifs, Bernstein les traite de « troupeau », de « populace » – comparant leur ville à « une pauvre tortue » – tandis qu’Holopherne est qualifié de « panthère ». Or, Judith ne veut pas mourir comme un « rat ». Holopherne n’est pas un monstre, mais un être sensible qui devine le projet de Judith. Ce n’est pas non plus un aristocrate. Il méprise les généraux apparentés au roi Nabuchodonosor et met en doute leurs capacités. D’origine égyptienne (il est habillé comme un Égyptien contrairement aux autres généraux assyriens), il mentionne souvent le Nil et fait figure d’outsider.
Bernstein change complètement le mythe. Ce n’est plus le récit de l’union d’une simple juive (même riche) et d’un aristocrate, mais de deux Juifs hors du commun : une aristocrate juive (Judith), intelligente au tempéramentartistique (elle écrit des psaumes), et un plébéien (Holopherne) différent des autres généraux. Sans l’affirmer explicitement, Bernstein voit en lui – inconsciemment ou non – un Juif. On peut justifier cette affirmation de plusieurs manières.
Qu’a voulu démontrer Bernstein ?
En ce qui concerne la distribution des rôles, Bernstein avait pensé à Harry Baur pour incarner Holopherne. Les deux hommes ne s’entendent pas. Baur
arrive à la première répétition muni d’un immense fouet, provoquant ainsi la peur de l’actrice Simone qui interprète le rôle de Judith. Plusieurs acteurs
se succèdent sans succès. Bernstein pense même jouer lui-même le rôle d’Holopherne, lequel finit par échouer à Jacques Grétillat. Holopherne détonne par rapport aux autres généraux. D’origine modeste, il ne s’habille pas à la mode assyrienne et ne porte pas non plus la barbe. Il présenterait donc les caractéristiques des nombreux personnages juifs masqués du théâtre deBernstein. Il parle plusieurs langues (comme les Juifs dits « cosmopolites »). Il est devenu général par ses propres mérites, contrairement aux aristocrates, mais comme la plupart des personnages juifs du théâtre de Bernstein. Il évoque à plusieurs reprises sa nostalgie des bateaux du Nil au clair de lune. Holopherne n’est pas assyrien. Il est donc possible que Bernstein ait voulu créer un personnage hybride possédant certains caractères juifs.
Le message de Bernstein est simple : Il existe chez les Juifs des êtres d’élite qui sont de véritables aristocrates. C’est le cas de Judith. Les chefs les plus aptes à diriger sont juifs. Voyez Judith, l’aristocrate juive qui prend en main la destinée de son pays, ou Holopherne, le roturier prêt à renverser Nabuchodonosor. Leur union serait idéale, car incarnant l’alliance de l’intelligence et de l’instinct. Apparemment donc Judith est l’histoire d’une assimilation ratée. Elle fuit Béthulie pour connaître l’amour et obtenir la reconnaissance des générations futures.
Le projet échoue pour trois raisons :
Judith est déçue par l’amour. Holopherne s’endort après leurs ébats et va jusqu’à ronfler. L’amour n’est pas « absolu ». Judith a un devoir envers ses coreligionnaires, puisqu’elle doit délivrer les habitants de Béthulie Par son geste, elle se couvre de gloire aux yeux des générations futures.
Conclusion
Le mythe de Judith a survécu à Bernstein. Après la guerre, d’autres auteurs ont écrit l’histoire de Judith et d’Holopherne. Varoujan, en 2001, imagine
une histoire dans laquelle Judith s’est échappée des camps et Holopherne est un nazi. À la fin de la pièce, Judith se trouve enceinte (on ne sait pas de
qui, un gardien, un détenu ?). Pour Varoujan la vie est la mémoire. En transposant la pièce dans le monde actuel, Judith perd son identité (on ne sait plus si elle est juive ou arménienne) et Holopherne symbolise Hitler, Staline, Mao…
Conclusion
En fait Bernstein pense bien sûr à l’union réussie de l’intelligence et de l’instinct, mais aussi à la formidable mission des Juifs s’agissant de diriger le monde.
P our e n s avoi r p l u s . . .
Poirier, Jacques, Judith, Echos d’un mythe biblique dans la littérature française, Presses Universitaires de Rennes, 2004.
Bernstein, Henry, Théâtre, Editions du Rocher, Monaco, 1997. BernsteinGruber, Georges et Maurin, Gilbert, 50 ans de théâtre de passions et de vie parisienne, Editions, J-C Lattès, Paris, 1988.
Fingher, Michèle, Le conflit entre Juifs et aristocrates dans le théâtre d’Henry Bernstein (1900-1952), thèse écrite sous la direction de Yehouda Moraly, Université Hébraïque de Jérusalem, 2012.
Pour en savoir plus / Photographies
Photographies
Couverture : Judith, L’art en fête, tome 2, page 29, photo Musée d’Israel pour le Voyage de Betsalel.
– P. 11 : Henry Bernstein, Renoir, Domaine publichttps://commons.wikimedia.org/wiki/File:Renoir_-_portrait-of-henry-bernstein.jpg! PinterestLarge.jpg
– P. 13 : Vieux Juif, Leon bakst, 1922, Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Judith_play_by_L.Bakst_02.jpg
– P. 14 : Holopherne, Leon Bakst, 1922, Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Judith_play_by_L.Bakst_01.jpg
Auteur : Michèle Fingher
Graphisme : David Soulam
Décembre 2022
Publié par les Editions ADCJ
Association pour la Diffusion de la Culture Juive
(Association loi 1901)
56 rue Hallé, Paris 75014, France
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Les dramaturges reprennent souvent des mythes tirés de l’imaginaire collectif et les adaptent à la scène. Ces mythes sont parfois puisés directement dans la Bible : c’est le cas de David et Goliath, de Samson et Dalila, d’Esther, de Judith. D’autres n’ont rien à voir avec la Bible comme Roméo et Juliette ou Don Juan.
L’histoire de Judith a donné lieu à de nombreuses versions. Entre le 15e et le 20e siècle on a dénombré plus de soixante-dix versions différentes de l’histoire de Judith dans la littérature et au théâtre, sans compter l’adaptation de D. W. Griffith au cinéma en 1913
Le Nouveau Ghetto
Théodore Herzl, auteur dramatique Le Nouveau Ghetto Contexte historique : Vienne, aristocrates et banquiers juifs, Herzl, les krachs financiers, les duels. Synopsis : 1er acte, 2e acte, 3e acte, 4e acte Accueil Le Nouveau Ghetto en bref Conclusion Lexique Pour en savoir plus… Le Nouveau Ghetto LE NOUVEAU GHETTO L’écriture du Nouveau Ghetto a joué un rôle de premier plan dans la vie de l’auteur. Grâce au théâtre, Herzl a pris conscience de la nécessité d’un abri permanent pour le peuple juif. Le Nouveau Ghetto a donc joué le rôle de catalyseur dans la métamorphose de Herzl en un acteur de premier plan dans la création d’un État juif. Théodore Herzl, auteur dramatique T HÉODORE HERZL, AUTEUR D RAMATIQUE Avant de devenir le père fondateur du sionisme, Théodore Herzl a été journaliste, romancier et auteur dramatique. De son œuvre théâtrale, il reste seize pièces dont la plupart sont tombées dans l’oubli. Qu’elles soient sérieuses ou relèvent de la comédie, les pièces de Herzl ont pour sujet les questions sociales de son temps. Il a écrit pour la scène pendant plus de vingt-cinq ans, entre 1880 et 1905. Voici une liste de ses œuvres : Kompagniearbeit, comédie en un acte, 1880 Die Causa Hirschkorn, comédie en un acte, 1882 Tabarin, comédie en un acte, 1884 Muttersöhnchen, comédie en quatre actes, 1885 Seine Hoheit, comédie en trois actes, 1885 Der Flüchtling, comédie en un acte, 1887 Wilddiebe, comédie en quatre actes en collaboration avec H. Wittmann, 1888 Der Flüchtling, comédie en un acte, 1889 Was wird man sagen?, comédie en quatre actes, 1890 Die Dame in Schwarz, comédie en quatre actes en collaboration avec H. Wittmann, Vienna 1890 Prinzen aus Genieland, comédie en quatre actes, 1891 o Die Glosse, comédie en un acte, 1895 Das Neue Ghetto, drame en quatre actes, 1894-1898 o Unser Kätchen, comédie en quatre actes, 1899 Gretel, comédie en quatre actes, 1899 I love you, comédie en un acte, 1900 Solon in Lydien, drame en trois actes, 1905 Théodore Herzl, auteur dramatique Théodore Herzl, Hermann Struck, Berlin 1903 Parmi ces pièces, une seule met en scène des personnages juifs : Das Neue Ghetto (Le Nouveau Ghetto). Cette œuvre décrit un conflit opposant des aristocrates à des Juifs assimilés, à Vienne, à la fin du 19e siècle. Elle se termine sur la mort de Jacob Samuel, l’alter ego de Théodore Herzl. La pièce, originellement écrite en allemand, a été traduite en anglais et en hébreu dans les années 1950. Par contre, il a fallu attendre 2018 pour qu’elle soit traduite et publiée en français par les Éditions ADCJ. Le Nouveau Ghetto / Contexte historique LE NO UVEA U g HET TO Théodore Herzl a écrit Das neue Ghetto [Le Nouveau Ghetto] alors qu’il résidait à Paris à l’automne 1894, soit deux ans avant la parution de L’État juif. Il n’est pas encore le fondateur du sionisme, mais un avocat, journaliste et auteur dramatique. Son but en écrivant cette pièce est d’exposer la barrière qui subsiste entre Juifs et non-Juifs. CONTEXTE HISTORIQUE Vienne Même si la présence de Juifs en Autriche est très ancienne, les restrictions les empêchant de résider à Vienne ne seront levées qu’au 18e siècle. Au début du 19e, la capitale de l’empire austro-hongrois devient le centre de la Haskala et sa population juive passe de près de 4 000 en 1846 à 15 000 en 1858 et à environ 72 000 en 1888. Cet accroissement s’explique essentiellement par l’arrivée de Juifs de Galicie, de Bohême-Moravie et de Hongrie, toutes contrées annexées à l’empire en 1878-1879. Aristocrates et banquiers juifs À la fin du 19e et au début du 20e siècle, Juifs et aristocrates se situent apparemment dans des camps opposés. Les banquiers juifs sont alors au faîte de leur puissance. Grands bénéficiaires du développement industriel et financier, ils vivent dans un luxe inouï. Le baron Maurice de Hirsch (1831- 1896) a été le promoteur de la première ligne de chemin de fer ottomane, ancêtre de l’Orient-Express. On l’accuse d’avoir joué un rôle de premier plan dans le krach de l’Union Générale de 1882. Il habite un hôtel de trois étages en face du palais de l’Élysée. Le baron Maurice de Hirsch Le baron James de Rothschild Le baron James de Rothschild, qui a obtenu la concession de la compagnie des Chemins de fer du Nord en 1847, est à l’époque l’homme le plus riche de France après Louis-Philippe. Du côté de l’aristocratie, traditionnellement catholique et nationaliste, on est volontiers antisémite et l’on répugne à fréquenter des Juifs même riches. Contexte historique Soucieux de ne pas se « diluer », les aristocrates forment une société fermée qui leur confère une aura de cohésion et d’unité. Pourtant, les grandes familles ont perdu de leur prestige. Beaucoup ont dilapidé leur fortune et appartiennent à « une aristocratie de plaisir ». Malgré tout, elles restent fidèles à certains idéaux, dont l’honneur et l’héroïsme militaire. Herzl C’est dans ce contexte que la famille Herzl, venue de Budapest, s’établit à Vienne en 1878. Théodore entreprend des études de droit. Il adhère à la confrérie estudiantine Albia célèbre pour sa propension à organiser moult beuveries et duels. En 1881, par exemple, les membres de la confrérie se livrent à 75 duels, souvent pour des prétextes futiles. Lorsque la confrérie décide d’organiser une cérémonie en l’honneur de Richard Wagner et permet à l’un de ses membres de prononcer un discours pro-allemand et violemment antisémite, Herzl démissionne. Les krachs financiers Les spéculations boursières des années 1870-1890 sont à l’origine de krachs boursiers dans de nombreux pays. En 1873, la crise de la Bourse de Vienne s’étend à Paris et à Berlin et déclenche une grave récession. À New York aussi, les cours s’effondrent. La récession s’abat dans le pays. En France, 1882 est l’année du krach de l’Union Générale. Le pouvoir est accusé d’avoir favorisé les intérêts d’hommes d’affaires protestants et israélites. La banque s’écroule, entraînant la chute de la Bourse. En 1893, un an avant que Herzl n’écrive la pièce, un krach financier – marqué par l’effondrement du financement des sociétés de chemins de fer – secoue le New York Stock-Exchange. Les duels Les duels entre Juifs et non-Juifs sont fréquents. Henry Bernstein en fait en 1908 le sujet d’une pièce intitulée Israël. Mais c’est peut-être le duel qui opposa le marquis de Morès au capitaine juif Armand Mayer en 1892 qui inspira Le Nouveau Ghetto à Théodore Herzl. Cet événement fit la une des journaux et provoqua la mort d’Armand Mayer, brillant polytechnicien juif, qui s’était insurgé contre une série d’articles critiquant la présence de Juifs dans l’armée française. Son adversaire était un aristocrate antisémite. Synopsis SYn O P s Is L’action se passe à Vienne dans le milieu des Juifs assimilés. Les principaux personnages appartiennent au monde de la bourse et ont soif de réussite sociale. Leur ambition est de pénétrer la société non juive. 1er acte Le premier acte présente les personnages. C’est le mariage d’Hermine et de Jacob Samuel. Les domestiques décrivent la richesse de leurs maîtres qui marient leur fille. Les diamants portés par les intéressés ne les étonnent guère, puisque ceux-ci sont juifs. Arrivent alors les invités : Wasserstein, un Juif parvenu, mal habillé, sans éducation, Le docteur Bichler qui s’est converti, Franz Wurzlechner, non-juif, ami de Jacob Samuel, Le jeune marié, Jacob Samuel, avocat, et ses parents, Sa nouvelle épouse Hermine et ses parents, Sa sœur Charlotte mariée au riche Fritz Rheinberg, Le comte von Schramm, capitaine de cavalerie, Le rabbin Friedheimer. L’arrivée du comte von Schramm jette un froid, car celui-ci refuse de serrer la main du marié. Ce refus est dû à un événement vieux de cinq ans. Le père de Jacob était alors très malade et on craignait pour sa vie au point que le fils veillait jour et nuit sur son géniteur. Un soir, sur les conseils de sa mère, il laissa celle- ci seule au chevet du malade pour aller au café. Il ne remarqua pas que quelqu’un était assis près de lui et prit le journal posé sur la table. Synopsis Ce geste irrita son voisin qui affirma rudement que c’était « son » journal. Jacob riposta en disant que c’était le sien dorénavant. Le ton monta. Échange de cartes de visite en vue d’un duel. Mais le lendemain, Jacob dut s’excuser de ne pouvoir se battre à cause de la maladie de son père. Ce manquement lui fait encore honte. Un non-Juif aurait pu prendre pareil contretemps à la légère, mais Jacob sait qu’on attribuera cette défaillance à la lâcheté congénitale des Juifs, une idée qui lui est insupportable. Depuis, Jacob a voulu le provoquer en duel plusieurs fois, mais le comte von Schramm l’ignore systématiquement. À la fin de l’acte, le rabbin Friedheimer, respecté de tous, fait son entrée. Il expose ses idées sur le monde actuel. Les ghettos selon lui avaient du bon, carils préservaient les valeurs morales. Jacob Samuel, en ce qui le concerne, a des conceptions complètement opposées : ce sont les Juifs qui doivent se débarrasser de ces barrières invisibles qui séparent encore Juifs et non- Juifs… Acte 2e Le deuxième acte se passe six mois après le mariage de Jacob Samuel. On peut le diviser en trois parties : Franz Wurzlechner, l’ami de Jacob, annonce qu’il renonce à venir le voir. Depuis son mariage, ce dernier est trop entouré de Juifs et Franz a du mal à le supporter. Ils resteront malgré tout bons amis. Franz avoue qu’il va faire de la politique et adhérer à un parti antisémite. La scène 8 explique comment Rheinberg fait de l’argent. Lui et son associé Wasserstein ont aidé le comte von Schramm à introduire en bourse les mines de charbon de Dubnitz, propriété de cet aristocrate. En compensation, les deux hommes ont obtenu le tiers du capital, c’est-à-dire le tiers de la mine. Rheinberg a également l’option de vendre dans les quinze jours qui suivent l’introduction en bourse. Il propose à Jacob d’être son avocat. Celui- ci refuse. La dernière scène du deuxième acte met en scène l’entrevue entre un mineur de Dubnitz et Jacob. L’ouvrier décrit les conditions inhumaines dans lesquelles lui et ses collègues travaillent. Jacob accepte de les conseiller et se rend sur place. Synopsis Acte 3 Six semaines ont passé. Une inondation a noyé la mine, faute d’entretien. Beaucoup de mineurs sont morts. Cet accident a eu lieu après l’introduction en bourse par Rheinberg. Les actions se sont effondrées. Wasserstein, cynique, explique à Hermine qu’il a vendu très vite (et à bon prix) ses actions, car il « ne veut plus rien à voir avec le charbon si ça coûte la vie aux gens ». Le comte von Schramm, déjà fortement endetté, est maintenant complètement ruiné. Connaissant Jacob, le rabbin sait que celui-ci fera tout son possible pour aider von Schramm à récupérer l’argent perdu. Pour illustrer son propos, il lui raconte un événement survenu à Mayence au 14e siècle : un Juif a voulu sauver un non-Juif et s’est fait poignarder. Les Juifs, selon lui, ne doivent pas se mêler des affaires des non-Juifs. La scène 7 réunit Rheinberg, von Schramm et Jacob. Ce dernier essaie d’être objectif et expose les faits devant les ex-associés devenus antagonistes. Le ton monte. Jacob accuse von Schramm de ne pas avoir assisté aux funérailles des mineurs. Von Schramm, lui, accuse Jacob d’avoir incité les mineurs à faire grève. Ce à quoi celui-ci réplique : « J’ai fait mon devoir, mon devoir de chrétien ». Von Schramm lui lance son gant. C’est le signal du duel. Acte 4 Wasserstein a toujours considéré l’argent comme la valeur suprême, tout en n’étant pas dupe. Il a bien vu que les gens se comportent de manière obséquieuse lorsqu’ils s’adressent à lui, et le raillent lorsqu’ils sont derrière son dos. Il comprend désormais qu’il existe une autre valeur : l’honneur. C’est comme si des ailes lui étaient poussées. Et tout cela grâce à Jacob. Rheinberg a des problèmes financiers. C’est Wasserstein qui lui sauve la mise. Wurzlechner, qui avait promis de ne plus avoir de relations avec les Juifs, est revenu annoncer à Hermine que Jacob et von Schramm se sont battus et que son mari est mortellement blessé. Il charge Wasserstein d’annoncer la terrible nouvelle aux parents de Jacob. Les dernières paroles de Jacob expriment sa volonté de « sortir du Ghetto ». Son père prononce la prière juive qu’on récite lors d’un décès : « le Seigneur a donné, le Seigneur a repris, loué soit le Nom du Seigneur ». Et c’est Wurzlechner, le non-juif, qui prononce le dernier mot de la pièce : « Amen ». Accueil A CCU EIL Le 8 novembre 1894, Herzl écrit à Arthur Shnitzler pour lui demander conseil à propos de son manuscrit, Le Nouveau Ghetto. Herzl a écrit la pièce dans « un état d’ivresse créatrice », entre le 21 octobre et le 8 novembre. Après avoir lu le manuscrit, Schnitzler écrit dans son journal, le 18 novembre 1894 : « intéressant, mais froid ». Il fait part de ses observations : la pièce contient des côtés artificiels, car les personnages éprouvent le besoin de se commenter eux-mêmes. Il serait préférable, d’après lui, que leur personnalité se dégage naturellement par des situations et des dialogues. Herzl demande à Schnitzler de proposer Le Nouveau Ghetto en utilisant un pseudonyme. La pièce est rejetée. Il est possible que les directeurs de théâtre auxquels Schnitzler propose la pièce craignent la réaction de la société juive ou bien redoutent l’antisémitisme ambiant qui règne à cette époque à Vienne. Herzl, déçu, rencontre le Baron Hirsch et publie Der Judenstaat – L’Etat juif. La pièce ne sera représentée que trois ans plus tard, en janvier 1898. Un article du L’Univers Israélite daté du 4 juillet 1913 signale qu’à l’occasion du congrès sioniste, Le Nouveau Ghetto sera joué en hébreu par la troupe du théâtre juif de Lodz (en Pologne). Accueil Image découpée, Max Nordau, Théodore Herzl, Max Mandelstam, New York, 1906 (MAHJ) Accueil Le Nouveau Ghetto en bref LE NO UVEA U G HET TO En bREF Théodore Herzl a mis en scène un grand nombre de Juifs. Outre le rabbin Friedheimer qui regrette le temps où les Juifs confinés dans les ghettos juifs cherchent tous à des degrés divers à s’assimiler. On peut classer les ,personnages en deux clans : les Juifs et les aristocrates. Dans chaque clan deux personnages se distinguent : n’étaient pas encore influencés par les valeurs chrétiennes, les personnages Juifs Le rabbin Friedheimer qui regrette le temps où les Juifs confinés dans les ghettos n’étaient pas encore influencés par les valeurs chrétiennes. Le Dr. Bichler, qui a choisi de se convertir. Fritz Rheinberg, homme d’affaires juif qui aspire à vivre comme un aristocrate. Il est sauvé de la ruine grâce à Emanuel Wasserstein. Emanuel Wasserstein : Juif parvenu qui comprend à la fin de la pièce la grandeur de Jacob Jacob Samuel, alter ego idéaliste de Theodore Herzl qui cherche à tout prix à être reconnu par la société chrétienne. Non-Juifs Les domestiques qui ont adoptés tous les stéréotypes antisémites. Von Schramm : aristocrate décadent totalement ruiné. Franz Wurzlechner : non-Juif ami de Jacob qui – malgré son antisémitisme – se rend dans la maison de ce dernier pour annoncer sa mort. Conclusion Grâce à Jacob Samuel, Juifs et non-Juifs – du moins ceux qui n’ont pas été corrompus par l’argent et la politique – se sont réconciliés. Franz Wurzlechner retrouve le chemin de la maison de son ami juif Jacob et Emanuel Wasserstein, présenté au début de la pièce comme la caricature du « petit Juif », acquiert l’envergure et le cœur généralement reconnus aux aristocrates. CONCLUSION Herzl aurait voulu réconcilier Juifs et non-Juifs. À Vienne les Juifs pénètrent la société ambiante et perdent leur méfiance acquise pendant des siècles de persécutions. Grâce à leur altruisme et leur générosité naturels, ils s’ouvrent au monde extérieur et aident leurs prochains. Les non-Juifs, jusque-là rebutés par le côté calculateur des Juifs, devraient s’apercevoir de leur transformation, les comprendre et les apprécier. C’est ainsi que tout naturellement, les murailles du ghetto devraient tomber. Or, c’est tout le contraire qui se produit. Jacob Samuel n’est pas reconnu comme le justicier qu’il voudrait incarner. Au contraire, on l’accuse de s’être mêlé de ce qui ne le regarde pas et il meurt en duel. Pour Herzl, la démonstration est faite que les Juifs ne pourront jamais être acceptés par les non-Juifs. Ils seront toujours enfermés dans une sorte de « ghetto » invisible. En écrivant Le Nouveau Ghetto, Herzl imagine en finir avec « la question juive ». Or, c’est exactement l’inverse. Il écrit quelques mois plus tard à Arthur Schnitzler : J’avais pensé qu’avec cette éruption théâtrale (Le Nouveau Ghetto), je me débarrasserai du sujet, or c’est exactement l’inverse qui s’est produit : je me suis enfoncé de plus en plus profondément. La pensée que je devais faire quelque chose pour les Juifs me reprit avec une intensité redoublée. Je me suis rendu pour la première fois à la synagogue de la rue de la Victoire et, de nouveau, j’ai trouvé la prière solennelle et émouvante. L’écriture du Nouveau Ghetto marque donc une étape importante dans la vie de l’auteur. Grâce au théâtre, Herzl prend conscience de la nécessité d’un retour spirituel et communautaire. Le Nouveau Ghetto a donc joué le rôle de catalyseur dans la métamorphose de Herzl en un acteur de premier plan dans la création d’un État juif. Lexique LEXIQUE Affaire Dreyfus : (1894-1906) L’affaire commence par l’arrestation du capitaine Dreyfus, le 15 octobre 1894, lequel est accusé à tort d’espionnage au profit de l’Allemagne. Elle divise la France en deux clans farouchement opposés : les dreyfusards et les antidreyfusards. Antisémitisme : Racisme dirigé contre les Juifs. Arthur Schnitzler : (1862-1931) Ecrivain et auteur dramatique autrichien. Ami de Théodore Herzl. Baron Maurice de Hirsch : (1831-1896) Riche banquier qui se mobilise en faveur des Juifs russes soumis aux pogroms et consacre une partie de sa fortune à organiser leur émigration en Argentine. Baron James de Rothschild : (1792-1868) Fondateur de la branche française de la famille, il sera successivement le banquier de Louis XVIII Charles X et Louis-Philippe. Congrès sioniste : Le premier se réunit à Bâle en Suisse du 29 au 31 août 1897. Judenstaat – L’Etat juif : (1896) Livre de Herzl dans lequel l’auteur soutient la nécessité d’un « abri permanent pour le peuple juif ». Haskala : Mouvement de pensée qui préconise la modernisation du judaïsme. Neue Freie Presse : Journal autrichien dont Herzl est le correspondant à Paris de 1891 à 1896. Sionisme : Mouvement visant à l’établissement et à la consolidation d’un Etat juif en Erets Israël. Théodore Herzl : (1860- 1904) Ecrivain juif hongrois, correspondant du Neue Freie Presse à Paris pendant l’Affaire Dreyfus. Il publie l’Etat juif en 1896, convoque le premier congrès sioniste à Bâle en août 1897et publie Altneuland en 1902. Pour en savoir plus POUR EN SAVOIR PLUS… – Theodor Herzl, The New Ghetto, a play in four acts translated by Heinz Norden, published by Theodor Herzl Foundation, New-York, 1955. Théodor Herzl, Le Nouveau Ghetto, pièce en quatre actes traduites par Yehuda Moraly et Michèle Fingher, Editions ADCJ, Israël, 2018. Theodor Herzl, Le Pays ancien- nouveau, traduit de l’allemand et préfacé par Paul Giniewski, Editions Stock, 1998. -Théodore Herzl, L’Etat juif, préface de David ben-Gouryone, traduit par Elian-J. Finbert, Publication du Département de la Jeunesse et du Héhalouts de l’Organisation Sioniste Mondiale, Israël, 1954. Georges Yitzhak Weisz, Theodor Herzl, une nouvelle lecture, l’Harmattan, 2006. Georges Yitshak Weisz , Aux origines du sionisme de Herzl. Perspectives, revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, Herzl et le creuset viennois n°17, 2010, Jérusalem, pp. 43-53. Denis Charbit, Altneuland, Nouveau pays ancien, précédé de Retour à Altneuland : la traversée des utopies sionistes, Editions de l’Eclat, Paris- Tel- Aviv, 2004. Yehouda Moraly, Altneuland, adaptation théâtrale, Jérusalem. Yehouda Moraly, Jérusalem, Yehouda Moraly revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem Rêves viennois, Antisémitisme et anticipation, Perspectives Perspectives, n°17, 2010, pp. 151-173. revue de l’Université Hébraïque de, “Altneuland de Théodore Herzl” in Terres promises, n°11, 2004, pp. 101-112. – Théodore Herzl, Le Nouveau Ghetto, traduction de Yehuda Moraly et Michèle Fingher, Editions ADCJ, Israël. Photographies PH O TO g RAPHIEs – Couverture : Théodore Herzl, Affiche, Collection Famille Gross – P. 5 : Théodore Herzl, Hermann Struck, Berlin, 1903, (MAHJ) Paris – P. 12-13 : Image découpée, Max Nordau, Théodore Herzl, Max Mandelstam, New York, 1906, (MAHJ) Paris Auteur : Michèle Fingher Graphisme : David Soulam Janvier 2015 Publié par les Editions ADCJ Association pour la Diffusion de la Culture Juive (Association loi 1901) 56 rue Hallé, Paris 75014, France www.levoyagedebetsalel.org Courriel : contact@adcj.org L’écriture du Nouveau Ghetto a joué un rôle de premier plan dans la vie de l’auteur. Grâce au théâtre, Herzl a pris conscience de la nécessité d’un abri permanent pour le peuple juif. Le Nouveau Ghetto a donc joué le rôle de catalyseur dans la métamorphose de Herzl en un acteur de premier plan dans la création d’un État juif.
Brundibar
Terezín La musique à Terezín Brundibár à Terezín L’intrigue Après la guerre Conclusion Lexique Pour en savoir plus… Brundibár BR Un D IbÁR L’intrigue de Brundibár nous décrit deux enfants Haninka et Pepicek, dont la maman est malade. Le médecin a prescrit du lait, mais la famille étant sans le sou, les bambins sortent chanter dans la rue, comme Brundibár, un joueur d’orgue de Barbarie qui gagne sa vie en jouant de la musique`à travers la ville. Mais ce dernier ne supporte pas la concurrence et cherche à se débarrasser des intrus. Brundibár en tchèque désigne « un bourdon». Représenté sous les traits d’un personnage tyrannique et cruel, Hans Krása l’associe à Adolf Hitler. Terezín TEREZÍn Terezín est le nom tchèque de la ville dénommée Theresienstadt en allemand. C’est une petite ville située à 60 kilomètres au nord de Prague. Elle fut fondée en 1780 par Joseph II – empereur du Saint Empire germanique – qui en fit une forteresse. Celle-ci, entourée de remparts, était destinée à empêcher une éventuelle attaque ennemie. Au 19e siècle, elle sert de prison aux opposants au régime des Habsbourg. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les nazis en 1939, ces derniers, en 1941, vident la ville de ses habitants pour la transformer en camp de concentration. De 1941 à 1945, 140 000 détenus juifs transiteront par ce ghetto. Quelque 11 000 moururent sur place, tandis que la grande majorité sera envoyée plus à l’Est, vers Treblinka ou Auschwitz, pour y être exterminée. Très peu survécurent. Terezín est le seul exemple de ville transformée en ghetto. Elle a l’avantage aux yeux des autorités allemandes de posséder de hautes murailles qui facilitent l’enfermement et le contrôle. Les nazis emprisonnent à Terezín des Juifs de Bohème, de Moravie, d’Allemagne et des pays d’Europe de l’Ouest. Y sont internés tout d’abord des personnes d’un niveau social élevé, des vétérans décorés de la Première Guerre mondiale, des artistes, des musiciens, des écrivains, des cinéastes, des universitaires. Ils seront rejoints plus tard par des personnes de la classe ouvrière. En 1943, lorsque les rumeurs sur l’existence de camps de concentration commencent à se répandre, les autorités allemandes décident d’autoriser la visite de Terezín aux représentants de la Croix-Rouge. Ils font croire que la bourgade est en fait une ville juive entièrement gérée par une administration juive (le « Conseil des Anciens » composé de trois membres) que dirige Jacob Edelstein nommé le 4 décembre 1941 par Eichmann. En 1943, Eichmann en personne désigne les deux autres membres du Conseil, à savoir Paul Epstein de Berlin et Benjamin Murmelstein de Vienne. En juin 1944, le comité international de la Croix-Rouge, CICR, obtient enfin l’autorisation de visiter le ghetto. La visite est minutieusement préparée. Comme la ville est surpeuplée, les SS déportent d’abord 7 503 détenus. Ils installent à Terezín un semblant de normalité avec une banque, des boutiques, un café, des jardins d’enfants et des écoles. Des fleurs ornent ce décor factice. Terezín Des fleurs ornent ce décor factice. Les représentants de la Croix-Rouge visitent des habitations propres dans lesquelles ne vivent jamais plus de trois personnes. Ils sont invités à assister à la représentation d’un opéra pour enfants, Brundibár. Complètement dupés, ces observateurs, séduits par la mise en scène, rédigent un rapport positif. Convaincus que les détenus sont bien traités, ils estiment superflu de procéder à l’inspection prévue d’un autre camp allemand, celui de Buchenwald où des déportés de 30 pays différents sont incarcérés. La mise en scène de cette visite est une telle réussite que les Allemands décident de tourner un film de propagande. Le tournage démarre le 26 février 1944 sous la direction de Kurt Gerron, de son vrai nom Kurt Gerson. Le film est intitulé Le Führer offre une ville aux juifs. Une fois le film terminé, les acteurs, l’équipe et le réalisateur seront déportés à Auschwitz. Seuls quelques fragments du film subsistent encore. La musique à Terezín LA m Us I q U E à TEREZÍn Viktor Ullmann Les Juifs enfermés dans le ghetto ne restent pas inactifs : leur préoccupation essentielle est l’éducation. Malgré l’interdiction d’enseigner imposée par les Allemands, ils fondent secrètement des écoles dans lesquelles les enfants sont soustraits autant que faire se peut à la triste réalité. La multitude d’écrivains, de musiciens et autres artistes permet une vie culturelle et artistique très riche. Les Juifs montent plusieurs orchestres, organisent des conférences et des cercles d’étude. Plusieurs douzaines d’événements culturels se déroulent chaque semaine et la bibliothèque abrite 60 000 ouvrages. 14 opéras ont été joués à Terezín. D’autres sont écrits et répétés, mais ne verront pas le jour. Citons notamment Der Kaiser von Atlantis, oder die Tod-Verweigerung [L’Empereur d’Atlantis ou le Refus de la mort], un opéra de chambre en un acte et quatre tableaux composé par Viktor Ullmann. La musique à Terezín Viktor Ullmann compose la musique pour les instruments disponibles dans le camp : deux violons, un violoncelle, une contrebasse, une flûte, un hautbois, une clarinette, un saxophone alto, une trompette, un piano, un harmonium, des percussions, une guitare et un banjo. C’est à l’artiste Pieter Kien, âgé de 25 ans, lui aussi interné à Terezín, que revient l’écriture du livret de l’opéra. Les nazis comprenant que Kaiser von Atlantis constitue un acte de résistance, censurent l’opéra et déportent le compositeur Viktor Ullmann, le poète Pieter Kien et les acteurs à Auschwitz où ils seront gazés dès leur arrivée. Viktor Ullmann, avant son départ pour Auschwitz, a eu le réflexe de transmettre la partition à un ami qui survivra. En 1972, les feuillets sont découverts et l’opéra joué en 1975 au Théâtre Bellevue d’Amsterdam. En juin 1944, lors de la visite de la Croix-Rouge, Rafael Schächter, fondateur de l’Opéra de chambre de Prague, reçoit l’ordre de jouer le Requiem de Verdi en présence d’Eichmann et d’officiers supérieurs de la SS. Jouer le Requiem de Verdi constitue pour lui un véritable acte de défi. Il confiera : « Nous chanterons aux nazis ce que nous ne pouvons leur dire ». Schächter devra reconstituer son chœur à trois reprises, ses membres étant chaque fois déportés à Auschwitz. Il contribuera à monter d’autres opéras montés à Terezín, dont Les Noces de Figaro et La Flûte enchantée de Mozart, Rigoletto de Verdi, La Tosca de Puccini et Carmen de Bizet. Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach seront le dernier opéra joué à Terezín le 9 avril 1945 (sous la baguette de Hanuš Thein).opéra joué à Terezín le 9 avril 1945. Il est dirigé par Hanuš Thein. Brundibár à Terezín BR Un D IbÁR à TEREZÍn Brundibár à Terezín Musique Hans Krása Livret Adolf Hoffmeister Direction de l’orchestre Rudolf Freudenfeld Décors Frantisek Zelenka Direction musicale Rafael Schächter Harmonica Zvi Cohen Pepicke Pinta Mühlstein Aninka Greta Hofmeister Le chien Zdenek Ornest Le chat Ela Wessberg Le moineau Stefan Herz-Sommer Brundibár Honza Treichlinger. Brundibár est une œuvre écrite pour un concours organisé par le ministère de l’Éducation et de la Culture tchèque en 1938, c’est-à-dire peu avant la guerre. Hans Krása en est le compositeur et Adolf Hoffmeister le librettiste. Pourtant, le vainqueur du concours ne sera jamais annoncé, car le pays est envahi par les Nazis en mars 1939. La première représentation de Brundibár est donnée clandestinement – sous la direction de Rafael Schächter – à Prague dans l’orphelinat juif pour garçons « Ha Gibor », en présence de 150 invités, pendant l’hiver 1941. rundibár à Terezín Hans Krása Hans Krása monte Brundibár avec les moyens du bord. La partition originale ayant disparu, Krása est contraint d’écrire, à partir de la réduction pour piano, une nouvelle partition d’orchestre pour 13 instruments, à savoir ceux disponibles dans le camp, et c’est sous cette forme que l’opéra va survivre. Brundibár à Terezín Frantishek Zelenka De 1920 jusqu’au début de la Deuxième Guerre mondiale, Frantishek Zelenka est scénographe du Théâtre national de Prague. Déporté à Terezín, il participe, pendant les 15 mois de son internement, à l’activité culturelle du ghetto. Il monte l’opéra Brundibár. Il fait dessiner les masques du chien, du chat et du moineau sur de grands panneaux. Les enfants, debout derrière, passent leur tête dans les trous aménagés. L’opéra en deux actes dure une trentaine de minutes. Près d’un tiers de l’œuvre est parlé avec un accompagnement musical. Brundibár à Terezín Une scène de l’opéra Brundibár Le 23 septembre 1943 a lieu la première de Brundibár à Terezín, dans le bâtiment Magdebourg. Les représentations sont gratuites, mais il faut un ticket pour y assister et celui-ci est difficile à obtenir tant la demande est importante.Jusqu’à l’automne 1944, l’opéra sera représenté une fois par semaine.Les enfants qui jouent sont régulièrement déportés et remplacés. Grâce à la musique, et malgré l’horreur de leur captivité, enfants et adultes reprennent courage pendant quelques instants. La victoire contre le tyran Brundibár laisse espérer une délivrance possible. De plus, le texte chanté en tchèque n’est pas compris par les gardes SS. Une représentation de Brundibár a encore lieu le 20 août 1944 à l’occasion de la visite du camp par des représentants de la Croix-Rouge. On déménage le spectacle du baraquement de Magdebourg au grand gymnase de Sokolovna, mieux équipé. Le spectacle est même filmé afin faire croire à une vie agréable dans les camps. Quand les responsables du camp voudront, au printemps 1945, monter une nouvelle fois l’opéra pour duper une autre commission, ils devront renoncer au projet, car il n’y a plus assez d’enfants dans le ghetto. Brundibár à Terezín / L’intrigue Quand les responsables du camp veulent, au printemps 1945, monter une nouvelle fois l’opéra pour duper une autre commission, ils doivent renoncer au projet car il n’y a plus assez d’enfants dans le ghetto. L ‘InTRI G U E L’intrigue de Brundibár, « le bourdon » en tchèque, met en scène les notions de bien et de mal. La maman de Haninka et de Pepicek est veuve et malade. Les enfants doivent lui procurer du lait, mais n’ont pas d’argent. En observant Brundibár, un joueur d’orgue de Barbarie, ils ont l’idée de gagner quelques sous en chantant dans la rue. Mais Brundibár, découvre la concurrence et fait appel à un policier pour chasser les deux enfants et les empêcher de jouer dans la rue. Des passants, heureux de pouvoir aider les enfants, ainsi que trois animaux – un moineau, un chat et un chien – volent à leur secours. Ils incitent d’autres enfants du quartier à prendre le parti d’Aninka et de Pepícek et à chanter avec eux de manière à couvrir le son produit par l’orgue de Barbarie de Brundibár. Ce dernier sort vaincu et ridiculisé de l’épreuve et les enfants triomphent ainsi de l’oppression. L’intrigue Charles Nègre, Le joueur d’orgue de barbarie, 1852-1853 Débarrassés de Brundibár, les deux petits peuvent alors chanter une douce berceuse. Émus, les passants leur donnent de l’argent. Le personnage de Brundibár est joué par Honza Trechlinger, un garçon de 14 ans. Bien qu’il soit le personnage antipathique de l’histoire, Honza entre tellement dans la peau du personnage qu’il gagne la sympathie du public. Il sera déporté à Auschwitz en octobre 1944. L’intrigue La première représentation de Brundibár eut lieu le 23 octobre 1943 et fut l’événement majeur de la vie culturelle du camp. Ce personnage néfaste, qui bourdonne et gêne les deux enfants, incarnait en fait Adolf Hitler que Krása voulait caricaturer lorsqu’il composa son opéra en 1938. En novembre 1944, les 44 musiciens et les enfants furent déportés à Auschwitz. Après la guerre / Conclusion APRÈs LA G U ERRE… Joža Karas, un violoniste américain d’origine tchèque a retrouvé la partition de Brundibár dans les années 1970, acheté les droits d’auteur à la sœur de Hans Krása et monté une version en anglais en 1977. Brundibár devint alors un succès mondial. L’opéra a été joué au Japon, en Australie, en Italie, en Israël, au Canada, aux USA, en France… C Onc L U s I On La musique est un langage et Hans Krása le comprenait parfaitement quand il choisit un joueur d’orgue de Barbarie pour dénoncer l’emprise de la pensée unique. Le joueur d’orgue de Barbarie, en effet, introduit des cartes de papier perforé dans un instrument et ne prétend aucunement produire de la bonne musique. A l’opposé, les enfants utilisent leur voix, on peut dire même leur âme, pour récolter de l’argent et sauver leur mère. Et c’est leur conviction, leur cohésion qui émeuvent les passants bien plus qu’une musique mécanique et préfabriquée. L’intrigue oppose la musique mécanique à la pureté des chants d’enfants, le pouvoir d’un seul contre l’union des plus faibles. Grâce à leur entraide, les enfants l’emportent sur le tyran. De façon symbolique, les Juifs persécutés l’emportent sur le nazisme. Lexique LExI q U E Adolf Hoffmeister : (1902- 1973) Auteur de livrets, de feuilletons, de reportages, il a collaboré avec Hans Krása à deux reprises. Hoffmeister gagnera la France, puis le Maroc et enfin New York avant de revenir en Tchécoslovaquie en 1945. Antisémitisme : Racisme dirigé contre les Juifs. Bourdon : En musique, le Bourdon est un son unique et continu. Camps de concentration : Lieux fermés de grande taille construits pour regrouper et pour détenir une population considérée comme ennemie, le plus souvent dans de très mauvaises conditions de vie. Différents des camps d’extermination conçus comme des centres de mise à mort à échelle industrielle. Comité international de la Croix-Rouge : Le CICR est une organisation internationale humanitaire créée en 1863 par un groupe de citoyens de la ville suisse de Genève. Compositeur : Personne qui écrit des œuvres musicales. Génocide : Du grec genos [race] et cide [tue]. Destruction méthodique d’un groupe ethnique. Hans Krása : (1899-1942) Né à Prague, en ex-Tchécoslovaquie, Hans Krása manifeste un talent musical exceptionnel dès son plus jeune âge. Il connaît un rapide succès. Arrêté le 10 août 1942 à l’âge de 43 ans, il sera incarcéré à Terezín pendant plus d’un an avant d’être déporté et assassiné à Auschwitz le 16 octobre 1944. Holocauste : Du latin holocaustum signifiant « sacrifice d’un l’animal ». Pendant la période des 1er et 2e Temples, les Juifs avaient l’habitude de sacrifier des animaux offerts en holocauste. Par extension : extermination des Juifs par les nazis (voir Shoah). Librettiste : Auteur d’un livret. Livret d’un opéra : Texte sur lequel est écrite la musique d’une œuvre lyrique. Lexique Nazisme : Idéologie politique qui prône une division hiérarchique de l’espace humaine en races. Le régime nazi dirigé par Adolf Hitler en Allemagne a duré de 1933 à 1945. Opéra : Poème ou ouvrage dramatique mis en musique, dépourvu de dialogue parlé, qui est composé de récitatifs, d’airs, de chœurs et parfois de danses avec accompagnement d’orchestre.qui est composé de récitatifs,d’airs, de chœurs et parfois de danses avec accompagnement d’orchestre. Orgue de barbarie : Barbarie est une altération de Barberi, nom d’un fabriquant d’orgues de Modène. Orgue portatif dont on joue au moyen d’une manivelle. Viktor Ullman : (1898-1944) Compositeur d’origine tchèque. Il compose de nombreuses œuvres pendant son internement à Terezín. Shoah : Catastrophe de l’hébreu שואה Extermination systématique des Juifs par les Allemands. On estime le nombre de Juifs assassinés pendant la Deuxième Guerre mondiale à 6 millions. Troisième Reich : Le mot allemand Reich signifie « empire ». L’expression Troisième Reich désigne l’État allemand nazi dirigé par Adolf Hitler de 1933 à 1945. Pour en savoir plus PO U R En s A V O IR PLUs… Brundibár, un opéra de Hans Kráza, traduit en français par Alena Sluneckova, CD, 2005. Brundibár, album de Tony Kushner (auteur), illustré par Maurice Sendak, Ecole des Loisirs 2005. Berkley, George E. Hitler’s Gift : the story of Theresienstadt, Branden Books, Boston, 1993. L’illusion de l’objectif, Le délégué du CICR Maurice Rossel et les photographies de Theresienstadt, Sebastien Farré et Yan Schubert. http://www.cairn.info/revue- le-mouvement-social-2009-2- page-65.htm. 1942 : Le Comité International de la Croix-Rouge, les déportations et les camps, Jean-Favez, vingtième siècle, Revue d’histoire, année 1989, volume 21, pp. 45-56. http://www.persee.fr/ web/revues/home/prescript/ article/xxs_0294-1759_1989_ num_21_1_2086 Le Dernier des injustes : Film de Claude Lanzmann, 2013. Orchestre de Paris : Ressources pédagogiques 2018-2019 : dossier-pedagogique-brundibar- mai-2019.pdf (orchestredeparis. com) Theresienstadt, Ein Dokumentarfilm aus dem jüdiscen Sielungsgebiet (Theresienstadt, un documentaire sur la zone de peuplement juif) également connu sous le titre : Der Führer schenkt den Juden eine Stadt (le Führer donne une ville aux Juifs), réalisé par Kurt Gerron et achevé en 1945 par Karel Pecený. USC (University of Southern California) Shoah Foundation Institute, Los Angeles California. http:/college.usc/vhi/education The United States Holocaust Memorial Museum. Washington D.C. www.ushmm.org Yad Vashem. Jérusalem, Israël www.yadvashem.org Photographies PH O TO G RAPHIEs Couverture Affiche de Brundibar ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Brundibar_poster_Theresienstadt. jpg P. 5 Monnaie Terezin ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Terezin_money_7562.JPG https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Terezin_money_7561.JPG P. 6 Viktor Ullman ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Viktor_Ullmann_2.jpg – P. 8 Hans Krasa ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hans_Kr%C3%A1sa_1927.jpg – P. 8 Frantisek Zelenka ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frannti%C5%A1ek_Zelenka_1939.jpg – P. 8 Représentation de Brundibar ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/w/index.php?search=Brundibar&title=Special:MediaSearch&go=Go&type=image – P. 9 Dessin D.S – P. 10 Orgue de Barbarie ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:L%27orgue_de_Barbarie_ou_Le_joueur_d%27orgue.jpg Auteur : Michèle Fingher Graphisme : David Soulam Janvier 2015 Publié par les Editions ADCJ Association pour la Diffusion de la Culture Juive (Association loi 1901) 56 rue Hallé, Paris 75014, France www.levoyagedebetsalel.org Courriel : contact@adcj.org L’intrigue de Brundibár nous décrit deux enfants Haninka et Pepicek, dont la maman est malade. Le médecin a prescrit du lait, mais la famille étant sans le sou, les bambins sortent chanter dans la rue, comme Brundibár, un joueur d’orgue de Barbarie qui gagne sa vie en jouant de la musique`à travers la ville. Mais ce dernier ne supporte pas la concurrence et cherche à se débarrasser des intrus.
Tevyé le laitier
Tevye Le Laitier Les Juifs russes à la fin du 19e et au début du 20e siècle Le yiddish Le théâtre yiddish La vie de Sholem Aleikhem La genèse de Tevye le laitier Les principaux personnages Un film oublié : Tevye der Milchiker (1939) Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) Argument Synopsis Conclusion Pour en savoir plus… Tevye Le Laitier TEVYE LE LAITIER Tevye le laitier est un personnage célèbre du cinéma et du théâtre. Pater familias par excellence, il se voit peu à peu dépouillé de ses seules richesses, à savoir ses filles. Les courtes nouvelles écrites par Sholem Aleikhem sous la forme de monologues intérieurs ont connu plusieurs transformations successives. C’est ainsi que Tevye le laitier a donné naissance à : des pièces de théâtre, des comédies musicales américaines, un film en yiddish en noir et blanc, un grand film américain devenu le symbole des Juifs achkénazes. Tevye Le Laitier Sholem Aleikhem est un conteur né. Le village où habite Tevye, le schtetl, est un microcosme de la vie juive traditionnelle. Le personnage de Tevye – interprété de diverses manières par les acteurs l’ayant incarné, qu’il s’agisse de Maurice Schwartz, Zero Mostel ou Topol – revêt une dimension tragique et comique à la fois. Ses filles reflètent les différentes idéologies ayant ébranlé le début du 20e siècle. Maurice Schwartz, image Domaine public ‘Haïm Topol, image Domaine public Tevye Le Laitier Zero Mostel, image Domaine public Les Juifs russes à la fin du 19e et au début du 20e siècle LEs JU IFs R Uss Es À LA FIn D U 19 E ET A U D ébUT D U 2 0 E s IèC LE Au 19e siècle, les Juifs de Russie sont confinés dans une zone de résidence russe et vivent dans la hantise des pogroms. Ils s’agglutinent dans des ghettos sans murailles. Au sein de ces populations apeurées, l’idée de devenir citoyen à part entière apparaît complètement utopique. D’ailleurs, qui souhaite faire partie d’un pays dont la majorité des habitants n’ont qu’injure à la bouche et fouet au bras lorsqu’ils s’adressent aux Juifs ? En 1871, des pogroms éclatent, en particulier à Odessa, Kiev, Berditchev et Varsovie. Au cours du pogrom de Kiev, 3 000 Juifs sur les 20 000 habitant la ville se retrouvent en un instant sans toit, sans vêtements et sans possibilités de travail. Onze ans plus tard, en 1882, un pogrom éclate à Balta sous l’œil complaisant de la police. Le bilan est désastreux : 40 morts, des centaines de maisons et magasins démolis et pillés, des milliers de personnes réduites à la misère et à la mendicité. En mai 1882, le gouvernement interdit aux Juifs se trouvant à l’intérieur de la zone de résidence d’habiter dans les campagnes, ainsi que d’y louer ou d’y posséder des biens immobiliers. Les cinq millions de Juifs que compte la Russie sont condamnés à s’entasser dans les villes. En juillet 1887, une loi impose un numerus clausus à l’entrée dans les écoles secondaires et les universités. En décembre 1887, une nouvelle loi interdit aux Juifs de quitter leur village, même pour une brève période. De 1903 à 1907 les pogroms et les expulsions reprennent à Kichinev, Bialystock. L’affaire Beylis (1911-1913) concerne un Juif ukrainien accusé d’avoir utilisé le sang d’un enfant chrétien pour confectionner des matzot – galettes de pain azyme sans levain consommées durant la Pâque juive – déclenche une vague de protestations contre la politique antisémite du gouvernement russe. Malgré les pogroms et diverses mesures gouvernementales dommageables, la tradition juive demeure vivace. Les écoles talmudiques restent la majorité, même si elles doivent parfois faire une place aux établissements se réclamant de la Haskala, à savoir un mouvement de pensée prévoyant notamment de faire cohabiter l’enseignement traditionnel avec la culture générale axée sur les sciences et les langues. Les Juifs russes à la fin du 19e et au début du 20e siècle Sur le plan politique, les Juifs d’Europe et de Russie ont le choix entre plusieurs options : Le sionisme En effet, confusément d’abord, puis de plus en plus consciemment, le judaïsme russe se laisse pénétrer par cette idéologie à partir de la fin du 19e siècle. Léon Pinsker (1821-1891), originaire d’Odessa, publie en 1882 un véritable manifeste sioniste dans lequel il exhorte les Juifs à quitter l’Europe pour créer leur propre État. Pendant les semaines de l’été 1895, Théodore Herzl rédige un petit livre qu’il intitule Der Judenstaat [L’État juif] où il dessine à grands traits les lignes d’un État juif, tandis qu’Eliezer ben Yehuda (1858-1922) prône la renaissance de la langue hébraïque. Le socialisme Parallèlement, le grand souffle des idéaux de la Révolution française fait frémir d’espoir les communautés les plus reculées. Au début du 20e siècle, le parti socialiste se prépare à la révolution. À côté des mencheviks et des bolcheviks, les Juifs fondent un mouvement censé libérer les masses populaires. C’est le Bund qui exerce une influence profonde sur la jeunesse juive. Comme les autres mouvements socialistes, le Bund, parti socialiste juif, est interdit par le gouvernement. L’interdiction n’empêche pas certains jeunes d’y adhérer, avec le risque, s’ils sont découverts, d’être emprisonnés et souvent déportés en Sibérie. L’émigration Mais le mouvement le plus important à la fin du 19e et au début du 20e siècle reste l’émigration vers les États-Unis. Les Juifs partent en masse. Entre 1881 et 1929, plus de 2 300 000 Juifs originaires d’Europe de l’Est arrivent aux États-Unis. Ces Juifs se mesurent à une autre société, une autre langue. Ils aiment se regrouper dans des théâtres yiddish, visionner des films parlant yiddish et lire la presse en yiddish comme Forverts, un quotidien (organe du mouvement ouvrier juif) fondé en 1897, Der Tog et Der Morgen Zshurnal. Des écrivains comme Sholem Aleikhem et Louis Untermeyer (1885-1977s’intéressent aux déboires et aux réussites des nouveaux immigrants, tandis que Abraham Goldfaden (1840-1908), appelé « le Shakespeare yiddish », est l’auteur d’une Les Juifs russes à la fin du 19e et au début du 20e siècle / Le yiddish quarantaine de pièces de théâtre essentiellement écrites dans cette langue. Avec le temps, le schtetl devient un mythe, un microcosme où les Juifs se connaissaient tous et parlent une langue commune même s’ils doivent affronter l’antisémitisme et des idéologies remettant la tradition en question. LE YID D Is H Le yiddish est dérivé du haut-allemand et inclut aussi des termes empruntés à l’araméen et à l’hébreu. Il s’écrit avec des caractères hébraïques et se lit de droite à gauche. Né au moyen-âge, il a longtemps été la langue maternelle des Juifs ashkénazes vivant en Europe et en Russie. À partir du 19e siècle, le yiddish accompagne les Juifs dans leurs pérégrinations : en Israël, aux États-Unis, au Canada et en Amérique du Sud. Le nombre de Juifs locuteurs du yiddish s’élevait, selon les estimations à 16 250 000 en 1935. En Russie, en 1897, 96,9% des Juifs avaient le yiddish comme langue maternelle. Cette proportion n’était plus que de 70,7% selon le recensement soviétique de 1926. En 1931, sur les 3 143 933 citoyens d’origine juive en Pologne, 80% déclarent que leur langue maternelle est le yiddish. De nos jours, on estime que le nombre de yiddishophones dispersés à travers le monde se situe entre un et deux millions. Les intellectuels de la génération comprise entre la fin du 19e siècle et le début de la Seconde Guerre mondiale participent à la normalisation du yiddish. Des philologues élaborent des manuels scolaires, des grammaires ou des dictionnaires. Il faut unifier cette langue divisée en une multitude de dialectes. C’est entre la fin du 19e siècle et la Seconde Guerre mondiale que le yiddish connaît son plein essor. Située au carrefour de multiples influences, la littérature yiddish devient le terrain d’expression des confrontations entre l’identité juive et la quête d’une autre identité issue des bouleversements sociologiques entraînés par l’industrialisation et l’urbanisation. Le yiddish Malgré tout, le yiddish reste la langue parlée, « le jargon ». Sholem Aleikhem, Mendele Mokher Seforim (1836-1917) et Itzhak Leybush Peretz (1852-1915) sont les principaux artisans de son renouveau. Sholem Aleikhem par exemple commence par écrire en hébreu et en russe et cachera longtemps à son père, un hébraïsant militant, qu’il écrit aussi dans la langue vulgaire. Le théâtre yiddish LE THéâTRE YIDDIsH Le théâtre est généralement mal vu par les rabbins qui ont longtemps assimilé l’art dramatique à de l’idolâtrie. La Haskala, mouvement fondé par Moïse Mendelssohn (1729-1786) qui prône l’intégration des communautés juives ashkénazes dans les sociétés européennes, fait la part belle au théâtre, ce qui déplait fortement aux autorités religieuses. Le 19e et le début du 20e siècle voient fleurir de nombreux dramaturges de talent. Shloyme Etinger (1802-1856) est considéré comme le précurseur du théâtre yiddish. Son savoir talmudique et séculier fait de lui un dramaturge de premier plan écrivant pour les « maskilim » [les gens cultivés] et non pour le public populaire. Sa pièce Serkele ou l’anniversaire de la mort d’un frère est une réponse au Marchand de Venise de Shakespeare. Abraham Goldfaden (1840-1908) qui enchaîne comédie sur comédie est appelé « le Molière yiddish ». Abraham Goldfaden, image Domaine public À l’inverse, Jacob Mikhailovitch Gordin est sérieux et intellectuel. Sholem Aleikhem est surnommé « le Mark Twain juif ». Shalom An-ski (1863-1920) écrit Dibbuk. Quant à Isaac Leib Peretz (1852-1915), il préfère la piété sincère à une religiosité vide. Tous ces auteurs sont les principaux artisans du théâtre yiddish. Le théâtre yiddish Isaac Leib Peretz, image Domaine public La vie de Cholem Aleikhem LA VIE D E SH O LEm ALEIK HEm Sholem Aleikhem (1859-1916) qui signifie « la paix soit sur vous » est l’un des vingt-trois pseudonymes utilisés par Sholem Rabinovitz. Sholem Aleikhem est né à Pereyaslav en Ukraine dans une famille relativement bourgeoise. Il reçoit une éducation mixte à la fois traditionnelle et moderne. Son père, marchand de grains et de bois de charpente, fait faillite. Sa mère meurt du choléra lorsqu’il a 13 ans. Son père se remarie. L’enfant écrit dans son autobiographie que son premier exercice littéraire a consisté à rédiger un dictionnaire d’injures réservées à sa belle-mère. Sholem Aleikhem est envoyé dans un lycée russe. Il est ensuite engagé comme précepteur de la fille d’un riche propriétaire terrien, Elimelekh Loyev. Là, il tombe amoureux de son élève, Olga. Lorsqu’Elimelekh découvre le lien qui unit sa fille et Sholem, il renvoie le jeune homme. Les deux amoureux gardent le contact et se marient sans le consentement du père d’Olga en 1883. Sholem a 24 ans et Olga 21. Deux ans plus tard, après le décès de son beau-père, Sholem Aleikhem devient régisseur du domaine, mais c’est un piètre gestionnaire et, sa vie durant, il sera en butte à des difficultés financières. En 1887, le couple gagne Kiev. Sholem est alors un jeune millionnaire qui publie ses œuvres à compte d’auteur. À 31 ans, il perd sa fortune, ou plutôt celle de sa femme, dans des spéculations boursières. Il devient soudain un écrivain qui doit vivre de sa plume. Entre 1883 et 1890, Sholem Aleikhem écrit beaucoup et en trois langues : le russe, l’hébreu et le yiddish. De 1884 à 1889, il écrit de nombreux feuilletons. Le théâtre yiddish est alors marginal, car interdit dans l’empire russe jusqu’en 1908. Après le pogrom de Kiev en 1905, Sholem Aleikhem et toute sa famille quittent la Russie pour Genève, puis New York. Sholem Aleikhem est un conteur apprécié. Son théâtre, par contre, a du mal à percer, même si ses dialogues font naître des personnages plus vrais que nature. La plupart de ses textes sont remaniés et adaptés pour la scène. Sholem Aleikhem les remet à son gendre, Y. D. Berkovicz, qui les traduira en hébreu à partir de 1910, mais se chargera aussi de leur adaptation au théâtre. En 1905, la pièce Tseszeyt un Tseshpreyt [Éparpillés et dispersés] est montée en polonais à Varsovie. En 1907, deux salles new-En 1907, deux salles La vie de Cholem Aleikhem / La genèse de Tevye le laitier / Les principaux personnages 1 new-yorkaises présentent simultanément la version théâtrale d’une nouvelle intitulée Stempenyu. C’est un échec. En 1908, Sholem Aleikhem écrit sa première grande comédie : Die Goldgreber [Le chercheur d’or]. À New York, il compose Dos Groyse Gewins [Le gros lot]. Il revient en Europe et lit ses œuvres devant des foules enthousiastes venues écouter le célèbre écrivain yiddish. En 1908, il tombe malade. La Première Guerre mondiale provoque une chute drastique des ventes de ses livres. Malgré ses semi-échecs aux États-Unis, il émigre à New York où il mourra en 1916. Une foule de dizaines de milliers de personnes accompagne ses funérailles. LA GEn ès E D E TEVYE LE LAITIER Entre 1895 et 1916, Sholem Aleikhem rédige plusieurs versions de Tevye le laitier qui sont autant de monologues dans lesquels ce personnage pittoresque raconte ses déboires à l’auteur. Il faudra attendre la fin de sa vie pour que ces courts récits soient rassemblés. De ces histoires ont été tirées de nombreuses pièces de théâtre, des films et, bien sûr, la comédie musicale Un violon sur le toit et le film éponyme sortis respectivement en 1964 et en 1971. Dans tous ces courts récits, Tevye est un Juif qui a une foi inébranlable en Dieu. Il cite des sources juives en les déformant. Il incarne une espèce de Job comique qui doit affronter toutes sortes de catastrophes. Son principal problème tient à savoir comment rester juif dans une société qui oublie les traditions. LEs PRIn C I P A UX PERsO nnA G Es Tevye et sa femme Golde, Tseytl : la fille aînée de Tevye. Leyzer – Wolf : le boucher, qui veut épouser Tseytl. Les principaux personnages Motl Kamzoyl : le tailleur sans le sou qui se marie avec Tseytl. Hodl : la deuxième fille de Tevye qui suivra Pertshik l’étudiant révolutionnaire. Hava : la troisième fille de Tevye qui épouse un jeune russe chrétien. Shprintse : une fille de Tevye amoureuse d’Arontshik. Elle finira par se suicider. Beylke : la benjamine de Tevye qui épouse le riche Padhostur. Sholem Aleikhem modifie les versions pour les adapter à la scène. En 1913, en plein procès Beylis, alors que de nombreux Juifs sont expulsés de leur schtetl, il choisit l’épisode du mariage de Hava avec un chrétien comme point culminant de la pièce. Plus tard, la version théâtrale – contrairement à la nouvelle – connaîtra un dénouement heureux, puisque Hava reviendra vers les siens et sa famille.On peut dégager, parmi toutes les versions écrites en vue d’être jouées trois versions de Tevye le laitier : Le manuscrit d’une pièce sans titre . Dans cette version, le quatrième acte se déroule dans la splendide maison de Beylke et de son mari. ‘Hava confie à sa sœur que son mari accuse les Juifs d’utiliser le sang de non-Juifs pour confectionner les matzot de Pessa’h. Elle envisage donc de fuir la Russie et de revenir au judaïsme. Tevye et Golde entendent les paroles de Hava. Tevye, très en colère contre sa fille, cède aux supplications de sa femme Golde, prend ‘Hava dans ses bras et la ramène à la maison. Le deuxième manuscrit contient seulement le dernier acte . Comme dans la première version, la scène se passe dans la luxueuse maison de Beylke et de son mari Padhostur. Ce dernier y apparaît comme un nouveau riche qui fume le cigare et parle un yiddish mâtiné de russe. Beylke paraît beaucoup plus attachante que dans la version précédente. Padhostur prend à part Tevye pour lui parler : il est inconcevable qu’on sache que son beau-père est un pauvre laitier. Il lui tend une liasse de billets pour qu’il parte du schtetl et aille finir ses jours en Terre sainte. Le troisième manuscrit . Dans cette troisième version, presque identique à celle publiée après sa mort, le rôle de Padhostur est marginal. Sholem Aleikhem se concentre sur Hava. Padhostur appelé cette fois Chvedor est un « progressiste », un « second Gorki ». Hava l’accuse d’une seule chose : ne pas lui avoir dit que les Juifs allaient être chassés. En fait, Chvedor ne voulait pas attrister sa femme. Mais Hava, en vraie fille de Tevye, réagit de façon abrupte en quittant son mari et le village. Elle regrette d’avoir choisi un chrétien et revient vers les siens. Un film oublié : Tevye der Milchiker (1939) U n FILm O U bLIé : TEVYE D ER MILC HIKER (1 9 39) C’est Maurice Schwartz (1890-196 st le metteur en scène et l’interprète de Tevye dans ce film en noir et blanc parlé en yiddish. Maurice Schwartz est l’un des derniers acteurs et metteurs en scène yiddish. Il lance le Jewish Art Theater en 1918 à un moment où se jouaient en même temps quelque vingt spectacles en yiddish dans les salles de la Second Avenue de New York. Sa compagnie possède un répertoire de près de 150 pièces dont le Marchand de Venise et le Roi Lear de Shakespeare. Il émigre en Israël pour y fonder un centre artistique yiddish, mais meurt deux mois plus tard. Le tournage de Tevye der Milchiker est assombri par les nouvelles qui viennent d’Europe. Maurice Schwartz et l’équipe du film apprennent qu’Hitler a pris Dantzig et s’apprête à envahir la Pologne. Obnubilé par l’antisémitisme, Maurice Schwartz centre l’intrigue sur l’histoire de Hava. S y n o p s i s Hava, une petite paysanne juive vivant en Ukraine aux alentours de 1900, est secrètement amoureuse de Fedya Galegan, un Russe qui lui passe des livres de Maxime Gorky. Tseytl, la sœur de Hava, mariée et partie habiter dans un autre shtetl, rend visite à ses parents avec ses deux enfants en bas âge. Au cours du repas, le père Alexei, le prêtre du village, vient annoncer à Tevye, le laitier, le père de Hava, que la fille de son ami Mendel est tombée amoureuse d’un non-Juif. Elle va donc l’épouser à l’église après s’être convertie. Tevye, un homme simple qui se contente en général de parler avec humour de ses difficultés et de celles du peuple juif, déclare alors qu’il préférerait mourir ou voir son enfant mort que d’être trahi de la sorte. Hava s’évanouit à force de pleurer. La même nuit, dans la cour de la maison paternelle, Fedya proclame à Hava que leur amour dépasse toutes les religions et lui remet un autre livre de Gorky. Entendant Tevye approcher, il embrasse la jeune fille et disparaît. Tevye qui a vu partir Fedya avertit Hava que si un pogrom se produisait, leurs prétendus amis du village n’hésiteraient pas à y prendre part. Rendu méfiant par l’étonnement de sa fille devant une telle prédiction, Tevye lui demande si elle pourrait pousser son père et sa mère au désespoir. Hava, en larmes, lui répond que non. Un film oublié : Tevye der Milchiker (1939) Elle épouse pourtant Fedya. Le jour du mariage, Tevye et Golde vont chez le prêtre tenter de la reprendre, mais se font repousser. De retour à la maison, Tevye annonce que Hava est morte pour lui et demande où est Dieu. Lors d’une réunion du conseil municipal, Mikita, un grossier personnage, père de Fedya, tente de faire expulser Tevye du schtetl, mais le maire s’y oppose et la discussion dégénère en bagarre. Quelque temps après, Hava apprend que sa mère, Golde, est malade. Sa sœur Fedya lui propose de rendre visite à leurs parents, mais elle craint que sa présence ne hâte la mort de sa mère. Elle ne peut que regarder à travers la fenêtre, sous la pluie, sa mère entourée des siens agoniser sur son lit. Golde dit qu’elle se souvient de tout et rend son dernier soupir, tournée vers Hava. Un jour que Tevye se rend à la ville, Hava que sa belle-mère traite en servante aperçoit son père par la fenêtre et court vers lui en criant « Papa ! ». Tevye l’ignore et fouette son vieux cheval. Lorsque les membres du conseil municipal viennent chez Tevye lui annoncer qu’il devra quitter la ville sous vingt-quatre heures sur ordre du Tsar, celui-ci demande à haute voix s’il est déjà arrivé que les Juifs ne soient pas chassés de chez eux et signe le document. Tevye vend ce qu’il ne pourra pas emporter en Terre Sainte. Sur le point de vendre son cheval à un paysan, il y renonce tant il s’est attaché à ce vieux compagnon de travail. Hava, de son côté, récupère la robe de Shabbat de Golde qu’un villageois a volé et regagne la maison de son père en possession de ce précieux objet. Elle confie à Tseytl qu’elle est toujours restée fidèle à sa foi et quand Fedya lui demande de revenir au foyer conjugal, elle lui déclare qu’elle aura toujours pour lui beaucoup d’affection, mais qu’elle se sent incapable de quitter la maison de son père une seconde fois. À la vue de sa fille, Tevye essaie de l’éviter, puis tente même de la chasser. Hava lui jure n’avoir jamais cessé d’être des leurs et l’implore de la laisser partager leur sort. Tevye se demande en sanglotant s’il doit lui pardonner son terrible péché. Il se ravise en pensant qu’après tout Dieu n’a pas besoin de son aide ! Au spectacle de la robe de Golde, il prend sa fille dans ses bras. La famille quitte alors sa maison et son village. Le film, longtemps considéré comme perdu, est redécouvert en 1978. En 1991, la « Library of Congress » le sélectionne pour être conservé par « The National Film Registry ». Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) F ID D LER O n T HE R OO F , LA PIèC E (1 964) ET LE FILm (1 971) The Fiddler on the roof [Un Violon sur le toit] est une comédie musicale créée à l’Imperial Théâtre de Broadway en 1964. La pièce a été récompensée par neuf Tony Awards en 1965. Elle a été écrite par Joseph Stein (1912-2012). Les chansons sont de Sheldon Harnick sur une musique de Jerry Bock. L ’ a r g u m e n t Acte I : L’histoire se passe à Anatevka, un bourg rural de la Russie tsariste au début du 20e siècle. Les habitants, pour la plupart juifs, sont des gens simples, vivant de la terre. Leur existence est strictement réglée par les lois de la communauté. Mais il leur est parfois aussi difficile de perpétuer la tradition que de jouer du violon sur un toit. Parmi ces habitants, Tevye, le laitier, a élevé ses cinq filles. Il aime citer les Ecritures même si, parfois, il en invente quelques-unes. Yente, la marieuse, fait savoir à Golde, la femme de Tevye, qu’un des citoyens les plus riches de la ville, le boucher Leyzer Wolf, désire épouser Tzeitel, sa fille aînée. Tandis que Golde se réjouit à l’idée d’un tel parti, et ce malgré l’aspect un peu vulgaire et l’âge du prétendant, Tseytl et deux de ses sœurs, Hodel et Hava, rêvent du mari idéal qui leur sera un jour présenté. Rentrant chez lui, Tevye exprime son désir de pouvoir donner une certaine éducation à ses filles, et ce malgré sa condition plus que modeste. Il rencontre Perchik, un jeune étudiant aux idées révolutionnaires, et l’invite chez lui. Entourés des membres de leur famille et de leurs amis, Tevye et Golde président le repas, aux accents d’une tendre et obsédante prière. C’est à l’auberge que Tevye accorde à Leyzer Wolf la main de Tseytl et invite tous ses amis à porter un toast au bonheur des futurs mariés. Mais un commissaire vient interrompre les réjouissances pour faire l’annonce de nouvelles ordonnances prises à l’encontre des Juifs. Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) Tandis que Tevye arrange le mariage de sa fille aînée, celle-ci, de son côté, promet sa main à Motel, un misérable petit tailleur. Mis au courant des projets de sa fille, Tevye est d’abord choqué, car la tradition veut que ce soit le père qui choisisse son gendre ; toutefois, réalisant qu’il se trouve devant un amour profond et sincère, il finit par céder et donne sa bénédiction au couple. Il s’agit maintenant de convaincre Golde et, pour cela, Tevye utilise le côté superstitieux de son épouse en présentant sa décision comme inspirée d’un rêve. Le mariage de Tseytl et Motel est l’occasion d’une joyeuse fête pour toute la communauté, laquelle est malheureusement interrompue par l’arrivée des forces de police qui saccagent les maisons des Juifs. Ne trouvant pas dans les Écritures de citation appropriée aux circonstances, Tevye lève son regard vers le ciel, espérant y trouver une explication. Acte II : Tseytl et Motel sont pauvres, mais heureux. Suivant l’exemple de leurs aînés, Perchik et Hodel se déclarent mutuellement leur flamme. Hava, quant à elle, épouse un Russe et se voit ainsi rejetée par ses parents et la communauté. Voyant ses filles se marier par amour, Tevye, après vingt-cinq ans de mariage, s’interroge sur les sentiments de Golde à son égard. Après avoir épousé celle qu’il aime, Perchik, qui manifeste de plus en plus de ressentiment à l’égard du tsar, part rejoindre ses amis révolutionnaires. Arrêté à Kiev et envoyé en Sibérie, il sera rejoint par Hodel que Tevye, les larmes aux yeux, accompagne jusqu’à la gare. Et c’est ainsi que le monde douillet que Tevye avait rêvé de construire pour sa famille s’effrite petit à petit. Le coup fatal est donné par le tsar qui ordonne à tous les Juifs d’évacuer leurs maisons. Rassemblant rapidement leurs objets les plus précieux, les habitants d’Anatevka s’exilent vers différents points du globe. Leurs biens entassés sur un chariot, Tevye, sa femme et ses deux cadettes entament un long voyage qui les mènera vers un pays où ils espèrent trouver amour et richesse : l’Amérique. Le réalisateur du film est Norman Jewison (né en 1926), un Canadien protestant choisi pour son nom à connotation juive. Le scénario est de Joseph Stein (1912-2010). Le tournage a duré six mois et s’est effectué en Croatie et en Angleterre pour les intérieurs. Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) Le film reprend à grands traits l’argument de la comédie musicale. S y n o p s i s Acte I : Anatevka, Shtetl fictif, mais assez représentatif des bourgades de la Zone de résidence à l’approche du 20e siècle. La communauté juive y vit tant bien que mal en marge de la population chrétienne orthodoxe. Elle compte, parmi ses figures hautes en couleur, Nahoum le Shnorrer [mendiant], Yente l’entremetteuse et, surtout, le révéré Rabbin. Tevye, personnage principal et narrateur de la pièce, est laitier de son état. Ayant étudié les textes, juste assez bien pour les citer mal à propos, il tente de faire vivre sa femme, la querelleuse Golde, et ses cinq filles (Tzeitel, Hodel, Hava, Shprintse et Beylke) avec ses maigres moyens. Il a sur la vie la vision ironique d’un Juif profondément confiant en Dieu qu’il interpelle cependant à maintes reprises pour lui reprocher de ne pas l’avoir fait plus riche. Alors que Tevye est parti travailler avec son cheval qui boite depuis peu, Yente annonce à Golde que Leyzer Wolff, l’abatteur rituel du village, souhaite épouser Tzeitel. Bien que le prétendant soit âgé et veuf, Golde se réjouit de ce bon parti, car l’homme vit confortablement. Tzeitel, en revanche, qui aime secrètement son ami Motel Kamtzoïl, un pauvre tailleur, est opposée au projet. À l’approche du Shabat, Tevye ramène chez lui le jeune Perchik. Il souhaite faire de cet étudiant de Kiev aux idées « nouvelles » (marxistes) le précepteur de ses deux cadettes. Motel, quant à lui, tente en vain de plaider sa cause auprès de Tevye, mais y renonce rapidement, intimidé par le caractère ombrageux du personnage. La famille se rassemble pour le Shabbat. Après le Shabat, Tevye, pressé par sa femme, rencontre à contrecœur Leyzer Wolff à l’auberge, pensant que celui-ci veut lui acheter l’une de ses vaches laitières. Le malentendu dissipé, il accepte volontiers, après un court monologue intérieur, de lui céder la main de sa fille et la célébration qui conclut cet accord est si joyeuse que de jeunes Russes y participent. En rentrant, Tevye rencontre le commissaire qui lui annonce, à son regret et malgré sa sympathie pour les Juifs, la préparation d’une « petite manifestation non officielle » (un pogrom) dans le village. Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) Le lendemain matin, après avoir enseigné aux filles de Tevye la Bible selon sa lecture marxiste, Perchik est apostrophé par Hodel qui raille son côté radical. Perchik lui rétorque que le monde change et, pour le prouver, danse avec elle en dépit de l’interdiction traditionnelle pour un homme de danser avec une femme. Tous deux tombent amoureux. Peu après, Tevye annonce à Tseytl sa bonne fortune. Devant sa réaction dépitée et le l’annonce de Motel d’épouser sa fille, Tevye accepte, après un autre monologue, de faire légèrement fi de la tradition. Alors que les amoureux clament leur bonheur dans les bois avoisinants, il se rappelle subitement qu’il devra l’annoncer à Golde. Il parvient cependant à se tirer de cette situation délicate en inventant un rêve où la grand-mère de Golde approuve le mariage de son arrière-petite-fille avec Motel le tailleur, tandis que Fruma Sarah – l’épouse décédée de Leyzer Wolff – maudit l’union avec son ancien mari. Effrayée, Golde bénit rapidement le mariage. Peu après, Hava – de retour des champs – est prise à partie par de jeunes Russes. Un ami de ceux-ci les disperse et protège la jeune fille. Apprenant son goût pour les livres, il lui en prête un. Une relation secrète se noue.. Le mariage de Motel et Tseytl est célébré quelque temps plus tard, en dépit des contrariétés qu’il suscite. Au cours de ce mariage, Perchik franchit (au propre et au figuré) une nouvelle barrière en invitant Hodel à danser. Alors que la fête bat son plein, le pogrom éclate. Le rideau tombe sur une scène de désolation, tandis que la famille de Tevye nettoie les débris. Acte II : Les mois ont passé. Tseytl et Motel sont heureux : Motel va pouvoir étrenner une nouvelle machine à coudre. Perchik annonce à Hodel qu’il doit repartir à Kiev pour préparer la révolution. Il lui demande également sa main, laquelle lui est accordée avec joie. Lorsqu’ils annoncent leurs fiançailles à Tevye et le supplient de les bénir, celui-ci tente de s’opposer au mariage, car les deux tourtereaux ne sont même pas passés par les parents. Devant leur détermination et la force de leur amour, il cède encore une fois, expliquant à son épouse scandalisée que les temps changent et que les mariages sont désormais une affaire de cœur. Après le départ de Perchik, Yente rapporte à Tseytl qu’elle a surpris Hava en compagnie de Fyedka, un jeune chrétien. La rumeur se répand aussi à Anatevka que Perchik a été arrêté à Kiev et déporté en Sibérie. Fiddler on the roof : la pièce (1964), le film (1971) / Conclusion Même si un tel voyage équivaut probablement à une séparation définitive d’avec les siens, Hodel décide de l’y rejoindre. Quelque temps plus tard, alors que Motel montre fièrement sa machine à coudre, Hava tente de présenter Fyedka à son père, mais celui-ci estime que cette limite ne saurait être franchie et prie sa fille de cesser de voir son bien-aimé. Le lendemain, Golde lui apprend, effondrée, que Hava s’est enfuie avec Fyedka et l’a épousé devant le prêtre orthodoxe. Tevye la renie et refuse de lui parler lorsqu’elle vient quémander son approbation. Les rumeurs d’expulsion se font de plus en plus pressantes dans le village, avant d’être confirmées par le commissaire, lequel annonce aux Juifs qu’ils ont trois jours pour vendre leurs possessions. Une velléité de révolte est rapidement étouffée. Après tout, « on n’abandonne pas grand-chose, sauf Anatevka ». La mort dans l’âme, les Juifs quittent leur village. Leyzer Wolff part chez son beau-frère à Chicago, Yente à Jérusalem, Tevye et les siens à New York. Motel et Tseytl se rendent en Pologne, d’où ils comptent rejoindre la famille après avoir économisé le prix du voyage transatlantique. Hava vient les retrouver et, malgré le mur de silence auquel elle se heurte, annonce à sa famille qu’elle et Fyedka quittent aussi le village pour Cracovie, ne pouvant rester dans un lieu où des gens sont traités de la sorte. Lorsque Tseytl lui dit au revoir, Tevye lui demande d’ajouter « Que Dieu soit avec vous ». Alors que Tevye, Golde, Shprintse et Bielke quittent la scène, le violoniste se met à jouer puis, sur un signe de tête de Tevye, les suit en Amérique. Le film a été traduit dans de très nombreux pays. Il a obtenu le Golden Globe du meilleur film musical et a valu à Chaïm Topol le Golden Globe du meilleur acteur dans un film musical. comme le meilleur acteur dans un film musical. C OnC L U s I On Tevye le laitier a fait l’objet d’adaptations au théâtre et au cinéma. De quelques dizaines de pages écrites sous la forme d’un monologue, Maurice Schwartz – et, plus tard, Joseph Stein et Norman Jewison – a tiré des spectacles vus par des millions de gens. La pièce a été montée une centaine de fois dans le monde entier. L’adaptation japonaise a eu un succès considérable à Tokyo. Conclusion / Pour en savoir plus Tevye le laitier n’est pas seulement l’histoire d’une famille juive du début du 20e siècle dans un petit village de Russie. C’est l’histoire d’un homme qui doit affronter les grands changements politiques de son époque. Fataliste lorsqu’il est confronté à l’antisémitisme, il accepte les bouleversements qui l’affectent sans renier son identité propre. En lisant les nouvelles de Sholem Aleikhem ou en voyant les adaptations théâtrales ou cinématographiques de son œuvre, force est de constater que Tevye est devenu en cent ans un symbole universel qui dépasse le cadre de son époque, un Job des temps modernes. PO U R En s A V O IR PLUs… Renée Neher-Bernheim, Histoire juive, Editions Klincksieck, Paris, 1974. Rachel Ertel, Shtetl, la bourgade juive de Pologne de la tradition à la modernité, Payot, 1982. Jean Baumgarten, Le Yiddish, histoire d’une langue errante, Albin Michel, 2002. Guila Clara Kessous, Théâtre et sacré dans la tradition juive, Presses Universitaires de France, Paris, 2012. Maurice Samuel, The World of Cholem Aleichem, Alfred A. Knopf, New-York, 1944. Jacob Weitzner, Cholem Aleichem in the Theater, Fairleigh Dickinson University Press, 1994. Cholem Aleichem, Traduit du yiddish par Edmond Fleg, Un Violon sur le toit, Tevye le laitier, Editions Albin Michel, 1962. Cholem Aleikhem, traduit du yiddish par Arthur Langerman et Ariel Sharon, La vie éternelle, 13 histoires courtes pour marquer le temps, Metropolis, 2011. Cholem Aleikhem, Un conseil avisé, traduit du yiddish par Nadia Déhan- Rotschild, Editions Liana Lévi, 2002. Pour en savoir plus Cholem Aleichem, Le Tailleur ensorcelé et autres contes, traduit du yiddish par I. Pougatch et J. Gottafastein, Editions Albin Michel, 1960. Cholem Aleikhem, Menahem- Mendl le rêveur, Rivages poche, 1993. Cholem Aleikhem, Les gens de Kasrilevkè, traduit du yiddish par Jacques Mandelbaum Julliard, 1993. Cholem Aleikhem, La peste soit de l’Amérique (et de quelques autres lieux…) traduit du yiddish par Nadia Déhan, Editions Liana Levi, 1992. Cholem Aleikhem, Contes ferroviaires, Liana Levi, 1991. Perspectives, Thérèse Malachy, « Chalom Aleichem ou la comédie juive », Revue de l’Université Hébraïque de Jérusalem, n°10, 2003. -David S. Lifson, The Yiddish Theatre in America, Thomas Yoseloff, New York, 1965. Couverture : Carte postale, Cholom Aleikhem, Collection Famille Gross Photographies PH O TO G RAPHIEs Couverture : Un violon sur le toit de Norman Jewison, photo Alamy Banque d’images – P. 4 Maurice Schwartz ; Domaine public : https://commons.wikimedia.org/wiki/ File:Schwartz-maurice.jpg – P. 4 ‘Haim Topol ; Domaine public Dohttps://commons.wikimedia.org/wiki/ File:Chaim_Topol_(1971).jpg – P. 5 Zero Mostel ; Domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Zero_ Mostel_-_Fiddler.JPG – P.10 Abraham Goldfaden ; Domaine public : https:// commons.wikimedia.org/wiki/File:Avraham_ goldfaden.jpg – P. 11 Isaac Leib Peretz ; Domaine public : https:// upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2d/ I_L_Peretz_postcard.jpg Auteur : Michèle Fingher Graphisme : David Soulam Janvier 2015 Publié par les Editions ADCJ Association pour la Diffusion de la Culture Juive (Association loi 1901) 56 rue Hallé, Paris 75014, France www.levoyagedebetsalel.org Courriel : contact@adcj.org Tevye le laitier est un personnage célèbre du cinéma et du théâtre. Pater familias par excellence, il se voit peu à peu dépouillé de ses seules richesses, à savoir ses filles. Sholem Aleikhem est un conteur né. Le village où habite Tevye, le schtetl, est un microcosme de la vie juive traditionnelle. Le personnage de Tevye – interprété de diverses manières par les acteurs l’ayant incarné, qu’il s’agisse de Maurice Schwartz, Zero Mostel ou Topol – revêt une dimension tragique et comique à la fois.